Doctrine
L'élection du Pape
Par Monsieur l'abbé Francesco Ricossa
Note : cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°54. Cette page intègre également l'article "“L’élection du Pape”. Réactions à notre article et commentaire" publié dans le n°55 de la revue.
Périodiquement, Mgr Marc Pivarunas C.M.R.I. (évêque consacré par Mgr Carmona) envoie à ses fidèles une lettre intitulée Pro grege (1). Celle du 19 mars 2002 a particulièrement attiré mon attention. Le prélat américain (U.S.A.) – qui suit la thèse du siège vacant – y répond (à la p. 5) à deux objections du supérieur de district local de la Fraternité Saint Pie X, l’abbé Peter Scott.
“Il est cependant absurde de dire, comme le font les sédévacantistes, qu’il n’y a pas eu de Pape depuis plus de 40 ans, car cela détruirait la visibilité de l’Église, et la possibilité même d’une élection canonique d’un futur Pape”. Les objections ne sont pas nouvelles (2) ; plus intéressante est la réponse de Mgr Pivarunas.
Pour ce qui est de la première difficulté (le fait pour la vacance apostolique de se prolonger) Mgr Pivarunas répond en alléguant l’exemple historique du Grand Schisme d’Occident. Le Père Edmund James O’Really S.J. (3), dans son livre The Relations of the Church to Society [Les relations de l’Église avec la Société] édité en 1882, écrivait à ce propos :
“Nous pouvons maintenant cesser d’enquêter sur ce qui a été dit à cette époque de la position des trois prétendants et de leurs droits vis-à-vis de la papauté. En premier lieu, depuis la mort de Grégoire XI en 1378, il y a toujours eu un Pape – à l’exception naturellement des vacances entre les décès et les élections. Je pense qu’à tout instant il y a eu un Pape réellement investi de la dignité de Vicaire du Christ et de Chef de l’Église, même si les opinions diffèrent quant à sa légitimité ; non pas dans le sens qu’un interrègne couvrant toute la période aurait été impossible ou inconciliable avec les promesses du Christ, parce que ceci est évident, mais en ce sens que, de fait, il n’y a pas eu cet interrègne” (Pivarunas, p. 5).
La chose est tellement évidente qu’il est inutile d’insister.
Il est plus difficile, par contre, de répondre à la seconde difficulté. Voyons ce qu’écrit Mgr Pivarunas à ce sujet.
« Pour ce qui est de la seconde ‘difficulté’ proposée par la Fraternité Saint Pie X contre la position sédévacantiste, c’est-à-dire l’impossibilité de l’élection d’un futur Pape si le siège est vacant depuis Vatican II, voici ce qu’on peut lire dans l’‘Église du Verbe Incarné’ de Mgr Charles Journet : “Pendant la vacance du siège apostolique, ni l’Église ni le Concile ne sauraient contrevenir aux dispositions prises pour déterminer le mode valide de l’élection (Card. Gaetano o.p., De comparatione…, cap. XIII, n. 202). Cependant, en cas de permission, par exemple si le Pape n’a rien prévu qui s’y oppose, ou en cas d’ambiguïté, par exemple si l’on ignore quels sont les vrais cardinaux, ou qui est vrai Pape, comme cela s’est vu au temps du grand schisme, le pouvoir d’‘appliquer la papauté à telle personne’ est dévolu à l’Église universelle, à l’Église de Dieu (ibid., n° 204)” » (4).
Avec cette citation, Mgr Pivarunas pense avoir suffisamment répondu à l’abbé Scott : en l’absence de cardinaux – et uniquement en ce cas (5) – le Pape peut être élu, par dévolution (6), par l’Église.
Mais en réalité la difficulté change seulement d’objet : qu’entend-on, en effet, dans ce contexte par ‘Église universelle’ ?
Dans sa lettre, Mgr Pivarunas ne le précise pas. Pas plus que Journet à l’endroit cité. Mais puisque Journet fait sienne la position du Cardinal Cajetan (7), citant son ouvrage De comparatione auctoritatis Papæ et Concilii cum apologia eiusdem tractatus (8), nous pouvons facilement établir la signification de cette expression en consultant Cajetan lui-même.
Le Cardinal Cajetan, par le terme ‘Église universelle’, entend désigner le Concile général
Nous avons vu que, dans des cas extraordinaires, le Pape peut, en l’absence de cardinaux, être élu par l’‘Église universelle’ ; mais qu’entend donc le Cardinal Cajetan par ce terme ?
Il suffit de feuilleter le De comparatione pour trouver la réponse – indubitable – à notre question. Déjà le titre nous l’indique : De comparatione auctoritatis Papæ et Concilii, seu Ecclesiæ universalis (n° 5) (Sur la comparaison de l’autorité du Pape et du Concile, c’est-dire de l’Église universelle) : l’Église universelle et le Concile ne font qu’un. Mais c’est au chapitre V (n° 56) que Cajetan procède à une définition explicite des termes :
“Après avoir examiné la comparaison entre le pouvoir du Pape et celui des apôtres en raison de leur apostolat, nous devons maintenant comparer le pouvoir du Pape et le pouvoir de l’Église universelle, autrement dit du Concile universel, maintenant d’un point de vue général, ensuite, comme nous l’avons annoncé, dans certains cas et événements (particuliers). Et comme les opposés, mis en confrontation, deviennent plus clairs, j’apporterai avant tout les raisons principales dans lesquelles se trouve la valeur (des arguments) par lesquels il est prouvé [par les adversaires, n.d.t.] que le Pape est soumis au jugement de l’Église, c’est-à-dire du Concile universel. Et afin [que je n’ai plus à] mettre ensemble Église et Concile [je précise qu’] ils sont pris comme synonymes, car la seule distinction entre eux est que l’un représente et l’autre est représenté” (9). Par ailleurs le contexte général de l’ouvrage nous indique clairement que Cajetan par “Église universelle” entend Concile général ; le De comparatione répond en effet aux objections des conciliaristes selon lesquels le Pape est inférieur à l’Église, c’est-à-dire au Concile (9). Mais il y a plus. Précisément lorsqu’il parle de l’élection du Pape, Cajetan utilise indifféremment les termes d’“Église” et de “Concile” : “in Ecclesia autem seu Concilio” (n° 202). Et même quand il s’agit de présenter le cas concret de l’élection extraordinaire d’un Pape, Cajetan ne parle pas tellement d’“Église universelle” il parle plutôt de Concile général : “si Concilium generale cum pace Romanæ ecclesiæ eligeret in tali casu Papam, verus Papa esset ille qui electus sic esset” (n° 745) (“si en ce cas le Concile général élisait le Pape avec la paix [l’acceptation pacifique] de l’Église romaine, celui qui serait élu de cette manière serait vraiment Pape”).
Il est donc évident que, pour Mgr Journet et le Cardinal Cajetan, c’est le Concile général imparfait (10) qui, en l’absence de cardinaux, a la charge d’élire le Souverain Pontife.
Les évêques résidentiels, en tant que membres de droit de ce Concile général, pourraient élire le Pape
Étant établi que ce sont les membres du Concile général qui sont les électeurs extraordinaires du Pape (en l’absence de cardinaux), reste à voir qui peut participer, de droit, au Concile général. Le Code de droit canon – traitant du Concile œcuménique – énumère les membres de droit du Concile avec vote délibératif, au canon 223 :
§ 1. Sont appelés au Concile et y ont le droit de vote délibératif :
1° Les Cardinaux de la Sainte Église Romaine, même s’ils ne sont pas évêques ;
2° Les Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques résidentiels, même non consacrés ;
3° Les Abbés ou prélats nullius ;
4° L’Abbé Primat, les Abbés Supérieurs de Congrégations monastiques, les Supérieurs généraux des congrégations cléricales exempts, mais pas des autres religions, à moins que le décret de convocation n’en dispose différemment ;
§ 2. Les Évêques titulaires appelés au Concile ont eux aussi le vote délibératif, à moins que ne soit explicitement prévu le contraire dans la convocation.
§ 3. Les théologiens et canonistes éventuellement invités au Concile ont seulement un vote consultatif.
Ce canon n’exprime pas seulement le droit positif mais aussi la nature même des choses. Notons, en effet, que les Évêques titulaires, privés de juridiction, peuvent ne pas être convoqués au Concile ou ne pas avoir droit de vote. Au contraire, les Cardinaux, les Évêques résidentiels, les Abbés ou les prélats nullius (11) même non consacrés évêques participent de droit au Concile, parce qu’ils ont juridiction sur un territoire (12). Ce qui signifie qu’en soi le critère pour être membre du Concile est d’appartenir à la hiérarchie en raison de la juridiction et non de l’ordre sacré (pour cette distinction, de droit divin, voir le can. 108§3).
Les choses étant ce qu’elles sont, il nous semble que Mgr Pivarunas (et avec lui, tous les sédévacantistes simpliciter, ceux par conséquent qui ne suivent pas la thèse du Père Guérard des Lauriers) n’ont pas répondu suffisamment à la difficulté posée par la Fraternité Saint Pie X. En effet, dans une position strictement sédévacantiste, on ne voit pas où sont les évêques résidentiels catholiques qui pourraient et voudraient élire un Pape, étant donné que tous les évêques résidentiels (et autres prélats qui auraient juridiction) ou bien ont été nommés invalidement par les antipapes ou bien sont de toute façon formellement hérétiques et hors de l’Église – adhérant aux erreurs de Vatican II – ou encore sont de toute façon en communion avec Jean-Paul II, chef de la nouvelle “Église conciliaire”. L’Église hiérarchique aurait, en somme, totalement disparu, non seulement en acte et formellement, mais aussi en puissance et matériellement (13).
Les Évêques sans juridiction ne peuvent élire le Pape
Nous avons vu que dans des circonstances anormales l’élection du Pape – selon la pensée des théologiens qui ont traité de la question – revient au Concile général imparfait, autrement dit aux Évêques et prélats qui jouissent, dans l’Église elle-même, d’une juridiction. Le Pape est, en effet, Évêque de l’Église universelle : il est donc normal qu’exceptionnellement ce soient les prélats de l’Église universelle gouvernant, comme lui et au-dessous de lui, une portion du troupeau qui l’élisent. Nous avons vu aussi que par la nature même des choses, et en conséquence de ce qui a été dit, sont exclus du nombre des électeurs per accidens du Pape, les Évêques titulaires, Évêques consacrés avec le mandat romain mais privés de juridiction dans l’Église.
A plus forte raison sont exclus du nombre des électeurs – précisément parce qu’exclus du Concile général – les Évêques consacrés sans mandat romain dans les conditions exceptionnelles de la vacance actuelle (formelle) du Siège Apostolique. Ces Évêques ont en effet été consacrés validement et même, à notre avis, – au moins dans certains cas – licitement ; mais cependant ils sont – de la façon la plus absolue – privés de juridiction par le fait que l’Évêque reçoit de Dieu la juridiction seulement par l’intermédiaire du Pape, intermédiaire exclu dans notre cas (14). Étant privés de juridiction, ils n’appartiennent pas à la hiérarchie de l’Église selon la juridiction, ce pour quoi ils ne sont pas membres de droit du Concile et ne sont donc pas habilités à élire validement le Pape, pas même dans des cas extraordinaires.
Ce point de doctrine, déjà établi en soi, est confirmé par l’impossibilité pratique d’élire un Pape sûr et non douteux en suivant cette voie. Qui pourra établir de façon certaine, parmi les nombreux Évêques qui ont été et seront encore consacrés de cette manière, ceux qui ont le droit de participer à l’élection et ceux qui ne l’ont pas ? Qui a le droit de convoquer le Conclave et qui ne l’a pas ? Qui peut être considéré comme légitimement consacré et qui non ? En l’absence de critère de discernement (le mandat romain, le siège résidentiel) il n’y a pas de limites en soi à ces consécrations ni de la part de qui les peut autoriser (le Pape) ni en ce qui concerne la portion de territoire à gouverner (le diocèse). Le nombre des électeurs peut donc croître démesurément sans aucune garantie de leur catholicité, comme il est advenu concrètement. Et de fait il a déjà été procédé à diverses élections qui n’ont eu aucune suite, pas même parmi les partisans du ‘conclavisme’, toujours prêts à ‘faire le pas’, mais seulement en théorie.
À plus forte raison, les laïcs ne peuvent élire le Pape
Si les Évêques titulaires, pourtant nommés par le Pape, ne peuvent élire le Pape, si ne le peuvent pas non plus les Évêques purement consacrés, sans mandat romain, de simples prêtres le peuvent encore moins. Quant aux laïcs, ils sont exclus de façon plus radicale encore de toute élection ecclésiastique.
Cette conclusion est confirmée par le droit positif de l’Église, tant pour ce qui regarde toute élection ecclésiastique en général que pour ce qui concerne l’élection du Pape.
Á propos de toute élection ecclésiastique, le canon 166 stipule que “si des laïcs s’immisçaient d’une façon quelconque dans une élection ecclésiastique, de manière à entraver la liberté canonique, l’élection serait nulle de plein droit” (Si laici contra canonicam libertatem electioni ecclesiasticæ quoque modo sese immiscuerint, electio ipso iure invalida est).
Pour l’élection papale, c’est la constitution Vacante Sede Apostolica du 25 décembre 1904, promulguée à cet effet par Saint Pie X, qui fait autorité. Le principe général est exprimé au n. 27 : “Le droit d’élire le Souverain Pontife revient uniquement et exclusivement (privative) aux Cardinaux de la Sainte Église Romaine, l’intervention de tout autre dignitaire ecclésiastique ou pouvoir laïc de quelque grade ou ordre que ce soit, étant absolument exclue et écartée”. Au n. 81, saint Pie X renouvelle la condamnation du soi-disant droit de Veto ou d’Exclusive du pouvoir laïc déjà sanctionnée par lui-même dans la Constitution Commissum nobis du 20 janvier 1904, et il conclut : “Cette interdiction, nous voulons qu’elle soit étendue à toute intervention, intercession ou autre moyen par lequel les autorités laïques, de quelque ordre ou grade qu’elles soient, voudraient s’immiscer dans les élections du Pontife”. Le saint Pontife fait allusion à ce qui arriva durant le Conclave qui l’élit au Souverain Pontificat, lorsque l’Empereur François-Joseph, par l’entremise du Cardinal Archevêque de Cracovie, mit son veto à l’élection du cardinal Mariano Rampolla del Tindaro, ancien secrétaire d’État de Léon XIII. Dans la Constitution Commissum, saint Pie X affirme que ce présumé droit de “Veto” déjà condamné par ses prédécesseurs Pie IV (In eligendis), Grégoire XV (Æterni Patris), Clément XII (Apostolatus officium) et Pie IX (In hac sublimi, Licet per Apostolicas et Consulturi) est contraire à la liberté de l’Église. Son office, écrit le Saint Pontife, est celui de faire en sorte que “la vie de l’Église se déroule de manière absolument libre, étant éloignée toute intervention externe, comme le voulut son Divin Fondateur, et comme le requiert absolument sa mission sublime. Or, s’il est une fonction dans la vie de l’Église qui requiert plus que toute autre cette liberté, on doit considérer sans aucun doute que c’est celle concernant l’élection du Pontife Romain ; en effet ‘il ne s’agit pas d’un membre, mais de tout le corps, quand il s’agit du chef’ (Grégoire XV, Æterni Patris)”. L’exclusion de l’intervention des autorités civiles inclut naturellement celle de tout membre du laïcat quel qu’il soit : “Nous établissons qu’il n’est licite à personne, pas même aux chefs d’état, quel qu’en soit le prétexte, de s’interposer ou de s’ingérer dans les graves questions de l’élection du Pontife Romain”.
Comme on voit, l’exclusion de toute intervention laïque est considérée par saint Pie X non comme une disposition transitoire, mais comme absolument nécessaire pour que l’Église soit comme l’a voulu son Fondateur, Jésus-Christ.
Ce qui est établi par le Code de Droit Canon et par saint Pie X est parfaitement conforme à toute la tradition. Le Code lui-même renvoie au Corpus Iuris canonici (l’ancien droit ecclésiastique) où les décrétales de Grégoire IX (livre I, titre VI, de electione et electi potestate) prévoient l’invalidité de l’élection faite par les laïcs : le chapitre 43 cite le IVème Concile du Latran de 1215 (Constitution XXV : Quiconque consent à sa propre élection faite abusivement par le pouvoir séculier, contre la liberté canonique, perd l’élection et devient inéligible…”) ; au chapitre 56 est cité un document de Grégoire IX de 1226 par lequel est déclarée invalide l’élection d’un évêque faite par les laïcs et par les chanoines, selon une habitude appelée plutôt “corruption”.
Nous pourrions citer d’autres documents ecclésiastiques à ce propos, parmi lesquels divers Conciles œcuméniques : le second Concile de Nicée de l’an 787 (DS 604), le second de Constantinople de l’an 870 (DS 659), le premier Concile du Latran, de 1123, contre les investitures des laïcs (DS 712)…
Si, dans le passé, l’Église avait à défendre sa liberté de l’influence des Princes dans les élections, avec la Révolution elle eut à la défendre de la prétention démocratique de faire élire les Évêques par le peuple. C’est ainsi que le Pape Pie VI, par le Bref Quod aliquantulum du 10 mars 1791, condamna la Constitution civile du clergé votée par l’Assemblée nationale. Ce n’est pas un hasard si le Pape Braschi reliait les décisions des révolutionnaires français en la matière avec les plus anciennes erreurs de Wyclif, Marsile de Padoue, Jean de Jandun et Calvin (cf. Enseignements Pontificaux – l’Église, 81-82, et Pie VI, Écrits sur la Révolution française, Ed. Pamphiliennes, pp. 16-20).
Quelle est alors la valeur de la participation populaire à certaines anciennes élections ? C’est encore Journet qui le rappelle : “Au cours du temps ont pris part à l’élection, à des titres divers : le clergé romain (par un titre qui semble premier et direct), le peuple (mais pour autant qu’il donnait son consentement et son approbation à l’élection faite par le clergé), les princes séculiers (soit d’une manière licite en donnant simplement leur consentement et leur appui à l’élu ; soit d’une manière abusive en interdisant, comme fit Justinien, que l’élu fût consacré avant l’approbation de l’empereur), enfin les cardinaux, qui sont les premiers parmi les clercs romains, en sorte que c’est au clergé romain qu’aujourd’hui l’élection du pape est de nouveau confiée” (op. cit., p. 977) (15).
Donc, pour le peuple des fidèles, un vote seulement consultatif ou approbatif ; et il en est ainsi par une exigence dogmatique fondée sur la distinction et la subordination qui existent dans l’Église entre clergé et fidèles, distinction qui est de droit divin. C’est ce que rappelle, entre autres, le Cardinal Mazzella, théologien romain :
“En troisième lieu, des mêmes documents, ressort et la distinction entre Clercs et Laïcs, et le fait que la hiérarchie constituée dans l’ordre clérical soit de droit divin ; et par conséquent que par le même droit divin, la forme démocratique est exclue du gouvernement de l’Église. Cette forme démocratique subsiste quand l’autorité suprême se trouve dans toute la multitude ; non en ce sens que toute la multitude commande et gouverne en acte, ce qui serait impossible ; mais en ce sens que – comme dit Bellarmin (de Rom. Pont. L. 1, c. 6) – là où le régime populaire est en vigueur, les magistrats sont constitués par le peuple même, et reçoivent de lui leur autorité ; ne pouvant légiférer lui-même, le peuple doit au moins instituer des représentants qui le font en son nom’. Mais, étant supposée une hiérarchie divinement constituée dans l’ordre clérical, c’est à elle et non à tout le peuple que l’autorité a été communiquée par le Christ ; et par conséquent c’est par institution du Christ que le droit de constituer les gouvernants ne réside pas dans le peuple, et que ceux-ci ne gouvernent pas l’Église au nom du peuple. Pour une meilleure compréhension de ceci, observons :
1) comme dit Bellarmin (de mem. Eccles. L. 1 c. 2), ‘dans la création des Évêques sont contenues trois choses : l’élection, l’ordination et la vocation ou mission ; l’élection n’est rien d’autre que la désignation d’une personne déterminée à la prélature ecclésiastique ; l’ordination est une cérémonie sacrée par laquelle, au moyen d’un rite déterminé, le futur Évêque est oint et consacré ; la mission ou vocation confère la juridiction, et par le fait même fait le pasteur et le prélat’.
2) Aussi le fait d’élire, de demander et de rendre témoignage sont choses très différentes. En effet, qui rend témoignage en faveur de quelqu’un ou demande qu’un tel soit élu, ne lui confère pas un droit à obtenir une dignité ; il joue seulement le rôle d’une personne qui loue et demande. Celui par contre qui élit, appelle canoniquement à la dignité, et confère un vrai droit à la recevoir (…)” (16).
En résumé, dans les élections ecclésiastiques le peuple peut rendre témoignage des qualités d’un sujet (testimonium reddere) et en demander l’élection (petere) mais il ne peut absolument pas voter dans un élection canonique, et donc élire un candidat à une charge ecclésiastique en lui donnant le droit de recevoir – en tant que personne élue – cette charge. Et cette conclusion se fonde sur un principe qui appartient à la foi et à la volonté du Seigneur : c’est-à-dire le fait que l’Église n’est pas une société démocratique, mais hiérarchique (et même monarchique) (17) fondée sur la distinction – de droit divin – entre Clergé et Laïcs. ¨Les “traditionalistes” qui attribuent à des personnes qui ne font pas partie de la hiérarchie de juridiction, et même à de simples fidèles, le pouvoir d’élire jusqu’au Souverain Pontife, sont paradoxalement pollués par l’hérésie d’une Église démocratique très répandue parmi les “modernistes” style “communauté de base” ou “l’Église c’est nous”.
Le Clergé romain et l’élection du Pape
Nous avons exclu du pouvoir d’élire le Pape les laïcs et les Évêques sans juridiction (à plus forte raison les simples prêtres). Il nous reste à voir un sujet particulier du droit d’élire le Pape : le clergé romain. Si “le pouvoir d’élire le Pape appartient, de par la nature des choses, et donc de par le droit divin” – écrit Journet à la p. 977 – “à l’Église prise avec son chef, le mode concret dont se fera l’élection, dit Jean de Saint-Thomas, n’a nulle part été marqué dans l’Écriture : c’est le simple droit ecclésiastique qui déterminera quelles personnes dans l’Église pourront validement procéder à l’élection”.
Le droit ecclésiastique actuel (et ce à partir de 1179) prévoit que seuls les Cardinaux peuvent élire validement le Pape. C’est ainsi que se maintient la plus ancienne tradition ecclésiastique qui veut que l’Évêque soit élu par son clergé et les Évêques voisins. Les Cardinaux sont en effet les membres principaux du Clergé romain (diacres et prêtres), unis aux Évêques des diocèses limitrophes, dits suburbicaires (eux aussi Cardinaux). Cajetan écrit qu’il est normal que le Pape soit élu par son église qui est l’église romaine et l’Église universelle, parce que le Pape est l’Évêque de Rome et l’Évêque de l’Église Catholique (n° 746). Cajetan prévoit même que « tous les Cardinaux étant morts, leur succède de façon immédiate [dans le pouvoir d’élire le Pape] l’Église Romaine, par laquelle fut élu [le Pape saint] Lin avant toute disposition de droit humain à notre connaissance » (n° 745). “L’Église Romaine” en effet “représente l’Église universelle dans le pouvoir électif” (n° 746). Comme nous avons fait au sujet de l’“Église universelle”, nous devons nous demander qui sont les membres de l’“Église Romaine” qui pourraient élire le Pape à défaut des Cardinaux qui, de cette Église romaine, sont les membres principaux. Cajetan explique (n° 202) : le fait que l’élection revienne à tel ou tel diacre ou prêtre des églises romaines, dits Cardinaux, et non à d’autres (comme par exemple les chanoines de Saint-Pierre ou de Saint-Jean-de-Latran), ou à tel ou tel autre Évêque suburbicaire, et non à d’autres, est disposition de droit positif ecclésiastique et non de droit divin. L’Église ne peut changer ces dispositions de droit ecclésiastique (n° 202), mais en cas de disparition de tous les cardinaux on peut supposer que les autres membres du clergé romain pourraient élire leur propre Évêque. Il est évident que pour être membres du clergé romain il ne suffit pas d’être nés ou de résider à Rome ! Il faut être incardiné dans le diocèse et probablement avoir la charge pastorale du peuple romain ou des diocèses limitrophes. Il est facile de se rendre compte que même en ce cas on ne voit pas qui pourrait, concrètement, pouvoir ou vouloir élire le Pape, vu que le clergé romain (curés, évêques limitrophes, etc.) est actuellement en communion avec Jean-Paul II.
Le Pape ne peut être désigné directement par le Ciel (parce que Dieu ne le veut pas)
Face à la situation si grave que vit l’Église, et qui a mené à la privation de l’Autorité, certains ont pensé que la solution ne pouvait venir que d’une intervention – exceptionnelle – de Dieu. Cette pensée se fonde sur une intuition vraie : l’histoire et l’Église sont entre les mains de Dieu, et “rien n’est impossible à Dieu” (Lc I, 37). Parmi eux certains ont pensé à une intervention d’Enoch et Elie, identifiés (à tort, à mon avis) aux deux témoins de l’Apocalypse. D’autres ont émis l’hypothèse de la survivance de l’Apôtre Jean. D’autres encore ont imaginé une élection papale faite directement par le Christ et par les Apôtres Pierre et Paul (18). Et il ne manque pas de gens à avoir publié des prophéties de Saints en faveur de cette opinion (19).
Mgr Guérard des Lauriers, dans son interview à Sodalitium (n° 13, p. 22) affirme à propos du sédévacantisme complet : “La personne physique ou morale qui a, dans l’Église, qualité pour déclarer la vacance totale du Siège Apostolique est identique à celle qui a, dans l’Église, qualité pour pourvoir à la provision du même Siège apostolique. Qui déclare actuellement ‘Mgr Wojtyla n’est pas pape du tout’ [pas même materialiter], doit : ou bien convoquer le Conclave [!] ou bien montrer les lettres de créance qui l’instituent directement et immédiatement Légat de Notre-Seigneur Jésus-Christ [!!]”. Nous avons démontré jusque là l’impossibilité, rebus sic stantibus, de convoquer un Conclave ; voyons dans le présent chapitre s’il est possible à quelqu’un de se présenter avec les lettres de créances qui le constitueraient Légat de Jésus-Christ ou son Vicaire.
Au-delà de l’improbabilité factuelle d’un semblable événement, soulignée par les deux points d’exclamation apposés par Mgr Guérard après son exposition de cette hypothèse, il me semble qu’en ce qui concerne sa possibilité théologique, Mgr Sanborn a donné une réponse correcte :
“Les sédévacantistes complets avancent une seconde solution à la crise actuelle : c’est le Christ Lui-même qui, par une intervention miraculeuse, désignera un successeur. Si Notre-Seigneur agissait ainsi, et à coup sûr Il le pourrait, l’homme qu’il choisirait pour être pape serait très certainement son vicaire sur la terre, mais il ne serait pas le successeur de saint Pierre. L’apostolicité disparaîtrait, parce que cet homme ne pourrait remonter sa lignée jusqu’à saint Pierre par une ligne de succession légitime ininterrompue. Certes, il serait, comme saint Pierre, choisi par le Christ. Mais en réalité, Notre-Seigneur créerait une nouvelle Église”.
Q. Mais Notre-Seigneur ne serait-Il pas un électeur légitime ? Pourquoi ne pourrait-Il pas choisir un pape qui serait aussi successeur de saint Pierre ?
R. Oui, de toute évidence, Notre Seigneur pourrait choisir un pape, exactement comme il a choisi saint Pierre ? Mais une intervention divine du type de celle qu’imaginent les sédévacantistes complets équivaudrait à une nouvelle révélation publique, ce qui est impossible. La révélation publique est définitivement close avec la mort du dernier apôtre. C’est un article de foi. Toutes les révélations qui ont eu lieu après la mort du dernier apôtre sont du domaine des révélations privées. Pour les sédévacantistes complets, c’est donc une révélation privée qui révélerait l’identité du Pape.
Il va sans dire qu’une telle solution détruit la visibilité et la légalité de l’Église catholique, et rend son existence même dépendante de voyants. Il va sans dire aussi qu’elle livre la papauté aux élucubrations des apparitionistes.
La mission de l’Église, c’est de faire connaître la divine révélation au monde. Si la désignation du pape – celui-là même qui fait connaître cette révélation – dépendait d’une révélation privée, tout le système s’effondrerait. La plus haute autorité de l’Église serait alors le voyant, qui pourrait faire ou défaire les papes. Il n’y aurait plus aucun principe d’autorité par lequel déterminer si le voyant est un mystificateur ou non. Tout acte de foi dépendrait en fin de compte de l’honnêteté d’un voyant.
Au contraire, l’Église catholique est une société visible, et elle a une vie légale. Notre-Seigneur est la tête invisible de l’Église. L’Église ne pourrait plus prétendre à la visibilité si sa hiérarchie était désignée par un personnage invisible, fût-ce Notre-Seigneur Lui-même.
Même en admettant un seul instant cette possibilité, il ne fait aucun doute que celui que Notre-Seigneur désignerait ne serait pas un successeur légitime de saint Pierre. La succession n’est légitime que si elle remplit les exigences du droit ecclésiastique ou de l’usage établi. Mais une succession par intervention divine ne remplit ni l’une ni l’autre de ces exigences. Par conséquent, le pape ainsi désigné ne serait pas le successeur légitime de saint Pierre” (20).
Jésus pourrait donc (de “puissance absolue”) choisir de nouveau un Pape, mais Il ne le fera jamais (21) (c’est impossible de “puissance ordonnée”) parce que c’est Lui-même qui a établi que Son Église, fondée sur Pierre, serait indéfectible ; “les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle”. Et cette vérité de l’indéfectibilité de l’Église nous donne déjà le motif de fond de ce que nous soutenons dans le titre du chapitre suivant.
L’ Église ne peut rester totalement privée d’électeurs du Pape
Le Concile Vatican I a solennellement défini :
“Si donc quelqu’un dit que ce n’est pas par l’institution du Christ ou de droit divin que saint Pierre a, et pour toujours, des successeurs dans sa primauté sur l’Église universelle, ou que le Pontife romain n’est pas successeur de saint Pierre en cette primauté : qu’il soit anathème” (D.S. 3058, Const. Dogm. Pastor Æternus, canon du chap. 2).
Qu’il y aura “toujours” un successeur de Pierre est donc vérité de foi ; cette vérité fait partie intégrante de celle concernant l’indéfectibilité de l’Église : si l’Église était privée de Pape, elle n’existerait plus telle que l’a fondée Jésus. Pour revenir au cardinal Cajetan, “Christus Dominus statuit Petrum in successoribus perpetuum : Le Seigneur Jésus-Christ a établi (que) Pierre (soit fait) perpétuel en ses successeurs” (n. 746).
Naturellement, cette définition ne peut et ne doit pas être entendue dans le sens qu’il y aura toujours, à chaque instant, en acte, un Pape assis sur la Chaire de Pierre : pendant la vacance du Siège (par exemple dans la période entre la mort d’un Pape et l’élection de son successeur) cela n’arrive pas. En quel sens faut-il alors entendre la définition vaticane ?
C’est encore Cajetan qui nous l’explique : – par anticipation – “impossibile est Ecclesiam relinqui absque Papa et potestate electiva Papæ : il est impossible que l’Église soit laissée sans Pape et sans le pouvoir d’élire le Pape” (n. 744). Par conséquent, pendant la vacance du Siège, il doit rester en quelque façon la personne morale qui peut élire le Pape : “papatus, secluso Papa, non est in Ecclesia nisi in potentia ministraliter electiva, quia scilicet potest, Sede vacante, Papam eligere, per Cardinales, vel per seipsam in casu : la papauté, une fois enlevé le Pape, se trouve dans l’Église seulement en une puissance ministériellement élective, car elle [l’Église] peut, durant la vacance du Siège, élire le Pape par l’intermédiaire des Cardinaux ou, en circonstance (accidentelle) d’elle-même” (210).
Il est donc absolument nécessaire que – pendant la vacance du Siège – subsiste encore la possibilité d’élire le Pape : ce sont l’indéfectibilité et l’apostolicité de l’Église qui l’exigent (22).
L’élection du Pape dans la situation actuelle de l’Église
C’est là précisément l’objection soulevée par Mgr Lefebvre aux sédévacantistes, et reprise par l’abbé Scott contre Mgr Pivarunas. Certes, une objection ne peut annuler une démonstration, et Mgr Pivarunas a raison – et l’abbé Scott tort – sur le fait que le Siège est actuellement vacant. Mais nous avons vu que si le sédévacantisme simpliciter est capable de démontrer la vacance du Siège, il ne peut, par contre, expliquer comment subsiste encore aujourd’hui le pouvoir d’élire un successeur. De toutes les diverses tentatives d’explication analysées jusqu’ici, aucune n’est concluante : ni les simples fidèles, ni les simples prêtres, ni même les Évêques non résidentiels ne peuvent élire le Pape. Par ailleurs, dans la perspective strictement sédévacantiste, il n’y aurait plus actuellement ni cardinaux ni Évêques résidentiels catholiques, puisque tous ceux qui existent ont adhéré à l’“Église conciliaire”, devenant ainsi formellement hérétiques.
L’unique solution possible à cette difficulté vient, à notre avis, de la Thèse dite de Cassiciacum, exposée par le Père Guérard des Lauriers, Thèse que les sédévacantistes s’obstinent à refuser sans se rendre compte qu’elle est la seule qui permette de défendre vraiment la thèse du Siège vacant.
Selon cette Thèse, dans la situation actuelle de l’autorité dans l’Église, le pouvoir d’élire le Souverain Pontife subsiste encore dans l’Église, non en acte, formellement, mais en puissance, matériellement, et c’est suffisant pour assurer la continuité de la Succession Apostolique et pour garantir l’indéfectibilité de l’Église.
Pour le moment, une élection du Pape est impossible et parce que le Siège est encore occupé matériellement et légalement par Jean-Paul II, et parce que, comme nous l’avons démontré dans cet article, il n’y a pas, en acte, d’électeurs capables de procéder à cette élection.
L’élection est cependant possible en puissance, d’une part parce qu’en principe il ne peut en être autrement, comme nous l’avons vu, d’autre part parce que, de fait, les électeurs canoniquement habilités à élire le Pape existent matériellement. Selon la Thèse, en effet, les Cardinaux créés par des “papes” materialiter conservent le pouvoir d’élire le Pontife, de même que les Évêques nommés par des “papes” materialiter aux divers sièges épiscopaux, les occupent matériellement et pourraient, une fois revenus à la profession publique et intégrale de la Foi, être électeurs du Pape en l’absence de Cardinaux. Le “pape” lui-même qui n’occupe que matériellement le Siège, pourrait, anathématisant toutes les erreurs et professant intégralement la Foi, devenir à tous les effets Pape formellement. Comme on peut voir, la Thèse de Cassiciacum répond aux objections soulevées contre le sédévacantisme par les “modernistes” et par les “lefebvristes”, alors que les autre thèses sédévacantistes n’en sont pas capables. Pour la démonstration de ce point de la Thèse, nous renvoyons le lecteur à ce que nous avons déjà écrit à ce sujet (23).
Le devoir des catholiques
Arrivés à la fin de cette exposition, sommaire évidemment, de la question de l’élection du Pape dans la situation actuelle de l’Église, nous pouvons tirer quelques conclusions.
Quel est actuellement le devoir des catholiques ? Avant tout, conserver la foi. Ce devoir (de conserver la foi) en implique (en soi) immédiatement un autre : celui de ne pas reconnaître “l’autorité” de Jean-Paul II et du Concile Vatican II. Reconnaître “l’autorité” de Jean-Paul II et du Concile Vatican II implique en effet l’adhésion à leur enseignement qui est – sur certains points – en contradiction avec la foi catholique infailliblement définie par l’Église.
Mais le simple catholique ne peut et ne doit pas aller au-delà. Ce n’est pas au simple fidèle (pas même aux prêtres et aux évêques sans juridiction) de déclarer avec autorité, officiellement et légalement, la vacance du Siège apostolique et de pourvoir à l’élection d’un Pontife authentique. Mais le devoir du catholique est de prier et de travailler, chacun à sa place et selon ses compétences, afin que cette déclaration officielle – par le collège des cardinaux ou du concile général imparfait – devienne possible. La tragédie de notre époque – qui dicte la gravité de la crise présente – consiste justement dans le fait qu’aucun des membres de la hiérarchie n’a jusqu’à ce jour rempli ce rôle. Actuellement, il semble impossible que les évêques ou les cardinaux arrivent à condamner les erreurs de Vatican II et mettent l’occupant du Siège apostolique dans la condition d’anathématiser lui aussi ces erreurs, sous peine d’être déclaré formellement hérétique (et donc déposé, aussi matériellement, du Siège) ; mais, rappelons-le, ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Et pour ce qui est de notre question, nous savons que Dieu ne peut abandonner Son Église, puisque les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre Elle, et qu’Il sera avec Elle jusqu’à la fin du monde.
APPENDICE
Restent deux problèmes, toujours à propos de l’élection du Pape, ne se rattachant pas directement à notre question (la possibilité d’élire un Pape dans l’état actuel des choses) : celui de la certitude de la validité de l’élection à cause de l’acceptation pacifique de cette élection du Pape par l’Église, et celui de la sainteté de l’élection. Journet en parle dans l’œuvre citée. J’en dirai quelques mots, moi aussi, car il y a là deux arguments pouvant servir d’objection à notre position (la vacance formelle du Siège apostolique).
L’acceptation pacifique comme certitude de la validité de l’élection du pape
Une élection, fût-elle même l’élection du Pape, peut être invalide ou douteuse ; dans la ligne de Jean-de-Saint-Thomas, le même Journet nous le rappelle (L’élection du Pape. V. Validité et certitude de l’élection). “L’Église – écrit Journet – possède le droit d’élire le pape, et donc le droit de connaître avec certitude l’élu.Tant que persiste le doute sur l’élection et que le consentement tacite de l’Église universelle n’est pas venu remédier aux vices possibles de l’élection, il n’y a pas de pape, papa dubius, papa nullus. En effet, fait remarquer Jean-de-Saint-Thomas, tant que l’élection pacifique et certaine n’est pas manifeste, l’élection est censée durer encore” (p. 978). Toutefois, toute incertitude sur la validité de l’élection est dissipée par l’acceptation pacifique de l’élection faite par l’Église universelle : “L’acceptation pacifique de l’Église universelle s’unissant actuellement à tel élu comme au chef auquel elle se soumet, est un acte où l’Église engage sa destinée. C’est donc un acte de soi infaillible, et il est immédiatement connaissable comme tel. (Conséquemment et médiatement, il apparaîtra que toutes les conditions pré-requises à la validité de l’élection ont été réalisées” (pp. 977-978). Ce qu’affirme Journet se retrouve chez presque tous les théologiens.
Cette doctrine inclut une objection très grave contre tout sédévacantisme (y compris notre Thèse). L’abbé Lucien ne cachait pas cette difficulté lorsqu’il écrivait : “Sans répondre à notre argumentation, quelques-uns déclarent qu’elle [notre thèse] est certainement fausse, car sa conclusion, selon eux, est contraire à la foi ou au moins proche de l’hérésie. Ils rappellent en effet que la légitimité d’un Pape est un fait dogmatique, et ils ajoutent que le signe infaillible de cette légitimité est l’adhésion de l’Église universelle. Or, font-ils remarquer, pendant plusieurs années après le 7 décembre 1965 [date à partir de laquelle Paul VI n’était certainement plus Pape formellement], personne n’a mis en cause publiquement, dans l’Église, la légitimité de Paul VI. Il est donc impossible, concluent-ils, qu’il ait cessé d’être Pape légitime à cette date, puisque l’Église universelle le reconnaissait toujours. Ces objecteurs affirment également qu’aujourd’hui encore l’Église universelle adhère à Jean-Paul II, - puisqu’aucun membre de la hiérarchie magistérielle ne l’a récusé : or cette hiérarchie (l’ensemble des évêques résidentiels unis au pape) représente authentiquement l’Église universelle” (24). Je renvoie le lecteur à la réponse magistrale que donne l’abbé Lucien à cette objection. D’un côté, il rappelle que la Constitution Cum ex apostolatus du Pape Paul IV – qui, même si elle n’a plus valeur juridique, reste toujours un acte du magistère – enseigne une doctrine contraire (la thèse de l’acceptation pacifique de l’Église comme preuve certaine de la validité d’une élection, est donc seulement opinion théologique). Par ailleurs, il souligne que cette opinion se fonde sur le fait qu’il est impossible que l’Église entière suive une fausse règle de foi, adhérent à un faux pontife : ce serait en contradiction avec l’indéfectibilité de l’Église. Or, dans notre cas, parmi ceux qui reconnaissent la légitimité de Paul VI et de Jean-Paul II, il en est beaucoup qui n’adhèrent pas aux nouveautés de Vatican II ; de fait, ils ne reconnaissent pas Paul VI et Jean-Paul comme règle de la foi et donc, toujours de fait, ils n’en reconnaissent pas la légitimité (cf. pp. 108-111). Bref, le fait que de nombreux catholiques, implicitement ou explicitement, n’aient pas accepté Vatican II enlève à la thèse de l’acceptation pacifique de l’Église sa force démonstrative quant à la légitimité de qui a promulgué le Concile.
La sainteté de l’élection
Si l’objection précédente est effectivement importante, celle fondée sur la sainteté de l’élection ne l’est pas du tout ; mais puisque de nombreux fidèles me l’on citée, il me semble opportun de répondre, et avec les paroles mêmes de Journet. Beaucoup de gens, en effet, croient à tort que c’est le Saint-Esprit qui garantit l’élection en inspirant les cardinaux, ce pour quoi l’élu du Conclave serait choisi directement par Dieu. Journet rappelle que, lorsqu’on parle de sainteté de l’élection papale, “On ne veut pas dire par ces mots que l’élection du pape se fait toujours par une infaillible assistance puisqu’il est des cas où l’élection est invalide, où elle demeure douteuse, où elle reste donc en suspens. On ne veut pas dire non plus que le meilleur sujet soit nécessairement choisi. On veut dire que, si l’élection est faite validement (ce qui, en soi, est toujours un bienfait), même quand elle résulterait d’intrigues et d’interventions regrettables (mais alors ce qui est péché reste péché devant Dieu), on est certain que l’Esprit Saint qui, par-delà les papes, veille d’une manière spéciale sur son Église, utilisant non seulement le bien, mais encore le mal qu’ils peuvent faire, n’a pu vouloir, ou du moins permettre cette élection que pour des fins spirituelles, dont la bonté ou bien se manifestera parfois sans tarder dans le cours de l’histoire, ou bien sera gardée secrète jusqu’à la révélation du dernier jour. Mais ce sont là des mystères dans lesquels la foi seule peut pénétrer” (pp. 978-979). Bref, la divine Providence veille de manière toute spéciale sur l’Église, mais cela n’empêche pas que parfois l’élection du pape puisse être nulle, douteuse, ou bien, si elle est valide, qu’elle ait pour objet une personne moins digne de cette charge qu’une autre. Aux derniers conclaves, Dieu a donc pu permettre, pour des motifs impénétrables, que soient élus des sujets qui n’avaient pas objectivement la volonté habituelle de procurer le bien et la fin de l’Église, et que par conséquent, tout en étant les élus du Conclave (“papes” materialiter), ils aient mis et mettent encore un obstacle à la réception, de la part de Dieu, de l’assistance divine et de l’autorité pontificale (ils ne sont pas “papes” formaliter), autorité qui, sans cet obstacle, aurait été conférée à l’élu du conclave qui accepte réellement l’élection.
“L’élection du Pape”. Réactions à notre article et commentaires (S. 55)
Nous publions ici quelques observations concernant l’article sur l’élection du Pape dans la situation actuelle de l’Église.
Sodalitium
ERRATA
Dans le dernier numéro de Sodalitium (n°54, p. 5), dans l’article de l’abbé Ricossa intitulé L’élection du Pape, était rapportée une citation du Père jésuite Edmund James O’Reilly, citation adoptée par Mgr Mark Pivarunas contre les objections au sédévacantisme du Père Scott, de la Fraternité Saint Pie X.
Malheureusement - comme nous l’ont signalé certains lecteurs - nous nous sommes rendus compte que la traduction que nous avions faite à partir de l’original anglais de la citation du Père O’Reilly n’avait pas été bien faite, et rendait ainsi difficilement compréhensible la pensée de l’auteur (et celle de l’abbé Ricossa).
En effet, voici comment nous l’avions traduite :
“non pas dans le sens qu’un interrègne couvrant toute la période [du Grand Schisme d’Occident, N.d.R.] aurait été impossible ou inconciliable avec les promesses du Christ, parce que ceci est évident, mais en ce sens que, de fait, il n’y a pas eu cet interrègne”.
La phrase, par contre, a été traduite ainsi dans le site internet de Mgr Pivarunas (www.CMRI.org) :
“non pas dans le sens qu’un interrègne couvrant toute la période aurait été impossible ou inconciliable avec les promesses du Christ, parce que ceci n’est pas du tout évident, mais en ce sens que, de fait, il n’y a pas eu cet interrègne”.
Pour plus de clarté, nous citons le texte original anglais pour la partie qui nous intéresse : “not that an interregnum covering the whole period would have been impossible or inconsistens with the promises of Christ, for this is by no means manifest, but that, as a matter of fact, thare was not such an interregnum”.
Nous présentons nos excuses aux lecteurs et à Mgr Pivarunas pour l’erreur involontaire.
Nous faisons d’ailleurs remarquer que cette erreur n’influe absolument en rien sur la thèse soutenue par l’abbé Ricossa dans son article. En effet, l’abbé Ricossa est tout à fait d’accord avec Mgr Pivarunas pour ce qui regarde sa réponse à la première objection au sédévacantisme du Père Scott et de Mgr Lefebvre : le seul fait que le Siège apostolique soit vacant depuis environ 40 ans ne va pas contre la visibilité et l’indéfectibilité de l’Église, comme le confirme la citation du Père O’Reilly.
Par contre, l’abbé Ricossa pense que la réponse de Mgr Pivarunas à la seconde objection du Père Scott et de Mgr Lefebvre (celle qui concerne la nécessité d’avoir toujours des électeurs du Pape) est insuffisante, et que les éclaircissements avancés par la “Thèse de Cassiciacum” la complètent. C’est ce que nous voulions et avons démontré dans l’article L’élection du Pape, qui conserve donc toute sa valeur.
Un article du Professeur Tello
Le professeur Tomás Tello Corraliza (de Mérida, Espagne) nous a envoyé le 22 janvier 2003 une très aimable lettre à propos de l’article “L’élection du Pape”, pour accompagner l’envoi d’une étude sur le même thème composée par lui (en espagnol et en anglais) et remontant à 1994. Son écrit, jusque-là inédit, a été publié depuis dans une traduction allemande de la revue Einsicht (n° 1, février 2003, pp. XXXIII- 15-23). Le professeur Tello est sédévacantiste complet, il soutient donc la possibilité et la nécessité de l’élection d’un Pape. Nous nous limiterons à faire quelques brèves observations. Le professeur, après avoir posé le problème (impossibilité d’élection par le collège des cardinaux, nécessité d’une loi supplétoire pour procéder à l’élection du Pape), présente au lecteur, sur les traces d’auteurs contemporains qui ont déjà abordé ce sujet, des citations de sept auteurs “classiques” : Cajetan, Vitoria, saint Robert Bellarmin, Jean de Saint Thomas, Dom Grea, Billot et Journet. Dans notre article “L’élection du Pape”, nous avons déjà vu ce qu’il faut penser de la doctrine de Cajetan reprise par Journet. Dom Gréa, lui, pense que seuls les cardinaux, ou l’Église romaine, peuvent élire le Pape. Bellarmin pense que cela revient au Concile général en accord avec l’Église romaine (clergé de Rome, évêques suburbicaires : ce qui au fond est aussi la position de Cajetan). Les autres auteurs attribuent le pouvoir supplétoire d’élire le Pape au Concile général imparfait (imparfait parce que, justement, privé de Pape). Les plus intéressantes citations proposées par Tello (reprenant Johas) sont celles du théologien Francisco de Vitoria (1483-1546) et extraites de son œuvre De potestate Ecclesiæ : Tello déclare suivre la position de Vitoria. Après avoir établi qu’en l’absence de cardinaux, l’élection du Pape revient à toute l’Église, Vitoria précise cependant qu’il faut exclure de ce droit les simples fidèles (n° 19) et le clergé au-dessous de l’épiscopat (n° 20) ; c’est exactement ce que nous avons écrit dans notre article…
Au n° 21 Vitoria expose donc sa thèse : dans l’hypothèse de ce cas extraordinaire (absence de cardinaux) les électeurs seraient les évêques réunis en Concile. Le professeur Tello pense avoir ainsi prouvé sa thèse : les électeurs du Pape existent toujours (en acte) : ce sont les évêques “fidèles”. Et c’est là au contraire que le professeur Tello et d’autres avec lui, se trompent. Dans notre article (pp. 6-7) nous avons largement démontré que tous les évêques ne peuvent participer de droit divin à un Concile - et par conséquent à une éventuelle élection papale - mais seulement les évêques avec juridiction. C’est ce qu’affirme Cajetan. Mais c’est aussi ce qu’affirme Vitoria dans les citations avancées par Tello, quand il explique que les Évêques pourraient élire le Pape parce qu’“ils sont les Pasteurs du troupeau”, au-dessous du Souverain Pontife, ce qui est vrai seulement et exclusivement des évêques résidentiels qui gouvernent - avec un diocèse - une portion du troupeau. Étant exclus de l’élection les évêques titulaires (à plus forte raison les évêques “sédévacantistes” consacrés sans mandat romain), les conclavistes se trouvent sans électeurs, à moins d’accepter comme tels les évêques (ou cardinaux) materialiter qu’au contraire ils refusent.
Une nouveauté intéressante dans la position de La Tour de David
La Tour de David est la revue sédévacantiste tenue par l’abbé Xavier Grossin. Dans le numéro de janvier (n° 20, pp. 6-8), l’abbé Grossin parle de notre article, en soutenant entre autres, la même position que l’abbé Paladino (et de L.H. Remy) : élection du Pape par l’intermédiaire de l’apôtre saint Pierre.
Apparemment l’article de l’abbé Grossin est violemment opposé au nôtre (l’abbé Ricossa est incorrigible, il pèche contre l’Esprit-Saint, il résiste à la grâce, devient toujours plus stupide, écrit des bêtises, se condamne définitivement à l’absurde, est de mauvaise foi, etc.). En réalité, en mettant de côté toute passion à la lecture, on s’aperçoit que l’abbé Grossin concède beaucoup à notre position, au point que l’on peut se demander si - sans s’en rendre compte - il n’adopte pas justement la Thèse [exécrée] de Cassiciacum !
Ce qu’il reconnaît peut se réduire à deux choses :
Dans le cadre de la thèse “apparitioniste”, il admet que la personne choisie par saint Pierre devrait ensuite être élue canoniquement par le Concile général imparfait (“la désignation par Saint Pierre n’enlève strictement rien à l’apostolicité. Le Concile général imparfait pourrait ratifier le choix fait par saint Pierre et régler les choses canoniquement. L’homme désigné serait nécessairement évêque ou devant être sacré évêque, ce qui le rendrait légitime successeur des Apôtres. Je ne vois pas où est le problème”) (p. 8). De cette façon, il s’ensuit qu’en dernière analyse c’est le Concile qui élit le Pape, et non saint Pierre. C’est là notre position.
Mais qui a le droit de faire partie du Concile général imparfait ? Sur ce point, l’abbé Grossin fait une importante concession : “nous avons admis que des vrais évêques pouvaient abjurer et se réunir en concile général imparfait” (p. 8). Très bien ! Mais sans doute ne se rend-il pas compte que - par cette affirmation - il accepte essentiellement la Thèse qu’il prétend refuser…
En exposant notre position (“il établit que c’est au Concile général imparfait, c’est-à-dire aux évêques résidentiels, possédant la juridiction ordinaire sur un territoire, qu’appartient le droit légal d’élire un pape en cas de défaillance du Sacré Collège”) l’abbé Grossin ne peut que l’approuver, en écrivant : “très bien” (p. 6). Pas seulement. Il admet clairement que ces évêques seraient ceux qui appartiennent actuellement à ce qu’il appelle la “secte conciliaire”. Naturellement, il y met des conditions : l’abjuration des hérésies conciliaires, le refus de la secte conciliaire, le fait d’avoir été validement consacrés. Pour ce qui est des deux premières conditions (qui d’ailleurs n’en forment qu’une seule) nous sommes substantiellement d’accord, quoiqu’en dise l’abbé Grossin. Quant au fait que lesdits évêques doivent être validement consacrés, nous nous permettons de faire observer ce qui suit : en soi, l’évêque (et même l’évêque de Rome) jouit de la juridiction avant même de recevoir le sacrement de l’ordre (à plus forte raison la consécration épiscopale). Pie XII, entre autres, l’a rappelé expressément dans le cas de l’élection à la papauté d’un laïc. Il ne serait donc pas nécessaire que lesdits évêques - après abjuration des erreurs - soient déjà consacrés : il suffit qu’ils veuillent se faire consacrer (au moins sous condition). En tous cas, l’abbé Grossin rappelle que les évêques orientaux sont validement consacrés. Mais à quoi bon insister ? La Tour de David, à propos de la solution proposée par Sodalitium écrit : “nous ne rejetons pas du tout cette possibilité” (p. 6). Mais alors, si nous sommes d’accord, pourquoi tant d’insultes ?
(P.S. : selon l’abbé Grossin Sodalitium identifierait la secte conciliaire et l’Église, ce qui ferait de l’Institut “l’extrême droite de la secte conciliaire”. Naturellement cette identification n’existe que dans l’imagination de l’abbé Grossin. Remarquons, entre autres, que si pour l’abbé Grossin un évêque validement consacré de la “secte conciliaire” peut, après l’abjuration, devenir par le fait même un évêque de l’Église catholique, cela signifie que lui-même ne croit pas à l’existence juridique de la “secte conciliaire”).
Notes et références
1) Il est possible de se procurer La lettre Pro grege à l’adresse suivante : Most Rev. Mark A. Pivarunas, Mater Dei Seminary, 7745 Military Avenue, Omaha, NE 68034-3356, U.S.A.
2) Peter Scott ne fait que reprendre les deux objections déjà adoptées par Mgr Lefebvre en 1979 : “La question de la visibilité de l’Église est trop nécessaire à son existence pour que Dieu puisse l’omettre durant des décades. Le raisonnement de ceux qui affirment l’inexistence du Pape met l’Église dans une situation inextricable. Qui nous dira où est le futur Pape ? Comment pourra-t-il être désigné puisqu’il n’y a plus de cardinaux ?”.
3) Le Père O’Really était professeur à l’Université catholique de Dublin.
4) Mgr Pivarunas ne donne pas les références de la citation de Journet. Il s’agit de l’Excursus VIII, L’élection du pape, de l’œuvre L’Église du Verbe Incarné, vol. I La Hiérarchie apostolique, p. 976, Ed. Saint Augustin, Saint-Just-la-Pendue 1998. Les caractères gras sont de Mgr Pivarunas.
5) Après avoir convoqué le Concile Vatican I, Pie IX, par la Constitution apostolique Cum Romani Pontificibus du 4 décembre 1869, prit soin de préciser les conditions de l’élection pontificale, pour le cas où il mourrait durant le Concile. A l’exemple de Jules II (pendant le cinquième concile du Latran) ainsi que de Paul III et de Pie IV (à l’occasion du Concile de Trente), il établit que l’élection était du ressort exclusif du Collège des Cardinaux, avec exclusion explicite des Pères Conciliaires (Enseignements Pontificaux, L’Église, n° 326). Cette prescription a été reprise par saint Pie X (Vacante Sede Apostolica, n. 28) et par Pie XII (Vacantis Apostolicæ Sedis, du 8 décembre 1945, n. 33). La prescription n’est pas seulement disciplinaire, elle a aussi un fondement dans le refus des théories conciliaristes.
6) Journet explique : “Au cas où les conditions prévues seraient devenues inapplicables, le soin d’en déterminer de nouvelles échoirait à l’Église par dévolution, ce mot étant pris, comme le note Cajetan (Apologia de comparata auctoritate papæ et concilii, cap. XIII, n° 745), non pas au sens strict (c’est à l’autorité supérieure qu’il y a, au sens strict, dévolution en cas d’incurie de l’inférieur), mais au sens large, pour signifier toute transmission, même faite à un inférieur” (op. cit. pp. 975-976).
7) Tommaso de Vio, dit Gaetano (Cajetan) du lieu de sa naissance Gaète, 1468-1533, entré chez les dominicains en 1484, commence l’enseignement en 1493. Il est Maître général de l’ordre de 1508 à 1518, il participe au Vème Concile du Latran, est nommé Cardinal en 1517. En 1518 il est nommé légat du Saint-Siège pour procéder contre Luther, et travaille à la rédaction de la bulle de Léon X, Exsurge Domine, contre l’hérésiarque. Évêque de Gaète en 1519, il est de nouveau légat, en Hongrie cette fois, de 1523 à 1524. Il est enseveli à Rome dans l’église de Santa Maria Sopra Minerva. “Cajetan est célèbre pour ses commentaires classiques de toute la somme théologique de saint Thomas, commentaires auxquels demeurent liés et son nom et sa réputation impérissable… Particulièrement attaché au Siège Apostolique, Cajetan en défendit en profondeur et avec brio les prérogatives dans son célèbre traité De auctoritate Papæ avec l’Apologie du même traité qui brisa les velléités conciliaristes de Pise (1511) et prépara par avance la condamnation de l’erreur gallicane. (…) Saint Robert Bellarmin le définit comme un “homme d’intelligence supérieure et de non moins grande piété” L’Enciclopedia cattolica, rubrique De Vio.
8) « Le premier opuscule intitulé De comparatione auctoritatis Papæ et Concilii, fut composé par le Cardinal Cajetan – qui l’acheva le 12 octobre 1511 – en l’espace de deux mois. C’est à l’occasion du Concile schismatique de Pise, induit à cette époque par quelques cardinaux contre le Pape Jules II, qu’il fut composé ; c’est pourquoi l’auteur s’évertue à réfuter les thèses dites gallicanes, soutenues dès le Xvème siècle à l’occasion du Concile de Constance ; et surtout la thèse d’Occam et de Gerson affirmant la supériorité du Concile sur le Pape. Contre (cette thèse), Cajetan démontre (…) que le Pape en tant que successeur de Pierre, jouit du primat, c’est-à-dire du plein et suprême pouvoir ecclésiastique avec toutes les prérogatives qui lui sont annexes. Le Roi de France Louis XII soumit cette œuvre à l’examen de l’Université de Paris qui confia la défense [de sa propre position] au jeune et éloquent auteur Jacques Almain. A l’opuscule composé par ce dernier, ‘De auctoritatæ Ecclesiæ, seu sacrorum Concilium eam représentantem, contra Thomam de Vio, Dominicanum’ (Paris, Jean Granjon, 1512), Cajetan répondit par un autre opuscule, l’Apologia de comparata auctoritate Papæ et Concilii, achevé le 29 novembre 1512 » (traduction du latin faite par nos soins de l’introduction du Père Pollet, o.p., à la réédition des deux opuscules de Cajetan, faite par l’Angelicum, à Rome, en 1936).
9) “Examinata comparatione potestatis Papæ ad Apostolos ratione sui apostolatus, comparanda modo est Papæ potestas Ecclesiæ universalis seu Concilii universalis potestati, nunc quidem absolute, postmodum vero in eventibus et casibus, ut promisimus. Et quoniam opposita iuta se posita magis elucescunt, afferam primo rationes primarias in quibus consistit vis, quibus probatur Papam subesse Ecclesiæ seu Consilii universalis iudicio. Et ne contigat sæpius Ecclesiam et Consilium iungere, pro eodem sumantur, quoniam non nisi sicut repræsentans et repræsentatum distinguuntur”.
10) Nous disons “imparfait” parce qu’en l’absence du Pape, un Concile général est précisément imparfait (cf. De comparatione, n° 231, où il est parlé du Concile de Constance qui se réunit pour l’élection de Martin V), en ce qu’il est privé de son Chef, lequel est le seul à pouvoir convoquer, diriger et confirmer un Concile œcuménique (can. 222 ; Cajetan, op. cit., chap. XVI). Nous rappelons que – selon Cajetan – c’est à ce Concile général imparfait que revient la charge de déposer le Pape hérétique (n° 230).
11) “Les prélats qui sont à la tête d’un territoire propre, séparé de tout diocèse avec clergé et peuple, sont appelés Abbés ou Prélats ‘nullius, (c’est-à-dire n’appartenant à aucun diocèse…” (can. 319). Les Prélats ou Abbés nullius doivent avoir les mêmes qualités que celles requises en l’évêque (can. 320§2) et ont le même pouvoir ordinaire et les mêmes obligations que l’évêque résidentiel (can. 323§1) dont ils portent l’habit et les insignes liturgiques (can. 325) même s’ils sont privés du caractère épiscopal.
12) Les autres Abbés et les supérieurs de religions cléricales exempts, quoique sans juridiction sur un territoire, ont juridiction sur des personnes (leurs propres sujets) indépendamment de l’Évêque diocésain. Ce sont donc des Ordinaires, même si non Ordinaires de lieu (can. 198). Dans ce cas également, le critère pour participer au Concile est la juridiction et non l’ordre épiscopal.
13) Vu que cette position refuse la succession matérielle sur les sièges épiscopaux, admise au contraire par le sédévacantisme ‘formaliter’ mais non ‘materialiter’ du Père Guérard des Lauriers. Le couronnement du nouveau Pape (ici Pie XII)
14) Comme je l’ai déjà prouvé ailleurs (F. RICOSSA, Les consécrations épiscopales, C.L.S. Verrua Savoia 1997) l’Église enseigne que ce n’est pas par l’intermédiaire de la Consécration mais seulement par l’intermédiaire du Pape que l’Évêque reçoit de Dieu la juridiction, même si Vatican II enseigne le contraire. Il ne sert à rien d’objecter contre cette doctrine enseignée à plusieurs reprises par le magistère ordinaire, en donnant des exemples historiques d’élections (et consécrations) épiscopales pendant la vacance du siège. Ces élections-là démontrent seulement la non illicéité – en cas de siège vacant par exemple – de consécrations épiscopales, mais ne démontrent pas que les élus aient joui de la juridiction épiscopale, qu’ils ne reçurent, en fait, avec la confirmation de leur élection canonique, que du Pape. Ce qui n’empêche pas qu’ils aient pu croire de bonne foi avoir juridiction déjà avant la confirmation papale, étant donné que la doctrine que nous défendons (selon laquelle la juridiction épiscopale vient du Pape et non de la consécration) a été précisée par le magistère à des périodes postérieures à ces faits historiques, tandis qu’elle était encore discutée au Concile de Trente. Je signale entre autres que la doctrine de Cajetan à ce propos – en cela aussi, fidèle disciple de saint Thomas – est celle que nous venons de rappeler (cf. N° 267).
15) Journet conclut en renvoyant au Dictionnaire de théologie catholique, à la rubrique Élection des papes, pour “une exposition historique des diverses conditions dans lesquelles les papes ont été élus”. J’en profite pour noter combien le DTC est décevant sur la question que nous sommes en train de traiter (et ce n’est pas un cas unique). Le rédacteur de la rubrique “élection des papes” se limite en effet à une exposition historique omettant par contre les points de vue théologiques et dogmatiques qui sont bien plus importants : un point de vue qui a induit en erreur – par omission – beaucoup de lecteurs et de chercheurs.
16) Camille Card. MAZZELLA, De Religione et Ecclesia, Prælectiones Scolastico-Dogmaticæ, Roma 1880. Je remercie Mgr Sanborn qui m’a signalé cette citation voilà des années (alors que c’est à moi que revient toute la faute pour les erreurs de la traduction).
17) Cf. SAINT PIE X, E.P. Ex quo nono, 26/12/1910, Ds 3555, où est condamnée l’erreur opposée professée par les schismatiques orientaux. Récemment Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a par contre nié que l’Église soit une monarchie.
18) Ce fut le cas – entre autres – du “voyant” de Palmar de Troya, Clemente Dominguez, qui aurait été élu Pape directement par le Ciel après la mort de Paul VI.
19) Par exemple l’éditeur Delacroix qui a publié les “Visions de la Vénérable Elisabeth Canori Mora sur l’intervention de Saint Pierre et Saint Paul à la fin des temps” et qui présente le livre comme une confirmation des conclusions du livre de l’abbé Paladino, L’Église éclipsée ?, publié par le même éditeur, où il est fait allusion (p. 274) à ces visions et à d’autres prophéties.
20) Pour être complet, je rapporte la réponse que Mgr Sanborn donne aux sédévacantistes qui – implicitement ou explicitement – considèrent par contre, comme possible la solution du Conclave : “Q. Pourquoi le sédévacantisme complet n’est-il pas viable ? R. Parce qu’il prive l’Église du moyen d’élire un successeur légitime de saint Pierre. Il détruit fondamentalement l’apostolicité de l’Église. Les sédévacantistes complets essaient de résoudre le problème de la succession apostolique de deux manières. La première est le conclavisme. Ils avancent que l’Église est une société qui a le droit intrinsèque d’élire ses propres chefs. Par conséquent le petit reste de fidèles pourrait se réunir et élire un Pape. En supposant que pareille tâche puisse être menée à bien, elle soulève plusieurs problèmes. Premièrement : qui serait légalement désigné pour voter ? Comment désignerait-on légalement ces électeurs ? Deuxièmement : au nom de quel principe pourrait-on obliger les catholiques à reconnaître comme successeur légitime de saint Pierre celui qui gagnerait pareille élection ? Le conclavisme n’est en fait qu’un élégant euphémisme pour désigner le règne de l’anarchie où ce sont les plus féroces qui mènent la meute. L’Église catholique n’est pas une meute, mais une société divinement constituée régie par ses propres règles et ses propres lois. Troisièmement, et c’est le plus, on ne peut pas passer du droit naturel des hommes à se choisir des chefs, au droit d’élire un Pape. L’Église n’est pas une institution naturelle au même titre qu’une société civile. Les membres de l’Église catholique n’ont en propre aucun droit naturel à désigner le Pontife romain. C’est le Christ lui-même qui, à l’origine, a choisi saint Pierre pour être le pontife romain et les modalités de désignation ont ensuite été fixées légalement”. MGR DONALD J. SANBORN, Explanation of the Thesis of Bishop Guérard des Lauriers, 29/06/2002. S’adresser à l’auteur : Most Holy Trinity Seminary 2850 Parent Warren, Michigan 48092 USA ; bpsanborn@catholicrestoration.org.
21) Ce que nous avons affirmé n’est pas en contradiction avec ce qu’a écrit Mgr Guérard des Lauriers dans la même interview publiée dans le n° 13 de Sodalitium : “faute de M. [c’est-à-dire de la personne morale, donc des Évêques résidentiels habilités à convoquer un Concile général imparfait où l’on adresserait à Jean-Paul II les monitions canoniques], pas de résolution ‘canonique’ ! Jésus seul remettra l’Église en ordre, dans et par le Triomphe de Sa Mère. Et il sera évident pour tous que le salut sera venu d’en-Haut” (p. 33). Cette intervention divine ne sera pas en effet contraire à la divine constitution de l’Église telle qu’elle a été établie par Jésus Lui-même. Un retour des Évêques et/ou du “pape” materialiter à la profession publique de la Foi serait (sera) par ailleurs un miracle d’un ordre moral tellement extraordinaire qu’il serait à mettre sur le même plan que la conversion de saint Paul. En quelles circonstances cela adviendra – t-il, nous l’ignorons.
22) Sur le sujet, le lecteur pourra lire avec profit ce qu’a écrit le Père Goupil s.j. (L’Église, 5ème éd., Laval 1946, pp. 48-49) et le commentaire qu’en fait B. Lucien (La situation actuelle de l’autorité dans l’Église, Bruxelles 1985, p. 103, n° 132). Voir aussi F. Ricossa, L’abbé Paladino et la Thèse de Cassiciacum, Verrua Savoia, pp. 12-22).
23) B. LUCIEN, La situation actuelle de l’autorité dans l’Église. La Thèse de Cassiciacum, Bruxelles 1985, chap. X. D. SANBORN, De Papatu materiali, Verrua Savoia, 2001. La revue Le sel de la terre conteste, dans son n° 41, la démonstration donnée par Mgr Sanborn. Nous reviendrons sur la question dans le prochain numéro.
24) B. LUCIEN, op. cit., p. 107.