Article
“Avec le Pape et pour le Pape”. Vie de l’abbé Davide Albertario, journaliste intransigeant
Première partie : La formation et les batailles de L’Osservatore Cattolico
Par Monsieur l'abbé Ugolino Giugni
Note : cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°61
En 2002, furent célébrés les cent ans de la mort de l’abbé Davide Albertario, prêtre lombard connu et journaliste combatif qui travailla sous les pontificats de Pie IX et Léon XIII. Dans cet article, nous nous proposons de porter à la connaissance des lecteurs sa vie et son œuvre. À son époque, Albertario était un journaliste très connu qui n’avait pas besoin de présentation, mais aujourd’hui, un siècle étant passé, le temps a fait un peu oublier sa personne et il est donc nécessaire et de notre devoir de rappeler ce qu’il a fait. Son biographe, Giuseppe Pecora, écrivit de lui qu’“il a enseigné aux catholiques aux heures de graves épreuves, la cohérence jusqu’au sacrifice, la nécessité de la défense avec la contre-attaque, et, par-dessus tout, la fidélité à la Chaire de Pierre même quand elle condamne et châtie”.
Période historique
L’abbé Albertario vécut dans cette période agitée que fut la seconde moitié du XIXème siècle qui vit l’accomplissement de la révolution avec la réalisation par le Risorgimento de l’“unité d’Italie” inspirée par la Franc-maçonnerie, ainsi que les débuts du Royaume d’Italie, le concile Vatican I, la prise de Rome (1870) avec la perte du pouvoir temporel des Papes. Albertario vécut sous les longs pontificats de Pie IX et de Léon XIII au cours desquels il mena les batailles des catholiques intransigeants et anima aussi les débuts du mouvement catholique italien dans la difficile situation d’opposition entre l’Église et l’état unitaire qui en piétina les droits.
Origines : les premières années, la formation
Davide Albertario naquit le 16 février 1846 à Filighera dans la province de Pavie ; il était le cinquième des quatorze enfants de Pietro Paolo Albertario et de Marianna Bianchi ; sa famille, de souche paysanne et de style patriarcal (souligné par les noms de baptême bibliques souvent utilisés : Moïse, David, Aaron, Judith, Joseph), était enracinée depuis dix générations aux “case nuove” [maisons neuves] de Filighera. Cette terre généreuse et riche qui leur donnait la subsistance avait une profonde influence sur les Albertario : “d’elle, ils tiraient le calme, la sérénité et la fermeté ; elle inspirait la confiance en Dieu créateur et conservateur, le sérieux de la vie, l’humilité et la joie du travail, l’amour pour les pauvres et les malheureux, la résignation à la douleur, la certitude de l’immortalité. Dans le spectacle quotidien de leurs champs, ils trouvaient la confirmation des vérités religieuses qu’ils apprenaient à l’église et à l’école. Celui qui s’éloigne, séduit par les mirages de la ville et ne revient plus, se condamne à la nostalgie ; celui qui y retourne renouvelle ses forces et ses énergies au contact de sa terre” (1). L’amour pour sa terre sera toujours très fort chez don Davide, au point que sa passion pour le journalisme ne réussira pas à l’éteindre, et dans les moments de découragement et de repos après les luttes, il y reviendra toujours avec plaisir.
Davide Albertario “se sentait, avec fierté, enfant du peuple, descendant d’une lignée non corrompue par les vices, et il porta toujours dans son œuvre journalistique un mépris pour les castes ramollies, pour la noblesse corrompue, pour les citoyens pâles qui ne connaissaient pas le soleil, le vent et les brises de la campagne” (2). À neuf ans, Davide entra “costaud et dédaigneux comme un cheval sauvage” au collège de Pavie et ensuite au séminaire où il apprendra à obéir et à étudier. Au séminaire, il se souvint des paroles de sa mère, femme de grands sentiments, qui lui avait dit : “avant de t’engager dans la vie sacerdotale, pense à ce que tu fais ; tu es libre, tu seras toujours mon cher Davide dans n’importe quelle condition de vie ; prends conseil de Dieu et de ton confesseur ; quand tu auras décidé, quand tu auras brûlé les bateaux derrière toi, reste ferme dans ton propos, jusqu’à la mort ; penses-y, tu as le temps, penses-y sérieusement”. La bonne mère fut toujours l’ange consolateur dans les luttes de son Davide, et sur son lit de mort, elle lui recommandait encore de ne jamais abandonner la bannière de l’Église et du Pape par ces paroles : “Je sais peu de choses, mais je sais quelque chose ; eh bien, considère qu’il est mieux de passer comme une victime innocente plutôt que comme un bourreau fortuné ; considère que la foi avec les œuvres est la seule joie et le seul avantage de la vie ; considère que ce n’est que dans la famille que l’on trouve toujours les meilleurs amis ; considère que l’homme de caractère ne périt pas en mourant ; considère que ta position est bonne, puisque si les adversaires utilisent contre toi le mensonge, ils ont nécessairement une mauvaise cause ; défends la religion de ton père et la mienne, honore et aime la maison ; abandonne-toi dans les mains de Dieu et du Pape” (3).
La conversion du libéralisme de sa jeunesse : Albertario devient “intransigeant”
Intransigeantisme et conciliatorisme
L’abbé Albertario faisait partie de ce courant politico-religieux qui fut appelé “intransigeant”. Que représentait cette position à cette époque ? Étymologiquement, on pourrait définir intransigeante une personne qui demeure inébranlable dans ses idées, opposée à tout compromis, et qui donc ne transige en aucun cas.
Historiquement, dans le contexte politique dans lequel vécut Albertario, les catholiques intransigeants étaient ceux qui, après 1860, et encore plus avec la prise de Rome en 1870, refusaient la perte du pouvoir temporel du Pape comme conséquence de l’unification italienne, et qui considéraient la conquête de la Ville Éternelle comme une injure au Pontife et un affront à la religion catholique. Ces catholiques restèrent fermes sur cette position jusqu’à la chute du “non expedit” sous saint Pie X qui aurait permis progressivement aux catholiques la participation à la vie politique de l’état unitaire dans les élections administratives et ensuite au parlement national. Beaucoup d’intransigeants rejoignirent ensuite le courant intégriste qui combattit le modernisme dont faisait partie aussi le Pape Sarto.
Aux catholiques “intransigeants” s’opposaient les “conciliatoristes” ou libéraux qui considéraient dépassé le pouvoir temporel des Papes, étaient partisans de l’unité nationale et demandaient une “conciliation” entre l’Église et l’État.
Au collège de Pavie, le jeune Albertario subit l’influence de prêtres libéraux, antiromains et jansénisants qui y enseignaient ; et ce fut pour ce motif que sa famille, inquiète des sentiments libéraux qu’il manifestait déjà, décida de l’envoyer hors du diocèse, à Milan. Une fois donc terminées les études du ginnasio [l’équivalent des classes de 3ème et 2nde d’un lycée français], en 1860, Davide entra dans la première classe du séminaire Saint Pierre Martyr, pour passer ensuite la seconde et la troisième année au séminaire de Monza.
Ce sera justement au séminaire de Monza que se produira sa “conversion” du libéralisme à l’intransigeantisme. Ce fut en 1864, qu’avec d’autres clercs, Davide Albertario assista à la perquisition et à la détention, par le gouvernement libéral de Turin, de Mgr Caccia Dominioni, vicaire épiscopal de Milan (4), à cause de la ferme volonté de ce dernier “d’obéir à son supérieur, le Pape” et de ne pas céder aux instances du Roi qui, contre les règles canoniques, voulait imposer la nomination au Chapitre métropolitain de certains prêtres libéraux et donc agréables au gouvernement.
« Pour le clerc Albertario, ce fut une révélation – comme il le disait lui-même à ses amis. – Sur sa jeune âme, le pas cadencé des carabiniers, qui montaient la garde au pauvre évêque, coupable de ne pas courber la tête face à la violence, et d’obéir romainement au Pape, le frappa au cœur. Il médita sur les événements et comprit que le libéralisme régnant associait l’unité à l’indépendance de la patrie, à la destruction du Pontificat et à l’écroulement du catholicisme. Il sentit que sa vocation sacerdotale serait incomplète, s’il ne se jurait pas de combattre pour la cause et le triomphe de la religion, pour le Pape menacé de toutes parts, s’il ne se rangeait pas parmi les audacieux qui ne s’adaptaient pas aux faits accomplis et qui, face au triste présent, voulaient sauver, y compris par le sacrifice suprême, les raisons de l’avenir.
L’ennemi à combattre était un principe incarné par les hommes de son temps ; un principe révolutionnaire et latitudinaire, qui inspirait les menées secrètes des sectes, comme la courtisanerie des prêtres conciliatoristes ; qui justifiait le secret des loges comme la violence ouverte de la presse, qui unissait autour des lois anticléricales les coryphées de la Droite et de la Gauche, extrémistes et conservateurs, hommes du parti d’action et monarchistes : le libéralisme, voilà le grand ennemi de l’Église et du Pape, l’ennemi sournois, qui s’était nourri du sang de la guillotine terroriste de la révolution française, se vantait d’être source de liberté et était oppression scandaleuse, d’égalité et était outrage à la dignité humaine au profit de peu, de fraternité et était désaveu du droit de professer la vérité et la foi”.
C’est justement en cette année 1864 que paraissait l’encyclique Quanta Cura avec le Syllabus de Pie IX ; Albertario fera sienne comme un ordre la proposition qui condamnait l’idée que : “le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne”.
Du coup, devenu “intransigeant”, il voulut l’être chaque jour davantage et dirigea tous ses efforts, son intelligence, sa culture, ses études pour accomplir la mission à laquelle il se sentait appelé. “Ce fut donc dans les séminaires de Milan – écrit Albertario, des années après – que je me libérerai des affections libérales contractées à Pavie. Et ce fut dans les séminaires de Milan qu’il fut fortifié dans les bonnes idées et dans les bonnes doctrines par d’éminents professeurs” » (5). Par la suite, Davide Albertario fut envoyé par ses supérieurs pour poursuivre ses études théologiques à Rome à l’université Grégorienne où il pouvait apprendre les “doctrines plus sûres” et où “il pourra sentir le cœur du Pape scander les heures de joie et de douleur”. De Rome, il reviendra confirmé dans sa foi et dans ses propos, “disposé et armé pour la bonne bataille”. Le 7 août 1868, il avait obtenu la licence et le doctorat en théologie. Le 16 février 1869, l’abbé Davide Albertario reçut l’ordination sacerdotale de l’archevêque, Mgr Nazari di Calabiana (6), à la cathédrale de Milan.
L’abbé Albertario arrive à L’Osservatore Cattolico - Journaliste par vocation
Le Pape Pie IX fut à l’origine de L’Osservatore Cattolico quand, dans l’été 1863, étant donné la difficile situation du diocèse de Milan, il encouragea Mgr Caccia Dominioni à publier un journal catholique dans la métropole à l’exemple de l’Armonia de Margotti à Turin. Le premier numéro du journal parut le 2 janvier 1864. Les premiers directeurs et fondateurs de L’Osservatore Cattolico furent Mgr Giuseppe Marinoni (7) et l’abbé Felice Vittadini, et parmi les collaborateurs, on trouvait l’abbé Enrico Massara et l’abbé Giuseppe Sommaruga. À l’étonnement de ses rédacteurs, de tous ses détracteurs et de ses adversaires qui l’avaient étiqueté comme le “journal du Pape” et qui avaient prophétisé qu’il était “mort né”, L’Osservatore progressa rapidement, agrandit son format, ouvrit sa propre imprimerie et élargit la recherche des abonnés et des amis. Sous le titre, figurait la phrase de saint Ambroise : “Ubi Petrus ibi Ecclesia : ubi Ecclesia, ibi nulla mors sed vita æterna” ; dans l’article programmatique, on disait que les “Catholiques et les Italiens vénèrent en Pie IX le Pasteur de l’Église, le Successeur de Pierre, le Vicaire du Christ… Que nous aussi, nous protestons avec saint Jérôme, ne connaître ni Paulin ni Melezio, ni aucun Docteur universel, mais seul le Pontife Romain, puisque qui n’est pas avec lui, n’est pas avec la vérité”.
Le Pape Pie IX fut toujours un grand défenseur du journal au milieu des tempêtes répétées qu’il devra affronter. En 1867, face aux craintes des rédacteurs du fait de l’opposition du nouvel archevêque Nazari di Calabiana d’idées libérales, Pie IX écrivait : “Vous représentez ce clergé fidèle qui depuis saint Charles jusqu’à Nous a toujours adhéré au Saint-Siège ; travaillez, continuez ; si les autres ne vous aiment pas, moi je vous aime, et je vous encouragerai ; vous êtes sous ma protection. Qui donc dans un si grand besoin de soldats qui défendent l’Église serait prêt à sacrifier un aussi vaillant soldat que votre Osservatore”. Ces sentiments du Pape furent confirmés périodiquement par des brefs que Pie IX envoya au journal.
Albertario était journaliste “par vocation”, comme d’autres naissent poètes ou peintres, véritable “Athlète du journalisme catholique, il empoignait la plume comme une épée, déversant sur la blancheur du papier une avalanche de phrases jaillies de l’esprit telle la lave volcanique”, comme disait l’abbé Giuseppe Pecora, son neveu et biographe. En 1870, s’ouvrit le Concile Vatican I et commencèrent les polémiques entre infaillibilistes et anti-infaillibilistes ; l’archevêque de Milan, Nazari di Calabiana, faisait partie de ces derniers, qui, ne pouvant attaquer directement les doctrines soutenues par le journal (puisqu’elles coïncidaient avec la position de Pie IX), l’accusa de manquement de charité, de violence et de brutalité dans les moyens. Don Davide arriva à L’Osservatore Cattolico précisément en ces années, tout de suite après son ordination sacerdotale, après avoir échoué à un concours pour obtenir la paroisse de Belgioioso, dans le diocèse de Pavie. À la fin de sa vie, en 1902, Albertario pouvait encore écrire à l’abbé Ernesto Vercesi : “J’aime le journalisme catholique ; c’est un hymne quotidien de gloire à Dieu, d’hommage à la vérité, d’élévations très nobles. Par le journalisme catholique, on sert à la religion, à la patrie, au Pape, on défend la justice et l’innocence qui souvent ne peuvent pas se défendre autrement, on démasque la malice des méchants, on met en garde les bons, on instruit, on éduque, on illumine, on exerce l’apostolat chrétien dans une forme géniale et très efficace, on exerce les facultés littéraires de la manière la plus utile”. Les batailles et les angoisses de plus de vingt-cinq années de journalisme n’avaient pas épuisé l’âme de l’athlète du journalisme catholique.
Les batailles de L’Osservatore Cattolico
• Le libéralisme. Le libéralisme, en ces années-là, allait bras dessus, bras dessous avec l’anticléricalisme d’état, qui se manifestait par des lois vexatoires et absurdes à l’égard de l’Église et des catholiques fidèles au Pape. Un des points d’accrochage fut la question de l’éducation catholique des jeunes (depuis toujours, la révolution pour faire avancer son plan, a visé à s’emparer de l’enseignement, ce qui lui permet de déformer et pervertir les jeunes à ses idées). Dès 1875 (Congrès Catholique de Venise), Albertario avait proposé la fondation d’une Université Catholique (8) pour encourager les catholiques à obtenir la liberté de leur enseignement contre un état léviathan, centraliste et jacobin.
L’abbé Albertario opposait contre le libéralisme sectaire la défense de la liberté de l’Église en affirmant que le concept même de liberté porte les catholiques à “demander qu’on leur accorde d’éduquer catholiquement les enfants. Ce n’est pas du fanatisme ni un préjugé : c’est du pur amour de la liberté. Quiconque ne demande pas comme nous la liberté n’est pas un libéral, mais un tyran” [L’Osservatore Cattolico 21-08-1875] (9).
“Dans sa bouche d’« intransigeant » ennemi du libéralisme, ce cri à la liberté ne pouvait pas être interprété (et en effet, personne ne l’interpréta) d’une autre manière que comme une libération de l’âme italienne de l’esclavage irréligieux que les prêtres de la « religion illibérale » (comme dit B. Croce) concrétisaient par des lois et institutions absurdes. Ainsi, quand quelques mois après parut le Syllabus de Pie IX, Albertario n’eut pas à souffrir de crise de conscience, mais se trouva au même poste qu’avant, armé et en pleine bataille contre les doctrines condamnées par le solennel et décrié document pontifical” (10).
• La “question romaine” divisait les catholiques en particulier et la société de l’époque en général. On parlait alors d’Italie “réelle” et d’Italie “légale”. Les libéraux et conciliatoristes croyaient préférable, pour la dignité et la spiritualité du ministère religieux, l’acceptation des faits accomplis (Italie “réelle”) et l’accolade entre Pie IX et Victor-Emmanuel II à la face du monde. Sur l’autre front, les intransigeants estimaient indispensable à l’exercice du ministère papal la souveraineté temporelle sur un territoire qui lui assurerait l’indépendance de toute ingérence externe (Italie “légale”).
En ces années se multiplièrent, de la part du nouveau gouvernement unitaire, des lois anticatholiques, inspirées de la Franc-maçonnerie, telles que l’interdiction des pèlerinages et processions, des procès contre des prêtres et des évêques qui lisaient en chaire les encycliques pontificales (entre 1872 et 1873, vingt-neuf évêques furent poursuivis pour ce motif). Le gouvernement permettait, et encourageait en les laissant impunies, les bruyantes démonstrations et violences anticléricales, jusque sous le Vatican (11).
Albertario et ses amis situaient la question romaine dans le cadre historique du moment, c’est-à-dire dans la gigantesque tentative d’apostasie mondiale, dans la guerre générale pour substituer à la religion du Christ la “religion de la liberté” libérale. Ils considéraient, à juste titre, la loi des Garanties comme un plat de lentilles offert au Pape afin qu’il renonce à ses sacro-saints droits. Albertario écrivait : “Une nouvelle phrase fut inventée par les libéraux et proclamée au parlement, Religion sans Église (catholique). Cette maxime qui a enfanté les expressions libre Église dans libre État, séparation de l’Église et de l’État, morale sans dogme, loi sans Dieu, incompatibilité du sacerdoce avec la politique, cette phrase a maintenant le prestige et la séduction de la jeunesse, et synthétise le concept révolutionnaire dans lequel nous nous trouvons” (12).
L’œuvre d’Albertario pouvait être résumée dans la célèbre devise “Pour le Pape et avec le Pape”. Cette droiture de principes et de sentiments était hautement approuvée par Pie IX, qui remerciait L’Osservatore Cattolico pour l’Obole de Saint-Pierre par deux Brefs, le premier du 4 février 1874, le suivant du 11 octobre 1875 : “Mais le don qui nous agrée le plus et pour lequel vous méritez continuellement notre gratitude, nous le reconnaissons dans le zèle avec lequel vous opposez la saine doctrine aux erreurs du jour et vous vous employez à défendre la cause de la vérité et de la justice, nullement détournés par la méchanceté des impies et par la difficulté des circonstances. C’est pourquoi nous vous félicitons et nous nous réjouissons de ce que vous nous communiquez concernant la progression et l’extension de votre journal, et nous vous souhaitons que Dieu lui-même à l’avenir par sa faveur accompagne vos efforts et vos travaux. Poursuivez donc avec dynamisme les œuvres entreprises, même si en combattant s’opposeront les haines des mauvais, ou vous manqueront les secours de ceux qui en une aussi grave guerre se montrent des soldats dégénérés. Nous, entre-temps, en vous adressant l’éloge que mérite votre zèle, et en vous rendant les remerciements dus pour les offices à nous prêtés, à tous et à chacun de vous nous accordons affectueusement cette attestation de la pontificale dilection, la bénédiction apostolique” (13).
Ce soutien inconditionnel du Pape Pie IX permit à L’Osservatore Cattolico de résister et de continuer son œuvre malgré les protestations, les attaques, les reproches du clergé libéral et conciliatoriste, parmi lesquels plusieurs évêques comme Bonomelli de Crémone et surtout l’archevêque de Milan Nazari di Calabiana. «Quand les brefs arrivaient à L’Osservatore Cattolico la rédaction était en fête. Les enthousiasmes redoublaient, et d’interminables hourra au Pape explosaient. […] Albertario […] ressentait surtout dans les augustes paroles l’incitation à de nouvelles batailles, persuadé d’autre part que “cette union au Souverain Pontife, cette pratique exacte de sa doctrine telle qu’il l’explique” fût “un moyen pour maintenir l’unité avec nos confrères du journalisme et avec les autres catholiques”» (14).
Quand le 9 janvier 1878 mourut Victor-Emmanuel II, “Père de la Patrie”, l’abbé Albertario signa un article de feu sur L’Osservatore dans lequel, en parlant du souverain défunt, il écrivait : “il proclama dans un discours public : À Rome nous sommes, à Rome nous resterons ! Dieu en confirma la parole et Victor-Emmanuel est là, cadavre sous les voûtes d’une salle pontificale. Une période de la révolution italienne se termine et une période nouvelle commence. Il est mort, soit. Qu’a-t-il fait pour la gloire de Dieu ? Dieu jugera pour la vie future, nous jugeons la vie terrestre. (…) Ce sont des questions terribles. Nous les posons sur la dépouille froide d’un Roi de Savoie, mort au palais apostolique du Quirinal” (15). L’archevêque Nazari di Calabiana, décoré de la dignité de sénateur du royaume, le prit mal et convoqua les rédacteurs du journal, Albertario et Massara, en leur intimant de le dissoudre et en intimant à Albertario l’expulsion du diocèse. Il faut remarquer que l’archevêque n’avait pas bronché quand le curé de S. Maria della Passione avait fait l’éloge en chaire, de manière exagérée, du souverain défunt louant en lui ce que le Pape avait condamné comme tort à la religion. Mgr Nazari avait en outre fait préparer une protestation signée par quatre-vingt-dix prêtres, libéraux et ennemis de don Davide. Trois heures après la rencontre avec l’archevêque de Milan, l’abbé Albertario prit le train pour Rome où, en frappant aux bonnes portes, il obtint un autre bref de Pie IX, daté du 17 janvier (1878), qui faisait l’éloge du quotidien milanais. Encore une fois, L’Osservatore avait été sauvé par le Pape et Nazari ne put plus insister pour la dissolution du journal.
• Les Rosminiens. La question rosminienne agitait les esprits du clergé en cette seconde moitié du XIXème siècle. À Milan, depuis 1851, l’archevêque Romilli avait interdit l’enseignement de la philosophie de Rosmini au Séminaire, en licenciant seize professeurs parmi lesquels le célèbre abbé Stoppani (qui sera ensuite ennemi juré d’Albertario, le dénonçant auprès d’un tribunal civil). Il faut dire aussi que le clergé plus libéral et conciliatoriste inclinait plus facilement pour les idées rosminiennes par aversion au thomisme.
Le 3 juillet 1854, sous Pie IX, la congrégation de l’Index avait publié le décret Dimittantur par lequel on imposait le silence tant aux partisans qu’aux adversaires de la philosophie rosminienne. Ce décret permit une vingtaine d’années de relative accalmie. La polémique se ralluma en 1871 suite à un article de Margotti sur l’Unità Cattolica. Albertario rappela dans les colonnes de L’Osservatore Cattolico que le décret Dimittantur n’impliquait pas du tout une approbation positive du système, mais seulement une non condamnation et rappelait que les précédentes condamnations des deux ouvrages de Rosmini permettaient de donner un jugement définitif sur la pensée politique, religieuse et civile du rovérétain ; la campagne anti-rosminienne conduite par L’Osservatore avait, naturellement, les sympathies des thomistes. Les polémiques continuèrent pendant plusieurs années et portèrent enfin un coup dur à L’Osservatore quand, en 1876, le cardinal De Luca, responsable de la Sacrée Congrégation de l’Index, sur inspiration des rosminiens, réclama un rigoureux silence sur les œuvres de Rosmini et imposa au journal milanais de reconnaître publiquement s’être trompé dans l’interprétation du Dimittantur. En réalité, comme on le découvrit ensuite, la lettre de De Luca n’était pas un décret officiel de la Congrégation mais un document privé non destiné à la publication ; mais l’archevêque de Milan, Nazari di Calabiana, hostile à Albertario, fut très heureux de laisser le journal milanais sous le poids d’une apparente, bien qu’injuste, condamnation.
Les procès contre L’Osservatore et son directeur
Nombreux furent les accrochages et les polémiques avec des adversaires et des ecclésiastiques qui l’obligèrent à se défendre dans les enceintes des tribunaux. La plupart du temps, ces procès étaient un prétexte par lequel ses ennemis essayaient de le discréditer et d’épuiser sa constitution. Certainement que le caractère fougueux, combatif et impétueux de don Davide était à l’origine de bon nombre de ses problèmes ; il se jetait “en brandissant la plume comme une épée” dans la polémique, là où cela lui semblait nécessaire pour la défense de la vérité, l’honneur du Pape et de l’Église, sans trop se perdre dans des subtilités à considérer les insignes et la dignité de ses adversaires. « “Avec le Pape et pour le Pape” était la formule et le mot de guerre : donc sur tous ceux qui plus ou moins de manière ambiguë essayent de minorer ou voiler la splendeur de la plus haute autorité, contre ceux qui la combattent ouvertement, comme contre les autres qui par intérêt, faiblesse ou vaine gloire s’adaptent aux faits accomplis, prêchent la résignation passive, le quiétisme politique, la renonciation aux droits inviolables. Qu’importe s’ils sont des hommes constitués en dignité ou des ecclésiastiques du grand monde ? C’est pire pour ceux qui n’ont pas le sens de leurs responsabilités, qui scandalisent les petits et les inférieurs, qui manquent aux devoirs du ministère. Du reste : à la guerre comme à la guerre ! » (16).
Avec un tel programme “intégriste en tout”, on peut facilement imaginer que les ennemis étaient nombreux et que chaque occasion était bonne pour des procédures judiciaires. Nombreux en effet furent les procès dans lesquels fut impliqué L’Osservatore Cattolico et qui se résolvaient souvent par des saisies ou des amendes à payer pour le journal. Dans certains cas, Albertario fut impliqué directement dans sa personne. Il eut à subir trois procès plus importants (si l’on exclue celui de 1898 qui conduisit à son incarcération et à sa mort). En 1881, l’abbé Albertario subit un procès près le tribunal ecclésiastique de Pavie pour une question de dignité sacerdotale ; en 1882, il fut accusé de ne pas avoir observé le jeûne avant la Messe et subit un procès près la curie de Milan ; en 1887, il fut cité au tribunal pour diffamation par le rosminien et conciliatoriste abbé Stoppani. Voyons séparément ces trois procès.
Le procès de 1881
Dans la cure de Viadana, une femme, parente du curé et préposée à son service, portait les signes d’une maternité avancée ; l’abbé Albertario qui y avait séjourné pour prêcher le Carême fut accusé de cette faute. En réalité, il ressortit d’une enquête faite par l’évêque de Crémone, Bonomelli, que la dame était une hystérique de mœurs faciles, déjà trois fois mère, et que don Davide était tout à fait étranger aux faits. Mais la nouvelle s’ébruita et les adversaires montèrent le scandale ; les journaux comme lo Spettatore disaient qu’Albertario avait enfreint la discipline du célibat et s’était déshonoré. Il fut apostrophé comme “le violeur de Filighera”. Le clergé libéral et rosminien fit une collecte pour instruire un procès civil à Milan ; don Davide obtint de Mgr Bonomelli – qui à cette occasion, n’avait pas préféré les questions d’appartenance politique aux intérêts de la vérité – qu’il y eut un procès ecclésiastique dans le diocèse de Pavie (le diocèse où était incardiné l’accusé). Finalement, après huit mois de débat et d’indicibles tortures pour l’abbé Albertario, tant le tribunal ecclésiastique que le tribunal civil l’absolvaient en lui rendant son honneur de prêtre et d’honnête homme. Le pauvre curé de Viadana, impliqué dans l’affaire, devint pratiquement fou et malheureusement se suicida. Albertario se consola en découvrant que saint Alphonse de Liguori avait également subi la même calomnie et que Pie IX lui-même l’avait subie par le tristement célèbre imposteur Léo Taxil.
1882 : le “procès du café” et l’exil
En avril de cette année, don Davide fut appelé à la curie par Mgr Maestri, provicaire de Mgr Nazari di Calabiana, pour se disculper d’une accusation qui tenait de l’incroyable : il fut dénoncé pour avoir rompu le jeûne naturel en buvant un café au lait avant de célébrer la messe dans l’église de S. Maria Segreta les 12, 13, 18, 20 avril (17). Albertario se proclama immédiatement innocent et le curé de S. Maria se fit son garant, mais tout ceci ne servit à rien ; “le procès du café devait être la tombe d’Albertario” comme disaient ses accusateurs et les juges eux-mêmes. Les passions qui s’agitaient chez ses détracteurs étaient grandes et le milieu de la curie milanaise lui était profondément hostile. La calomnie courut rapidement sur tous les journaux d’Italie, tous criaient au sacrilège et que le moment était venu d’en finir avec le directeur de L’Osservatore. Les premiers journaux à l’accuser furent l’Araldo de Côme et il Corriere della Sera de Milan. La curie intima à Albertario de se reconnaître coupable, autrement serait instruit le procès canonique ; ses protestations ne servirent à rien et le procès se fit : les accusateurs eux-mêmes – chose inouïe – furent entendus en tant que témoins mais furent convaincus de mensonge et de calomnie par le défenseur, l’abbé Federico Secco-Suardo. À peine terminées les audiences, leurs comptes rendus étaient publiés sur les journaux de toute la péninsule, malgré le silence imposé par les juges. L’abbé Albertario fut obligé de faire appel à Rome, en se tournant vers la S. Congrégation du Concile, qui accueillit son recours le 7 juillet. Le procès canonique se prolongea longtemps et la sentence définitive d’absolution n’arriva qu’en 1885.
En outre, on profita du moment difficile de L’Osservatore pour en désagréger la rédaction : l’abbé Barbieri fut suspendu a divinis et contraint de rentrer dans son diocèse de Crémone, où Mgr Bonomelli lui infligeait d’autres ennuis, l’abbé Massara fut dénoncé à Rome pour avoir tenu un discours considéré comme offensant contre l’archevêque, Bonacina fut démis sans traitement du poste d’enseignant de philosophie du séminaire de Lodi. Don Davide, de son côté, faisait appel de toutes ses forces à la justice du Pape, en écrivant dans un mémoire à la Secrétairie d’État : “Je demande justice, et je la demande au Vicaire du Christ et à ses serviteurs fidèles ; je la demande parce que je suis victime de l’arbitraire et que doivent cesser les provocations contre ma foi ; je la demande au nom de mon droit de chrétien, de prêtre, d’écrivain, qui a toujours agi selon les lois de l’Église Catholique et les vouloirs de son Auguste Chef” (18). Dans ce mémoire de soixante pages, don Davide traçait l’histoire des batailles de L’Osservatore et de son directeur et, s’agissant d’un document très privé, il ne lésinait pas sur les jugements, appréciations et dénonciations. Des copies mises sous clé par Albertario, une lui fut volée et donnée “en pâture” à ses détracteurs qui à la fin ne voulaient rien d’autre sinon qu’il arrête d’écrire : “qu’Albertario dépose la plume et il ne sera plus harcelé” disait le curé de S. Tommaso à Milan. Effectivement, sur le “procès du café” qui désormais traînait depuis des mois, se greffèrent toutes les autres polémiques et questions qui, depuis le début de sa carrière, avaient accompagné le directeur de L’Osservatore, en particulier les désaccords avec le clergé libéral et conciliatoriste, surtout avec l’évêque de Crémone, Bonomelli. L’évêque de Crémone avait fait interdire le journal intransigeant Corriere della Campagna édité dans son diocèse, et souhaitait faire la même chose avec L’Osservatore Cattolico, se faisant fort d’une missive de 1881 signée par le cardinal Jacobini selon laquelle le journal d’Albertario devait être mis sous son contrôle ; Bonomelli manifesta son intention au patriarche d’Alexandrie Ballerini (19), ami et protecteur d’Albertario, qui résidait à Seregno. Le 15 février de l’année suivante, l’abbé Albertario se rendit à Rome pour présenter un nouveau mémoire au cardinal Jacobini. Dans la Ville Éternelle, il visita plusieurs prélats de curie dans l’attente de l’audience avec le cardinal Jacobini qui ne le reçut pas mais lui fit parvenir une “invitation” à se rendre à Naples pour un cours de sermons. Don Davide comprit que l’on voulait l’éloigner pour quelques temps de son journal et des polémiques, il obéit et partit pour la capitale napolitaine. Son “exil”, parce qu’il s’agissait bien de cela, dura environ six mois, il resta à l’église de S. Paolo Maggiore dei Teatini en prêchant exercices et carêmes dans de nombreuses églises, obtenant un succès considérable auprès des catholiques napolitains qui le reçurent avec respect et honneur. À Naples, l’abbé Albertario, reçut la visite de Mgr Pietro Balan (20), célèbre historien des papes et son admirateur, lequel était porteur d’une missive de Léon XIII qui désirait que le journaliste pavesan ne retourne pas à L’Osservatore, tant que ne serait pas réglé le différend avec l’évêque de Crémone.
Les deux mémoires pour le cardinal secrétaire d’État, imprimés en peu d’exemplaires, pour usage privé, avaient été malheureusement dérobés par quelque malveillant et communiqués aux journaux catholiques libéraux qui les publièrent, causant un gros tort à la cause de l’abbé Albertario et de son journal. Même les journaux anticléricaux reprirent ces écrits en s’en servant pour leur propagande (21). D’autres publièrent encore les actes du “procès du café”. En somme, sur L’Osservatore et son directeur en exil s’abattit une véritable tempête qui semblait devoir l’écraser d’un moment à l’autre. L’évêque de Crémone demandait formellement au Saint-Siège que la question entre lui et Albertario fût déférée en jugement à Rome : les choses semblaient vraiment mal tourner pour notre journaliste et il craignait la fermeture de son journal (comme ses adversaires en nourrissaient l’espérance) : “agitation, terribles agonies et ennuis, exil” étaient les mots qu’il notait le plus souvent dans son journal depuis Naples où il continuait sa prédication du mois de Marie par la volonté de l’archevêque, qui essayait d’alléger son exil en le traitant très affectueusement. Le 26 mai, le cardinal Jacobini écrivit enfin à l’abbé Albertario pour lui communiquer les conclusions de la commission cardinalice qui lui enjoignait de rétracter les accusations et de se soumettre. Albertario « devait non seulement se rétracter, mais aussi réprouver ; il devait déclarer injurieuses les publications faites par L’Osservatore à l’égard de Bonomelli ; il devait reconnaître que l’impression des deux mémoires au cardinal Jacobini “en avait facilité la réimpression et la diffusion” ; il devait admettre qu’il y avait eu une “injuste et subversive ingérence dans l’administration diocésaine” de Plaisance et enfin, il devait demander humblement pardon aux deux évêques » (22). Tout ceci devait, en outre, être également publié dans le journal.
L’abbé Davide Albertario se soumit et fit tout ce qui lui était demandé “toujours obéissant au Souverain Pontife dans sa vie et dans ses écrits”, et ses déclarations furent publiées sur son journal le 25 juin (1883). « Don Davide avait accompli le plus grand sacrifice de sa vie. “Imaginez un peu – écrivait-il le 21 à sa famille de Filighera – comment un homme encore jeune, au meilleur moment de sa vie, après tant de luttes et de victoires et d’approbations des évêques et des Papes, se voit abattu”. La tentation, dans son cœur de journaliste-né, était de se jeter de l’autre côté, avec les Stoppani et les hommes du Spettatore, d’abandonner la cause du Pape qui le frappait si durement. “Mes chers parents, si je ne me décide pas à en finir et reste obéissant et aspire aux humiliations, c’est seulement par la grâce de Dieu que vous devez aussi invoquer pour moi. Autrement qui m’empêcherait de faire un journal libéral, de faire la guerre aux persécuteurs et de réunir un peu d’argent ? Mais je serai fidèle à ma vocation, à l’Église, à Dieu, n’ayez pas peur » (23). Léon XIII, de son côté, fut satisfait de la soumission d’Albertario et n’avait rien contre le journal, bien plus, il dit qu’il devait continuer à vivre et lui accorda même une aide financière.
Le 7 juillet, tomba la première sentence de la Congrégation du Concile sur le “procès du café” qui acceptait le recours d’Albertario contre la curie milanaise et révoquait le juge diocésain Ghislanzoni qui était un ennemi personnel de l’accusé. Il s’agissait d’une victoire partielle qui laissait bien augurer pour la suite de l’affaire. Vers la mi-août, don Davide fut appelé à Rome par le cardinal Parocchi, son ami et protecteur. Là, il eut des audiences auprès de plusieurs cardinaux et le 31 août, il fut reçu en audience, très cordialement, par Léon XIII qui l’assura de sa bienveillance à l’égard de L’Osservatore Cattolico, mais qui préférait qu’il restât éloigné de Milan jusqu’à la conclusion du procès. L’abbé Albertario “versa dans le cœur du Père toute l’amertume de son âme affligée depuis tant de mois, déclara accepter l’obéissance et s’en remettre pleinement dans la justice et la bienveillance du Saint-Siège”. Son exil continua quelques mois dans les environs de la Ville Éternelle, d’abord à Aspra et ensuite à Albano Laziale. À cette époque, l’abbé Albertario connut le jeune Mortara, le célèbre juif converti devenu prêtre. Don Davide ne voulait pas réintégrer Milan sans qu’un acte du Pape le lavât de la honte de l’exil qui le faisait apparaître coupable.
Entre-temps, le “procès du café” était repris à la curie milanaise et la sentence arriva l’avant-veille de Noël (1883) ; l’abbé Albertario était reconnu coupable d’avoir rompu le jeûne prescrit avant la Messe le 20 avril 1882 et d’avoir par conséquent célébré de manière sacrilège. En conséquence, la faculté de prêcher et d’enseigner le catéchisme devait lui être ôtée et il devait payer les frais du procès. Naturellement, cette sentence aussi fut publiée par Perseveranza et présentée par la presse libérale comme une victoire définitive du parti clérico-libéral-rosminien dont le chef était désormais l’abbé Stoppani. Albertario semblait désormais irrémédiablement perdu et sa carrière journalistique finie, lui-même se disait écrasé par des forces supérieures ; dans cet état d’âme, il demanda de changer de résidence et obtint de pouvoir se retirer chez les siens dans sa Filighera natale, au milieu des affections pures et simples de la famille : “comme Ève sur le morceau du Paradis perdu, contemplant la félicité perdue ; comme Adam très triste sur le cadavre de la première victime de la cruauté humaine”. Il revint chez lui au début de 1884 où il trouva pour l’accueillir sa bonne mère qui l’avait consolé dans l’exil par la prière et la parole ; elle le serra contre son sein comme un enfant. L’évêque de Pavie lui accorda de prêcher et d’enseigner et de diriger provisoirement la cure de Belgioioso. Mais c’est précisément quand les choses paraissaient humainement perdues que le Bon Dieu intervint pour tout arranger...
Le vent avait tourné, à Rome les deux recours présentés par don Davide furent accueillis et au Vatican on regardait la situation milanaise d’un autre œil, la vérité faisait son chemin. « Les méthodes des clérico- libéraux, qui se savaient appuyés par l’archevêque, les éclats de leur triomphe et l’insolence employée par eux contre Albertario si facilement accusé de manières rudes et injurieuses étaient de nature à faire réfléchir aussi des hommes à l’esprit ouvert comme le cardinal d’état Jacobini. Par ailleurs, la condamnation d’Albertario arrivait au moment où (…) se ranimaient les discussions sur la question romaine, le garde des Sceaux Zanardelli boycottait par le refus de l’exequatur la nomination des évêques, le gouvernement démontrait toujours plus de velléité à imiter le Kulturkampf germanique. Était-ce là l’heure la plus opportune pour donner libre cours aux emportements partisans contre un journaliste, que le pape lui-même avait proclamé “champion de la presse catholique” et qui depuis vingt ans se battait comme un lion pour défendre les droits du Pontificat ? » (24). L’Osservatore et Il Leonardo n’étaient pas morts : de son exil en terre natale, don Davide envoyait des articles et reprenait courage ; “je ressusciterai”, écrivait-il dans le numéro pascal en publiant une gravure représentant le baiser de Judas… c’était vraiment un “dur à cuire” conclurent ses adversaires. Ces mois le virent engagé dans des batailles pour les élections administratives et pour endiguer la propagande maçonnique qui s’organisa à Turin à l’occasion de l’ouverture du tunnel ferroviaire du Fréjus (25). Peu avant Noël, sa mère mourut consumée par les fatigues et par le mal, mais confiante en Dieu (26). Ce fut donc un Noël douloureux, d’autant plus qu’on attendait pour bientôt la sentence de la S. Congrégation du Concile sur son procès. La sentence arriva, mais c’était une sentence d’absolution révoquant celle émise par la curie milanaise un an avant : l’abbé Albertario était reconnu innocent et complètement réhabilité de l’accusation de sacrilège. Même l’énième recours présenté par la curie de Milan fut rejeté dans la sentence définitive en appel, qui arriva le 18 avril 1885, après trois années de douloureuse souffrance pour l’abbé Albertario ; il dut se souvenir de ces paroles – déjà citées – de sa bonne mère mourante : “Si les adversaires utilisent contre toi le mensonge, ils ont nécessairement une mauvaise cause ; défends la religion de ton père et la mienne, honore et aime la maison ; abandonne-toi dans les mains de Dieu et du Pape”. Encore une fois, sa bataille n’avait pas été vaine.
Le procès Stoppani
L’abbé Antonio Stoppani, savant, célèbre géologue, dut sa renommée à son œuvre la plus répandue : “Il bel paese” [Le beau pays] (1875). Stoppani était d’idées complètement opposées à celles de notre journaliste : c’était un “patriote”, un libéral favorable à la conciliation. Aumônier militaire dans les armées sardes lors de la troisième guerre d’indépendance, d’idées “transigeantes”, c’était en outre un disciple de la philosophie de Rosmini ; il était aussi directeur du Musée d’histoire naturelle de Milan. Dans les années où le Pape Léon XIII invitait les catholiques par l’encyclique “Æterni Patris” à cultiver la doctrine de saint Thomas, Stoppani fondait un périodique intitulé “Il Rosmini”, en se moquant du Dimittantur qui imposait le silence sur la philosophie du rovéretain ; son programme était un défi aux thomistes, aux anti-rosminiens et au Pape lui-même (27). Ce fut donc Stoppani qui mit le feu aux poudres…
La riposte de l’abbé Albertario, comme cela était prévisible, ne se fit pas attendre : à la revue du célèbre abbé, il opposa immédiatement la Rivista Italiana Scientifica Bibliografica, imprimée et éditée par L’Osservatore. Déjà dans le premier numéro, il apostrophait ainsi Stoppani : “Il a une humble velléité (…) de se faire non seulement chef de file, mais de modifier à son caprice l’Église catholique, de telle sorte qu’elle devienne servante obséquieuse de ce libéralisme, qui est la négation de l’Église catholique… Mais si l’outrage que Stoppani adresse aux catholiques nous conduit à nous occuper de lui, nous ne devons pas cacher le regret que nous éprouvons de nous sentir provoqués et contraints à repousser l’impertinence d’un prêtre” (28). La polémique se fit aussitôt rude sur les deux journaux avec des tons colorés, qui, à cette époque, n’étonnaient personne, d’autant moins les catholiques habitués, depuis des années, à ces joutes verbales (29).
Le 27 février 1887, Stoppani présentait au tribunal civil et pénal de Milan une plainte pour injures et diffamation permanentes, à partir de 1884, dans L’Osservatore et dans la Rivista Italiana et nommément contre les prêtres Albertario, Massara, Rossi, Secco Suardo et Bigatti. Citant des phrases d’articles qui, isolées, l’avaient le plus frappé, il se constituait partie civile auprès d’un tribunal laïc en demandant l’indemnisation des dommages et intérêts. La chose fit du bruit, Stoppani ayant obtenu non sans difficulté la permission du vicaire de Milan de recourir au tribunal civil, puisqu’à cette époque il y avait encore le for ecclésiastique et il était à juste titre considéré comme scandaleux qu’un prêtre s’adresse à un tribunal civil. De Rome se firent des pressions sur l’archevêque et sur Stoppani pour qu’il retire sa plainte (mais il paraît que d’autres prélats conseillèrent de continuer usque ad finem…). Le cardinal Rampolla, secrétaire d’état, ne permit pas aux évêques de Crémone et Plaisance, cités comme témoins par Stoppani, de se présenter au procès. “Le débat, habilement conduit par un président hostile – ayant été mises de côté les innocentes et insignifiantes figures des gérants qui n’étaient pas au courant des questions, de même que les écrivains des feuilles incriminées – se concentra presque exclusivement sur Albertario et sur L’Osservatore Cattolico et se livra à un inégal duel entre libéralisme et intransigeance catholique, à partir duquel fut mise en lumière par le ministère public toute la portée politique” (30). L’abbé Albertario fut admirablement défendu par l’avocat Paganuzzi qui montra comment, s’agissant d’une “question interne” à l’Église, c’est le tribunal ecclésiastique qui devait connaître de ce procès, et comment, le fait de l’avoir porté devant un tribunal civil, en avait fait une question de politique, de choc entre partis adverses. L’autre avocat d’Albertario, Castelli, cita de nombreux passages des écrits de Stoppani dans lesquels revenaient des expressions non moins graves que celles imputées à Albertario et aux siens, démolissant ainsi les accusations.
Le jugement, déjà écrit puisque voulu par les autorités libérales et maçonniques, fut rendu le 11 juillet (1887). Il était évidemment de condamnation pour don Davide et ses collaborateurs de L’Osservatore. Les gérants du journal et Albertario furent condamnés à payer des amendes pour injures, respectivement de 51 lires et 200 lires ; tous les accusés, y compris les prêtres, furent considérés responsables des préjudices moraux et condamnés à payer solidairement 10 000 lires à Stoppani, et 4 000 autres lires comme partie civile pour les frais de jugement, à payer les frais au trésor public et enfin, à faire publier le jugement sur L’Osservatore Cattolico, sur le Secolo de Milan et L’Opinione de Rome, dans les dix jours.
Ce fut un coup très dur pour l’abbé Albertario et son journal étant donné l’importance des grosses amendes infligées. Il s’agissait de sauver encore une fois le journal et, pour ce faire, il annonça sur L’Osservatore une souscription publique qui lui apporta rapidement de nombreuses offrandes et de la sympathie. La police fit même saisir les affiches par lesquelles le journaliste demandait de l’aide – affiches qu’il avait fait imprimer et placarder – et poursuivit, en les condamnant, les colleurs d’affiches.
Le procès en appel se conclut par une nouvelle condamnation (23 février 1888) qui diminua un peu le montant des amendes mais l’aggrava d’autres frais de justice à la charge des prévenus. L’argent récolté par la souscription ne suffisait pas et l’abbé Albertario se résolut à supprimer La Rivista Italiana, Il Popolo Cattolico, et il Leonardo da Vinci ; il fit également des emprunts auprès de particuliers pour assurer la continuation du principal journal (L’Osservatore) et le sauva.
Le comble… fut que l’abbé Stoppani destina 2 000 lires de l’argent des amendes à la construction du monument de Rosmini à Milan.
Du procès Stoppani, Albertario et L’Osservatore sortaient apparemment battus, mais la victoire morale était pour lui. Le fait d’avoir recouru à un tribunal civil se révéla une fausse manœuvre pour Stoppani qui ne lui apporta aucun bénéfice : les livres qu’il avait publiés par la suite se révélèrent un échec et furent snobés par le public. De plus, le 7 mars 1888, parut le décret Post obitum qui condamnait les quarante propositions rosminiennes ; L’Osservatore en donna en primeur la nouvelle à Milan, et pour Albertario ce fut une avantageuse compensation des souffrances et des amertumes des deux dernières années. Stoppani qui continuait la publication de sa revue, malgré les affectueux avis de ceux qui lui conseillaient de la suspendre, vit Rosmini mis à l’index en juin 1889 (31).
Après l’inique procès Stoppani, la sympathie pour Albertario et ses idées augmentèrent dans le peuple catholique : laïcs et jeunes clercs tout juste sortis du séminaire étaient conquis par le programme de L’Osservatore Cattolico, alors que les rangs du “parti” clérico-libéral se clairsemaient toujours plus, au point que, après quelques années, restèrent comme des dinosaures seulement quelques vieux chefs du parti qui combattirent ainsi un temps. La clarté et la cohérence de la devise “avec le Pape et pour le Pape” avait renversé les adversaires et la vérité et la cohérence avaient triomphé sur l’erreur et le compromis. L’avocat Giambattista Paganuzzi, qui avait brillamment défendu Albertario lors du procès, devint président de l’Opera dei Congressi [l’œuvre des Congrès] qui était la plus importante organisation d’action catholique en Italie.
Mgr Giuseppe Sarto (le futur saint Pie X), dix-sept jours après la sentence contre L’Osservatore la commentait ainsi en écrivant à un journaliste ami : “dans la Marchetta (petit journal local) de samedi, mets une notule distincte sur la somme recueillie jusqu’à présent par L’Osservatore Cattolico pour payer l’amende et les frais du procès. C’est différent d’une condamnation ! C’est une preuve de la faveur dont il jouit auprès de tous les bons ; et aucun autre journal ne pourrait aspirer à autant” (32).
Notes et références
1) GIUSEPPE PECORA, In prigione in nome di Gesù Cristo. Vita di don Davide Albertario, campione del giornalismo cattolico. Centro Librario Sodalitium – Centro Studi Davide Albertario, Verrua Savoia 2002, p. 55.
2) G. PECORA, op. cit. pp. 56-57.
3) G. PECORA, op. cit. pp. 58.
4) À cette époque, l’archidiocèse de Milan se trouvait dans une situation très difficile : depuis 1859 à la mort de l’archevêque Bartolomeo des comtes Romilli di Bergamo s’étaient créés de forts désaccords pour sa succession entre le gouvernement de Turin et le Saint-Siège. C’est à cette situation contingente de la ville de Milan que l’on doit l’origine de L’Osservatore Cattolico, le journal auquel Albertario liera son nom au cours des années suivantes. L’archevêque Romilli était mort en effet le 7 mai 1859 au moment de la déclaration de la guerre (IIème guerre d’Indépendance). Sur proposition de l’Empereur d’Autriche, François-Joseph, d’après le concordat en vigueur, entre la bataille de Magenta du 4 juin (1859) et la paix de Villefranche du 8 juillet, Pie IX avait préconisé pour le siège milanais Mgr Paolo Angelo Ballerini, alors vicaire général du défunt archevêque, connu comme très dévot au Saint-Siège. Le nouveau gouvernement piémontais refusa de reconnaître la nomination de Ballerini avec l’excuse que la proposition impériale n’avait pas de valeur dans la mesure où les Autrichiens n’étaient plus les maîtres de Milan. Ballerini fut sacré en cachette à la chartreuse de Pavie par Mgr Caccia Dominioni, vicaire capitulaire du diocèse et auxiliaire de Romilli. Ballerini, dont la consécration resta secrète, fut l’objet d’une très violente campagne de presse et fut également menacé de mort, se retira à Cantù, aidant le curé dans le ministère des confessions, après avoir nommé son vicaire épiscopal, Mgr Caccia Dominioni qui gouverna le diocèse à sa place, pendant de nombreuses années en obéissant à Ballerini à qui le gouvernement refusait toujours l’exequatur. La presse catholique libérale et conciliatoriste philo-gouvernementale se déchaînera contre Caccia Dominioni et Ballerini.
5) G. PECORA, op. cit. pp. 48-50.
6) La situation difficile du diocèse de Milan (cf. note 4) s’était résolue en 1867 quand Pie IX parvint à un compromis avec le gouvernement (qui s’était déjà établi à Florence), lorsque Mgr Ballerini renonça à l’archevêché de Milan et fut promu Patriarche latin d’Alexandrie et Mgr Luigi des comtes Nazari di Calabiana fut transféré du siège épiscopal de Casale Monferrato à celui de Milan. Précédemment, en 1866, le vicaire Caccia Dominioni était mort et Ballerini avait dû manifester publiquement sa qualité d’évêque de Milan rendant nulle (au moins pour quelque temps…) la tentative du gouvernement de placer sur la chaire de saint Ambroise un personnage de la mouvance libérale et conciliatoriste.
7) Giuseppe Marinoni, après avoir laissé en 1872 L’Osservatore Cattolico entre les mains de l’abbé Albertario, fut ensuite fondateur de la congrégation du PIME (Institut Pontifical des Missions Étrangères).
8) L’Université Catholique du Sacré-cœur de Milan doit certainement compter parmi ses inspirateurs et presque fondateurs à juste titre, l’abbé Davide Albertario qui, à plusieurs reprises, en soutint et appuya la naissance. Il est déconcertant de penser qu’aujourd’hui, dans cette université, il n’y a pas une seule salle qui lui soit dédiée (alors que des personnages comme le cardinal Ferrari, Frassati, etc. ont la leur). Mais on sait qu’Albertario fut toujours un personnage pas commode de son vivant et post mortem et pierre d’achoppement pour les libéraux et les modernistes…
9) G. PECORA, op. cit., p. 71.
10) G. PECORA, op. cit., p. 73.
11) Sur l’anticléricalisme du mouvement du Risorgimento, on peut consulter les auteurs suivants : ANGELA PELLICCIARI, Risorgimento da riscrivere, Ares Milano 1998 ; Risorgimento anticattolico, Piemme Casale Monferrato 2004 ; La verità sugli uomini e sulle cose del Regno d’Italia, présenté par ELENA BIANCHINI BRAGLIA, edizioni Terra e identità, Modena 2005.
12) G. PECORA, op. cit., p. 79.
13) Bref papal du 4 février 1874, cité in G. PECORA, op. cit., p. 83.
14) G. PECORA, op. cit., p. 84.
15) G. PECORA, op. cit., pp. 104-105.
16) G. PECORA, op. cit., p. 142.
17) De nos jours, l’accusation émise contre l’abbé Albertario fait presque sourire, et personne ne penserait aujourd’hui à faire un procès pour un fait de ce genre, mais il est nécessaire de rappeler la règle de la loi du jeûne eucharistique avant la sainte Communion qui devait être absolu (même l’eau naturelle n’était pas permise) depuis minuit. Cette antique discipline de l’Église, d’origine apostolique, fut ensuite atténuée après la guerre par le pape Pie XII quand il permit la messe du soir (l’après-midi) et se vit contraint de réduire à seulement trois heures le temps du jeûne avant la sainte Communion, en recommandant cependant que ceux qui pouvaient continuent à observer l’ancienne discipline. Tout ceci doit nous animer d’un profond respect en recevant la sainte Eucharistie avec les meilleures dispositions y compris du corps, puisqu’elle doit être le premier “aliment” à entrer dans notre corps suivant les paroles de Jésus “cherchez d’abord le royaume des cieux et tout le reste vous sera donné par surcroît”.
18) Cité par G. PECORA, op. cit., p. 158.
19) Concernant la personne de Ballerini et les affaires qui le regardent, voir la note n° 6 ci-dessus.
20) Pietro Balan est l’auteur de la “Storia della Chiesa Cattolica” de 1846 à Léon XIII, qui continuait celle plus célèbre de l’abbé Rohrbacher (Marietti Torino 1904).
21) La Società Anticlericale Cremonese le publia sous le titre : “Guerra al coltello fra il prete Albertario e il vescovo Bonomelli” [Guerre au couteau entre le prêtre Albertario et l’évêque Bonomelli] en ajoutant comme commentaire que, pour eux, “ces deux meneurs de la réaction des curés ont la même valeur morale”.
22) G. PECORA, op. cit., p. 181.
23) G. PECORA, op. cit., p. 183.
24) G. PECORA, op. cit., p. 197.
25) Le Pape Léon XIII venait de condamner la Franc-maçonnerie par la magnifique encyclique Humanum genus.
26) Sa mère mourut en lui disant ces belles paroles : “Je sais peu de choses, mais je sais quelque chose…”, déjà citées au début de cet article dans le paragraphe concernant les origines.
27) Stoppani publia en première page et dans chaque fascicule, comme une enseigne, des extraits de la lettre de Grégoire XVI, In sublimi, et du bref dans lequel le même pape louait la piété de Rosmini, un extrait du Dimittantur, et en outre – chose inouïe – la célèbre rétractation Massara-Albertario du 30 juin 1876 (cf. Le paragraphe sur les rosminiens p. 10). En pratique, le “silence” imposé sur la question rosminienne devait être observé, d’après le célèbre abbé, seulement par les autres, ses adversaires, c’est-à-dire les albertariens…
28) G. PECORA, op. cit., pp. 225-226.
29) Déjà en 1884 avait eu lieu un procès pour injure et diffamation à Crema, passé à l’histoire comme “procès des rosmininiens” qui avait impliqué Stoppani et Albertario et s’était terminé par la condamnation de la rédaction de L’Osservatore à payer 1 500 lires de préjudice moral et la publication du jugement sur le journal.
30) G. PECORA, op. cit., pp. 230-231. Le moment politique où se déroula ce procès n’était pas des plus favorables pour les rapports entre le Saint-Siège et le gouvernement italien. À la tête du gouvernement se trouvait le franc-maçon Francesco Crispi et plusieurs lois anticatholiques furent promulguées à cette époque. L’obligation de l’instruction religieuse dans les écoles primaires fut supprimée, les biens des confréries et des œuvres charitables furent “réglés”, et des lois furent faites contre les présumés abus du clergé et les “intempérances” de la presse catholique. À Rome, au Campo dei Fiori (là où l’hérétique avait été brûlé), fut érigée en 1889 une statue à Giordano Bruno en affront à l’Église. En somme, l’anticléricalisme maçonnique d’état s’était répandu partout. Inutile de dire que toutes les audiences du procès Stoppani étaient données en pâture aux journaux libéraux et publiées par eux, d’après l’habitude adoptée autrefois et consolidée dans les précédentes polémiques.
31) Après la mise à l’index du premier journal, Stoppani continua en publiant Il nuovo Rosmini dans lequel il faisait des comparaisons entre Galilée et son cher philosophe… mais il fut condamné et cette publication fut aussi mise à l’index en février 1890. Tout ceci démontrait enfin que la raison (et le Pape) étaient du côté d’Albertario.
32) G. PECORA, op. cit., p. 240.