
Article
La Brèche de Saint-Pierre
Par Monsieur l'Abbé Francesco Ricossa
Note : cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°64
Vingt septembre 1870 : les Bersagliers de Cadorna ouvrent la brèche de Porta Pia et pénètrent de manière sacrilège dans la Cité Sainte du Catholicisme. Rome est occupée. Mais face à la Colline du Vatican, où saint Pierre versa son sang, même les Bersagliers, à la tête desquels se trouvaient symboliquement un soldat juif et un protestant colporteur de bibles, s’arrêtent. Pie IX est prisonnier au Vatican, c’est vrai, mais personne n’ose ou ne peut profaner les Palais du Vatican, comme il fut au contraire fait, avec l'aide d’un serrurier, pour le Palais papal du Quirinal.
Ce qu’ils n’osèrent pas alors, s’est réalisé de nos jours. Les ennemis de l'Église et de la Papauté, sur laquelle l'Église du Christ s’appuie comme sur un rocher, ont aussi réussi à pénétrer à l'intérieur du sanctuaire. Il semble cependant que le Vatican ait été pris et occupé par trahison, que certains hauts, même très hauts prélats, et même quelque zouave infidèle, ont ouvert la Porte de Bronze (on chuchote les noms des zouaves Messori, Socci et Tornielli).
Les “autorités” modernistes célèbrent le Risorgimento et le 20 septembre
(et les ex-Zouaves suivent, drapeau tricolore en main)
Le président de la république italienne, Giorgio Napolitano, a été pendant toute l'année du cent-cinquantenaire le Grand Maître de la religion laïque du Risorgimento ; homme de l'appareil du Parti Communiste, il s’est rendu coresponsable, comme chef de l'État, de la mort de Eluana Englaro, en refusant de signer le décret gouvernemental qui l'aurait sauvée ; ceci, bien qu’il ait été invité au Meeting de Rimini du “mouvement ecclésial” Comunione e Liberazione, et vivement applaudi par de nombreux jeunes présents, précisément à l'occasion des célébrations pour “l'Unité d’Italie”. Comunione e Liberazione s’était distinguée, dans les dernières décennies, pour avoir fait place – au moins en partie – à la voix catholique sur les événements du Risorgimento tout comme avaient fait certains auteurs catholiques (conciliaires) tels Messori, Socci, et Tornielli.
“Aujourd’hui il est devenu politiquement correct de s’en prendre au Risorgimento”, argumentent au contraire maintenant, captieusement, lesdits auteurs. Au lieu de se réjouir du fait que des décennies d’études ont commencé à égratigner le monument du Risorgimento, ces auteurs se risquent dans l'“Elogio dell'Unità d’Italia” (Messori) jusqu’au grotesque “Quando la Madonna indossò il Tricolore” (Socci). À quoi doit-on un changement si soudain et radical ? Le fait est que pour ces messieurs “là où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute”, et même les aveugles se sont aperçus de la volonté précise et déterminée des hiérarchies modernistes de faire l'éloge, sans demi-mesure, de l'aventure risorgimentale et même du 20 septembre.
Les actes accomplis à ce propos par Joseph Ratzinger, ou sous sa responsabilité, sont graves, répétés, convergents. Participaient au Comitato per i festeggiamenti per il 140° di Roma capitale, avec l'historien de la franc-maçonnerie Aldo Alessandro Mola, l'écrivain Vittorio Messori, Andrea Riccardi, de la Communauté de Sant’Egidio, ainsi que le cardinal Ravasi, du Conseil Pontifical pour la Culture ; parmi les événements organisés par le comité, la commémoration de Garibaldi de Mentana au Janicule, la commémoration de la République Romaine mazzinienne, la projection du film maçonnique sur la prise de Rome et – considérable succès des éléments catholiques (ironie) – trois concerts le 20 septembre dans des églises de Rome avec la collaboration du Vicariat ! Le 15 septembre 2010, pour le 140ème anniversaire de la Brèche de Porta Pia, lors de l'habituelle audience du mercredi, Joseph Ratzinger a reçu une délégation de Bersagliers, alors que l'un d’eux lui imposait le couvre-chef typique de l'arme qui entra dans Rome, dépossédant Pie IX, le 20 septembre 1870. La valeur symbolique du geste est évidente à tous, y compris aux modérés de l'association Inter multiplices Una vox, qui, en publiant l'article “Vive le 20 septembre : le cri de joie du Vatican”, commente amèrement : “Ce triste 15 septembre 2010, Benoît XVI a sanctionné que deux siècles de lutte contre l'Église, emblématiquement représentés par des Bersagliers de Porta Pia, ne comptent plus. Tout cela est passé, veut dire par les faits le Pape, et pour en donner la nouvelle formelle aux catholiques du monde entier il endosse le couvre-chef typique de ces épigones de la révolution anticatholique.”
Le 20 septembre 2010 le secrétaire d’État, Tarcisio Bertone, a participé aux festivités en l'honneur de la “Brèche de Porta Pia” avec le président Napolitano et le maire de Rome, Alemanno, encenseur de la république romaine mazzinienne, sur le lieu de l'historique et funeste événement. « Nous sommes rassemblés – a dit le cardinal Bertone – dans un lieu hautement symbolique pour accomplir un acte d’hommage envers ceux qui tombèrent et pour recueillir le message que nous a laissé la “Brèche de Porta Pia”. Par leur sacrifice et par le creuset de tribulations, de tension spirituelle et morale, que cet événement suscita, est sortie une perspective nouvelle, grâce à laquelle, désormais depuis plusieurs décennies, Rome est la capitale indiscutée de l'État italien (…) ». Hommage envers qui ? Certainement pas aux Pontificaux, qui tombèrent pour défendre l'Église ; en ce jour on commémorait l'œuvre des Bersagliers de Cadorna, et le président Napolitano leur a offert une couronne de lauriers ! Bertone, toujours, concluait par une prière, dans laquelle on attribue le sacrilège à la Providence : “Nous contemplons l'œuvre de Ta Providence qui s’est déployée admirablement y compris dans cette Ville et sur cette terre d’Italie. Donne, Seigneur, la paix éternelle à tous ceux qui tombèrent et à tous ceux qui, au cours des siècles, ont sacrifié leur vie pour le bien de la Patrie et de l'humanité”. Et à nouveau nous demandons : à qui se réfère Bertone ? Ceux qui ont sacrifié leur vie pour le bien de la Patrie et de l'humanité furent-ils les Pontificaux ? Ou les Bersagliers excommuniés ipso facto avec leurs mandants ? Et quel événement de l'histoire, même le plus criminel, doit être attribué à la Providence divine uniquement par le fait qu’il est arrivé ?
Après le 140ème anniversaire de la prise de Rome, le 150ème de l'Unité d’Italie… Rappelons qu’elle s’est accomplie aussi par l'invasion sacrilège (sans déclaration de guerre) des États de l'Église, et par l'annexion de la Romagne, des Marches et de l'Ombrie. Rappelons qu’elle s’accomplit en étendant aux États annexés la législation anticatholique du Royaume de Sardaigne. Eh bien, le cardinal Bagnasco – président de la Conférence épiscopale italienne – a célébré une solennelle “célébration eucharistique” le 17 mars 2011 pour – ce sont ses paroles – “élever à Dieu l'hymne d’action de grâces pour l'Italie”.
Mais sans doute, l'acte le plus grave est-il celui de Joseph Ratzinger lui-même dans sa lettre au président de la république Giorgio Napolitano, “à l'occasion des 150 ans de l'unité politique d’Italie”.
La lettre à Napolitano
La lettre de Joseph Ratzinger à Giorgio Napolitano “à l'occasion des 150 ans de l'unité politique d’Italie” est “une heureuse occasion pour réfléchir sur l'histoire de ce Pays aimé”. Le point de départ est précisément que les événements du 17 mars 1861 ont été “heureux” et dignes de ses “vœux les plus fervents” : pas une parole sur l'Allocution Iamdudum cernimus de Pie IX du 18 mars 1861, par laquelle, au contraire, le Pape protesta contre l'acte alors accompli et nia toute possibilité de réconciliation sans le repentir dû de la part des coupables. Aucune réconciliation – dit Pie IX – n’était possible entre le Pontife Romain d’un côté, et le Progrès, le Libéralisme et la Civilisation moderne de l'autre : “la bataille qui se fait contre le Pontificat Romain ne tend pas seulement à priver ce Saint-Siège et le Pontife Romain de toute sa Principauté civile, mais cherche aussi à affaiblir et, si cela était possible, à se débarrasser totalement de toute efficacité salutaire de la Religion catholique : et par conséquent de l'œuvre même de Dieu (…). … Ils voudraient que nous déclarions formellement céder en libre propriété aux usurpateurs les Provinces de Notre État Pontifical. Avec une demande aussi audacieuse et aussi inouïe, ils voudraient que ce Siège Apostolique, qui fut et sera toujours le rempart de la vérité et de la justice, sanctionne que la chose injustement et violemment volée puisse tranquillement et honnêtement être possédée par l'inique agresseur et qu’ainsi s’établisse le faux principe que l'heureuse injustice du fait ne porte aucun dommage à la sainteté du droit”.
À l'opposé de Pie IX, à supposer que les événements de 1861 aient été substantiellement positifs (opinion, comme nous verrons, inaugurée par Jean XXIII), il est alors nécessaire de montrer qu’ils ne furent pas étrangers ou même contraires au Catholicisme. Pour Ratzinger ils furent par conséquent “issue naturelle” de la tradition catholique italienne. Mais une issue évolutive, comme elle l'est dans la conception du théologien allemand ! En effet, durant le processus du Risorgimento, la contribution des catholiques ne vint pas de l'Église, qui condamna ce processus et dont elle fut victime, mais des catholiques que l'Église condamna pour être passés dans le camp de l'ennemi : “on ne peut passer sous silence – écrit Ratzinger – l'apport de pensée, et parfois d’action, des catholiques à la formation de l'État unitaire”. Et cet apport-trahison, est au contraire présenté comme positif. Ratzinger parle d’un apport quant à la pensée politique, et cite Gioberti, Cesare Balbo, Massimo d’Azeglio et Raffaele Lambruschini ; la pensée politique, philosophique et juridique, et cite Antonio Rosmini, celui de la littérature, et cite Manzoni et Pellico, et enfin les Saints et cite… saint Jean Bosco “qui modela l'appartenance à l'institut fondé par lui sur un paradigme cohérent par une saine conception libérale : ‘citoyens face à l'État et religieux face à l'Église”. Pour qui connaît les souffrances que subit don Bosco de la part du gouvernement libéral et des catholiques libéraux et sa fidélité à Pie IX, on se demande comment on peut faire de lui un disciple de Cavour. Mais mieux encore : pour Ratzinger, les penseurs comme Balbo, d’Azeglio et Lambruschini, méritent des éloges, non pas malgré, mais à cause de leurs “orientations catholico-libérales”. Ainsi on voit que les partisans de Vatican II ne cachent pas mais proclament à haute voix que leur pensée est catholico-libérale. Pourtant Pie IX avait dit : “Ce qui afflige votre pays et l'empêche de mériter les bénédictions de Dieu, c’est ce mélange des principes. Je dirai le mot et ne le tairai pas ; ce que je crains, ce ne sont pas tous ces misérables de la Commune de Paris, vrais démons de l'enfer qui se promènent sur la terre. Non, ce n’est pas cela ; ce que je crains, c’est cette malheureuse politique, ce libéralisme catholique qui est le véritable fléau. Je l'ai dit plus de quarante fois, je vous le répète à cause de l'amour que je vous porte” (Pie IX, discours aux pèlerins français conduits par l'évêque de Nevers, 16 juin 1871, cf. E. BARBIER, Histoire du catholicisme libéral et du catholicisme social en France, Bordeaux 1924, t. 1, p. 214). Quant aux auteurs cités, exception faite pour l'attribution sacrilège à don Bosco d’une doctrine qu’il abhorrait, tout le monde sait que, puisqu’ils étaient des catholiques libéraux, ils ne pouvaient pas être considérés comme vraiment orthodoxes dans la foi ; parmi eux, d’Azeglio était franc-maçon, Rosmini fut condamné et certaines de ses œuvres furent mises à l'Index, pire pour Gioberti, dont toutes les œuvres furent mises à l'Index (30 mai 1849, 14 janvier 1852). Mais le nom qui impressionne le plus dans cette liste est celui, moins connu, de Raffaello Lambruschini (1788-1873).
Raffaello Lambruschini : un modèle du modernisme et de Vatican II
Neveu du cardinal Luigi Lambruschini (qui fit honneur à la pourpre), ordonné prêtre, il se retira rapidement de la vie publique dans la propriété familiale à San Cerbone, dans le Valdarno. Ce n’est pas l'Église, mais l'État laïc qui l'honora en 1860, quand il devint sénateur du Royaume. Voici ce qu’en dit l'Enciclopedia cattolica : “Lambruschini est parmi les figures les plus représentatives du libéralisme toscan : défenseur convaincu d’une nouvelle réforme chrétienne, toute tendue au renouvellement intérieur des consciences, il ressentit l'exigence (…) de séparer le temporel du spirituel (en 1848 il s’opposa à ce que le catholicisme fût déclaré religion d’État dans la nouvelle constitution toscane) ; il fut opposé au pouvoir temporel (…), il soutint que le protestantisme a une part de vérité en soutenant le principe de la liberté renié par le catholicisme (…). Lambruschini a été justement défini un néo-illuministe, parce que pour lui, la Révélation doit passer à travers le filtre de la raison. Les lois de la nature sont immuables : Dieu a fait apparaître seulement des phénomènes que l'ignorance humaine estime contraires aux lois de la nature (…) même les miracles de l'Évangile pour Lambruschini doivent être remis à la ‘critique’ et à la ‘foi individuelle’”. Les définitions de foi sont seulement négatives : elles ne nous disent pas la vérité, mais uniquement ce qui est erreur ; seuls deux dogmes subsistent : l'essence de Dieu et la rémunération de la vie extérieure. “Pour Lambruschini, l'efficacité sacramentelle n’est pas intrinsèque au rite. (…) En ce sens Lambruschini est vraiment précurseur du modernisme italien”. Voilà qui était le “catholique” que Ratzinger présente positivement dans sa lettre à Napolitano. Giorgio Spini, dans son Risorgimento e protestanti (Il Saggiatore, Mondadori, 1989) présente Lambruschini comme un homme qui dans son cœur, comme son disciple Ricasoli, embrassa le protestantisme, bien qu’en ne faisant pas le pas extérieur de quitter l'Église comme fit, au contraire, son ami toscan le comte Guicciardini (1806-1888). Lambruschini hérite ses idées du socinianisme genevois et s’il reste dans l'Église c’est parce qu’il espère en sa réforme : “le catholicisme doit être réformé plutôt que détruit : mais il mérite d’être conservé non tant pour ce qu’il est actuellement (au XIXème siècle, n.d.r.) que pour les germes d’évolution et de progrès qu’il contient. Et cette évolution doit être telle, à la longue, qu’elle admette la réunification de tous les chrétiens non dans le schéma d’une rigide orthodoxie triomphante, mais dans une libre et flexible fraternité…” (p. 164). Pour ce qui est du catholicisme de son temps, au contraire, ce sont les paroles de Lambruschini, “il faut se préparer à avoir presque tous les évêques et surtout le Pape très ouverts et implacables ennemis” (p. 162). Il fut dit par Tommaseo (catholique libéral) “un nouvel Ochino” (frère apostat du XVIème siècle devenu socinien), par Salvagnoli “un Luterino [petit Luther, n.d.r.]” (p. 166). Ne nous étonnons pas alors que Ratzinger, qui a fait l'éloge en Allemagne du Luterone [grand Luther, n.d.r.], ait peu de temps avant cité avec sympathie notre Luterino.
Le virage de Jean XXIII et Paul VI…
Comment est-il possible que depuis Pie IX on soit arrivé à de telles paroles de la part de Benoît XVI ? Le virage (véritable demi-tour) ne commença pas avec le Concordat de 1929 (Pie XI dans sa première encyclique Ubi primum avait encore protesté pour défendre les droits de l'Église au pouvoir temporel), simple accord de fait, mais avec Jean XXIII.
Ce fut lui, en premier, qui considéra digne de festivités un anniversaire du Risorgimento ; ce fut Jean XXIII qui écrivit, pour le centenaire de l'Unité : “La commémoration qui en ces mois est motif de sincère allégresse pour l'Italie, le centenaire de son Unité, nous trouve participants d’un même sentiment de reconnaissance à la Providence du Seigneur…” (Discours à l'occasion de la visite officielle du député Fanfani, président du conseil des ministres, 11 avril 1961, AAS 53, 1961, 227-228).
La route, timidement encore, avait été ouverte : attribuer à la Providence, c’est-à-dire à Dieu, le mal accompli par ses ennemis contre l'Église. C’est sur cette route avec beaucoup d’assurance que chemina le cardinal Jean-Baptiste Montini le 10 octobre 1962, en prenant la parole au Campidoglio devant le Président de la République et des Chambres. “La Providence – dit-il – jouant presque dramatiquement avec les événements, enleva à la papauté les charges du pouvoir temporel, pour qu’elle puisse mieux accomplir sa mission spirituelle dans le monde”.
Après son élection, à l'occasion du centenaire du 20 septembre, Paul VI ne manqua pas de manifester son adhésion aux festivités pour la fin du Pouvoir Temporel de l'Église : il écrivit en ce sens au président de la république Saragat le 18 septembre 1970 (“La passion même, avec laquelle l'Italie succédait à la gestion pontificale dans la possession de Rome et de ses territoires, apporte garantie à cet égard d’une conscience noble, infatigable et agissante. Nous en sommes sincèrement heureux, et formons pour cela nos vœux les meilleurs et les plus cordiaux, que, osons-Nous dire, aucun autant que Nous ne pourrait exprimer”), envoya le 20 septembre le cardinal-vicaire de Rome célébrer la sainte Messe pour la commémoration et s’adressa lui-même aux fidèles à l'Angélus , et enfin s’adressa, joyeux, aux associations des Bersagliers et Artilleurs le 21 septembre.
La nouvelle doctrine était claire, c’est pourquoi la déclaration de Jean-Paul II à Bologne sur la “providentialité” de la perte de la Ville par le Saint-Siège n’étonna pas.
Condamnée par l'Église
Mais comment se concilient les paroles des partisans de Vatican II avec le magistère de l'Église y compris à ce sujet ?
Les documents magistériels de Pie IX, brefs, allocutions, nombreuses encycliques, condamnant les lois subversives du Risorgimento et les usurpations successives de l'État ecclésiastique, jusqu’à la prise de Rome sont innombrables. La proposition LXXVI du Syllabus condamna par exemple la proposition suivante : “l'abolition de l'empire civil possédé par le Siège Apostolique contribuerait beaucoup à la liberté et à la prospérité de l'Église” et le document ajoute qu’il s’agit d’une doctrine que “tous les catholiques sont obligés de respecter avec la plus grande fermeté”.
Après la “Brèche de Porta Pia” Pie IX ne remercia pas la Providence, mais écrivit : “Considérant tout ce que le Gouvernement Subalpin fait déjà depuis quelques années, avec de continuelles machinations, pour abattre le Principat Civil accordé par particulière Providence de Dieu à ce Siège apostolique, afin que les Successeurs du Bienheureux Pierre aient pleine liberté et la sécurité nécessaires dans l'exercice de leur juridiction spirituelle, il Nous est impossible, Vénérables Frères, de ne pas Nous sentir le cœur touché par une profonde douleur pour une si grande conspiration contre l'Église de Dieu et ce Saint-Siège, en ce funeste moment, dans lequel le Gouvernement, suivant les conseils des sectes de perdition, accomplit contre toute loi et avec les armes, cette invasion sacrilège qu’il méditait déjà depuis longtemps, de la Ville Éternelle et des autres cités dont nous restait encore la possession après la précédente usurpation. (…) Surgit ce funeste jour que fut le 20 septembre dernier ; jour où Nous vîmes cette Cité, siège principal des Apôtres, centre de la Religion Catholique et refuge de nombreux peuples, assiégée par plusieurs milliers d’hommes armés ; et tandis que la brèche se faisait dans ses murs et que se répandait la terreur par un jet continu de projectiles, Nous fûmes affligés de la voir prise par ordre de celui qui peu de temps avant avait déclaré si noblement être animé par une affection filiale pour Nous et par un fidèle sentiment religieux. Que peut-il exister de plus funeste que ce jour pour Nous et pour toutes les âmes bonnes ? De ce jour où sont entrées les milices dans Rome qui était remplie d’une multitude d’étrangers séditieux, Nous vîmes immédiatement l'ordre public bouleversé et renversé, Nous vîmes insultées de manière impie dans Notre humble personne la dignité et la sainteté du Souverain Pontificat, Nous vîmes les très fidèles cohortes de Nos soldats insultées de toutes manières, Nous vîmes dominer partout une insolente liberté effrénée, là où peu avant resplendissait l'affection des fils désireux de réconforter la tristesse du Père commun. De ce jour s’ensuivirent ensuite sous Nos yeux de telles choses, que l'on ne peut rappeler sans la juste indignation de tous les bons : de mauvais livres bourrés de mensonges et de méchanceté impie commencèrent à être proposés comme achat convenable et petit-à-petit à être divulgués ; de très nombreux journaux furent diffusés de jour en jour, visant à corrompre les esprits et les bonnes mœurs, à mépriser et calomnier la Religion et à enflammer l'opinion publique contre Nous et le Siège Apostolique ; des illustrations honteuses et indignes furent publiées ainsi que d’autres œuvres du même genre par lesquelles les choses et les personnes sacrées étaient tournées en dérision et exposées au public de manière ridicule ; on décréta honneurs et monuments à ceux qui avaient payé par une légitime condamnation les peines des crimes les plus graves, les ministres de l'Église contre lesquels est plus ardente la haine étaient insultés et certains blessés par trahison ; des maisons religieuses furent soumises à d’injustes perquisitions ; Notre Palais du Quirinal fut violé et de là, où il avait son siège, l'un des Cardinaux de la Sainte Église Romaine fut contraint par la force à partir immédiatement et il fut interdit aux autres ecclésiastiques de Nos proches de fréquenter le Quirinal et ils furent molestés de toutes les manières ; on fit des lois et des décrets qui offensent manifestement et piétinent la liberté, l'immunité, les propriétés et les droits de l'Église de Dieu ; et ces maux très graves nous devons dire avec grande douleur qu’ils augmenteront encore si Dieu bienveillant ne l'empêche pas, alors que Nous, dans l'impossibilité par Notre condition d’y porter remède, plus douloureusement chaque jour Nous devons Nous rendre compte de la prison dans laquelle Nous Nous trouvons et de l'absence de cette pleine liberté qui avec le mensonge fait croire au monde qu’elle Nous a été laissée pour exercer Notre Ministère Apostolique et que le gouvernement envahisseur raconte avoir voulu valider avec les soi-disant nécessaires garanties. […] Mais puisque Nos avertissements, questions et protestations, sont restés vains, Nous, par l'autorité de Dieu Tout-Puissant, des Saints Apôtres Pierre et Paul et la Nôtre, Nous vous déclarons, Vénérables Frères, et par vous à toute l'Église, que tous ceux qui se distinguent par quelque dignité, même digne de mention particulière, qui ont perpétré l'invasion, l'usurpation ou l'occupation de quelque province de Notre possession et de cette Ville Éternelle, et ainsi que leurs mandants, adeptes, collaborateurs, conseillers, partisans ou n’importe qui d’autre a procuré sous quelque prétexte, de quelque manière, ou procédé lui-même à l'exécution des susdites scélératesses, encourent l'excommunication majeure et les autres censures et peines ecclésiastiques infligées par les Sacrés Canons, par les Constitutions Apostoliques et par les décrets des Conciles généraux, surtout par celui de Trente, dans la forme et dans la teneur exprimées dans Notre Lettre Apostolique du 26 mars 1860 rappelée ci-dessous” (encyclique Respicientes ea, 1er novembre 1870).
Léon XIII (qui à plus de soixante reprises protesta contre l'usurpation) dut écrire un Testament politique qui fut lu au cours du conclave qui élit son successeur, saint Pie X. Le grand Pape attribuait ainsi à la Providence divine le fait que “le Pontificat Romain ait pu maintenir plus que jamais solide l'union admirable de l'Épiscopat et des Fidèles, s’accorder l'amour et la dévotion des peuples, croître dans l'estime et dans le respect de son autorité, faire sentir au monde sa puissance morale et tenir haut le prestige du Siège Apostolique”, mais tout ceci nonobstant la perte du pouvoir temporel, et non grâce à elle ; grâce plutôt au constant refus du Pape, écrivit Léon XIII, de renoncer à ses droits : “en outre, il serait de même déplorable qu’avec le concours même du Pontife fût quasi consacré le principe de la coexistence dans Rome de deux pouvoirs suprêmes”. Hélas, le fait fut ensuite malheureusement reconnu, mais non le principe et sa “providentialité”. Pie IX et Léon XIII attribuent à la Providence le Pouvoir Temporel du Pape, et aux Sectes sa perte ; Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI en attribuent au contraire la perte à la Providence, laquelle évidemment est de leur point de vue de mèche avec les Sectes maçonniques.
Socci, Messori, 30 Giorni (et A. A. Mola) fêtent le 20 septembre
Aveugles à la suite d’autres aveugles, les Bersagliers déguisés en zouaves ne font rien d’autre que suivre les “autorités conciliaires” (par obéissance ? par intérêt ? Laissons à Dieu le jugement). Ainsi Antonio Socci, revenu sur les traces de Ettore Socci (1846-1905), après avoir rappelé ses mérites passés anti-Risorgimento (grâce aux éditions Sugarco) écrit : “Aujourd’hui que – au contraire – elle est devenue une mode (la critique du Risorgimento, n.d.a.), je voudrais dire mon ‘Vive l'Italie’ et je pense que l'on doit fêter le 17 mars. Pour nous catholiques il y a de toute façon quelque chose de providentiel dans le Risorgimento italien (y compris dans la fin du pouvoir temporel des papes, comme l'a dit Paul VI), parce que Dieu sait écrire droit même avec les lignes tordues des hommes. (…) Même le drapeau tricolore (…) est imprégné de tradition catholique”, écrit Socci, puisque ses inventeurs, Zamboni et De Rolandis, s’inspirent de l'écusson croisé de Bologne et des trois vertus théologales… Socci, réveillez-vous ! Ne savez-vous pas que les deux étaient – l'un et l'autre – des francs-maçons, et que la Loge la plus importante de Bologne est précisément la Loge Zamboni-De Rolandis ? Et le drapeau tricolore de la révolution française ne vous dit-il rien ? Qui voulez- vous rouler dans la farine ? Et ensuite on en arrive au grotesque : les couleurs de l'équipe nationale de football, une apparition de la Sainte Vierge en tricolore, les fanfaronnades du frère Carducci, le mot Italie en hébreu, pour finir avec le coup final : “De Gasperi qui sauva la liberté et accomplit ainsi vraiment le Risorgimento”. Tout cela sur le quotidien Libero du 13 février 2011.
Si Socci fête le 17 mars, le mensuel 30 Giorni (dirigé par Giulio Andreotti, et de mouvance Comunione e Liberazione) veut que le 20 septembre devienne fête nationale. Après avoir vilipendé la véritable Église (c’est “l'Église qui reconnaît la liberté, l'autonomie et la laïcité de l'État” ; ce n’est pas l'Église, ce sont les modernistes dans l'Église qui le font), Benedetto Cottone conclut : “et alors c’est chose juste que, par sain amour de la patrie, sans triomphalisme d’une part et avec sincère allégresse de l'autre, le 20 septembre soit proclamé fête nationale du Risorgimento unitaire” (30 Giorni n° 10, octobre 2007).
Mais il n’y a pas de limite au pire. Et le pire est représenté par Vittorio Messori. En syntonie avec l'historien de la Maçonnerie Aldo Alessandro Mola, dans son intervention au congrès “1870-2010 : Rome devient Capitale” (Campidoglio, 18 septembre 2010) Messori dit : “Je suis loin, évidemment, des revendications d’un zouave pontifical (c’est vrai Messori : les zouaves sont morts pour défendre le Pape et la foi contre leurs ennemis, vous, au contraire vous parlez tranquillement à côté des susdits, n.d.a.), au contraire, je suis complètement solidaire de Paul VI qui le 20 septembre 1970 envoya son vicaire célébrer une Messe à Porta Pia, et je suis reconnaissant à Benoît XVI qui fait encore plus et envoie son secrétaire d’État. De cette manière fut et est reconnu le caractère providentiel de la libération de l'Église du poids du pouvoir temporel…” (si les voleurs cambriolent sa maison je serai heureux de reconnaître le caractère providentiel de la libération de Messori du poids de ses biens temporels). Récidive, le 10 janvier 2011, sur La Bussola quotidiana (journal on-line de catholiques libéraux qui ont perdu la boussole et naviguent dans des bateaux sans maître pour tenir le Timone… [nom d’un journal signifiant gouvernail ; le “Timone” est un mensuel du même genre, n.d.r.]) Messori a écrit un “Elogio dell'Unità d’Italia”. Après avoir vanté, comme Socci, son passé de catholique anti-Risorgimento, il se vante aussi, après son intervention au Meeting de Rimini du CL de 1990 de ne plus être revenu sur le sujet. Non au contraire, il y revient maintenant, mais pour louer ce qu’il critiqua jadis. “Je crois que le Pape a eu raison (sic) en envoyant son secrétaire d’état aux célébrations des 140 ans de la brèche de Porta Pia. Parce que dans une perspective historique, ce qui se produisit au cours du Risorgimento jusqu’à la prise de Rome, nous montre que ce qui paraissait un drame, la perte du pouvoir temporel, s’est révélé bénéfique. Aucun des catholiques qui pense ne voudrait revenir au Pape Roi et à l'État Pontifical. Je suis avec Luigi Sturzo…”. Messori aussi, comme Socci, démocrate-chrétien ! Et en bon démocrate-chrétien, les catholiques qui ne pensent pas comme lui seraient carrément des êtres “non pensants” et donc des sous-humains. Nous nous vantons d’appartenir à cette catégorie, avec Pie IX, qui était vraiment Pape, et avec ses successeurs. Et alors, pourquoi s’étonner si sur le quotidien romain Il Tempo (21 novembre 2011), après une première page intitulée “Voici le complot imaginaire”, il publie une “retentissante double page intérieure avec des interviews parallèles : du très catholique Vittorio Messori (…) et du très maçonnique Gustavo Raffi, Grand Maître du Grand Orient d’Italie. Thèse du parti guelfe : mais quelle conspiration maçonnique pro Monti (…). Thèse de Loge : mais laissez tomber les complots (…) À jésuite, jésuite et demi” (Il Foglio, 22 novembre 2011, p. 2). Les comploteurs attribuent tous les maux à qui resterait en coulisses ? Messori répond : “Évidemment les grands coupables sont identifiés mais aussi les petits, une sous-espèce de coupables, comme les francs-maçons, les banquiers ou l'Opus Dei”. Mais Messori, qui a déjà défendu l'Opus Dei, défend maintenant aussi la franc-maçonnerie : “(…) la franc-maçonnerie anglaise ou américaine a un grand engagement civil, elle aide aussi l'Église. Chez nous par contre elle a été identifiée comme une main noire étant donné qu’elle a toujours été anticléricale. Et elle rentre ainsi à bon droit dans le panier des diables alternatifs”. Mais pour Messori ces “diables alternatifs” sont des pauvres diables injustement accusés. Et si derrière le gouvernement Monti il y avait réellement la Maçonnerie, les banquiers et le Vatican (sic) ? Messori répond : “quand bien même” ! Même Il Foglio, ce qui est tout dire, a commenté : “Des Catholiques qui font équipe avec équerre (et compas) [jeu de mots impossible à rendre en français : en italien, squadra signifie à la fois équipe et équerre, n.d.r.]”. Merci Messori, pour avoir mieux fait comprendre qui vous êtes.
Libéraux comme Cavour, mieux : pire que Cavour
Le Risorgimento donc, et le 20 septembre 1870, comme œuvre de la Providence au bénéfice de l'Église : telle est la doctrine de l'actuel “magistère” et de ses apologistes. Mais telle était déjà la pensée de Camillo Benso comte de Cavour, dont ont été récemment réimprimés les “Discorsi su Stato e Chiesa” (éd. Rubbettino, Soveria Mannelli 2011) tenus au Parlement.
Dans ces discours parlementaires, Cavour, en proposant les lois Siccardi, la suppression des ordres religieux, le mariage civil, la suppression enfin du pouvoir temporel de l'Église et l'annexion de Rome à l'Italie, proclame toujours que de telles mesures, si elles sont unies à la complète séparation entre État et Église, auraient été d’une très grande utilité à l'Église et à la Religion (op. cit. pp. 89-91, 97). Le modèle est celui de la Révolution anglaise (p. 168), celui des États-Unis, de la première Révolution française de 1789 (p. 172), exactement comme pour Benoît XVI dans le célèbre discours à la Curie de 2005. “J’espère que dans peu de temps nous aurons convaincu la partie choisie de la société catholique de la loyauté de nos intentions ; nous l'aurons convaincue que la solution que nous proposons (l'annexion de Rome et le principe ‘Église libre dans État libre, n.d.a.) est la seule qui puisse assurer l'influence légitime de l'Église en Italie, dans le monde ; et que donc sous peu de toutes les parties de la société catholique s’élèveront des voix qui crieront au Saint Père : Saint Père, acceptez les pactes que l'Italie libre vous offre, acceptez les pactes qui doivent assurer la liberté de l'Église et accroître le lustre du Siège où la Providence vous a placé…” (p. 177). Ainsi se termine le discours le plus célèbre de Cavour, du 25 mars 1861, peu avant sa mort.
Comme Cavour, et même pire que lui. Puisque Cavour, tout en soutenant que le principe de liberté (liberté religieuse, de culte, de conscience : Église libre dans État libre) était avantageux pour l'Église, il reconnaissait cependant qu’il était contraire à la doctrine de l'Église, et que le Pape n’avait pas le droit de l'embrasser : “quand vous demandez au pontife de faire à la société civile les concessions requises par la nature des temps et du progrès de la civilisation, mais qu’elle se trouvent en opposition avec les préceptes positifs de la religion, dont il est le Souverain Pontife, vous lui demandez quelque chose qu’il ne peut ni ne doit faire. S’il consentait à une telle demande, il trahirait ses devoirs comme Pontife, cesserait d’être respecté comme le chef du catholicisme. Le Pontife peut tolérer certaines institutions comme une nécessité ; mais il ne peut les promulguer, ni en assumer la responsabilité, ni leur donner l'autorité de son nom. (…) Je n’hésite donc pas à dire : loin de faire au Pontife un reproche d’avoir constamment refusé les réformes et les concessions qui lui étaient demandées, la sienne, qui n’est pas obstination, mais fermeté, est, à mon avis, à juger en catholique, un titre de mérite” (p. 146) ; “réformes que, en tant que Pontife, vous ne pouvez faire (…) réformes qui ne s’accordent pas avec les maximes dont vous devez être gardien (…) je ne vous réprouve pas quand vous refusez de proclamer la liberté religieuse, la liberté d’enseignement, je vous comprends” (p. 163). Impossible, donc, pour Cavour, “la conciliation des grands principes du progrès civil, des grands principes de 1789, avec le pouvoir temporel” (p. 146-147) : le Pape ne pouvait pas promulguer ces principes ; il était donc nécessaire de le tirer d’embarras, en lui enlevant le pouvoir temporel. Que dirait maintenant le comte, en voyant Benoît XVI principal défenseur de ces principes ? Que son vœu s’est réalisé au-delà de toute espérance : que “la partie modérée et éclairée de la Société Catholique reconnaisse la grande vérité de ce principe ; qu’elle accepte le grand principe de la liberté” (p. 170).
Que les catholiques “qui ne pensent pas” ne montent pas sur le char des vainqueurs
Mais tous les catholiques ne sont pas devenus libéraux. Messori peut mépriser les catholiques qui ne pensent pas, mais ne peut nous faire renier le magistère de l'Église. Les vainqueurs d’aujourd’hui ne le seront pas toujours, nous en sommes certains. Pour le moment, nous restons à côté des Zouaves, et non des Bersagliers, et à côté de l'Église, et non de la franc-maçonnerie.
TESTAMENT POLITIQUE DE LÉON XIII
Parmi les nombreux bénéfices dont Nous a amoureusement pourvu la Providence divine, nous reconnaissons non comme le moindre, de nous avoir prolongé à ce point, en vérité extraordinaire, les années de vie et aussi de Pontificat. Mais immédiatement cette faveur insigne Nous avertit d’autant plus de rassembler les pensées sur Notre désormais imminente disparition. Et cette pensée salutaire, qui se présente toute la journée à Notre esprit, Nous pousse aujourd’hui avec une plus vive impulsion à dicter ces pages et à les laisser au Sacré-Collège : tant pour offrir un gage de très spéciale affection et d’esprit de gratitude à son égard, lui qui par son conseil et son œuvre Nous a activement assisté dans le gouvernement de l'Église ; et tant pour lui ouvrir Nos intimes impressions, fruit de l'expérience que l'âge avancé et la hauteur même du ministère Nous ont données d’acquérir.
En parlant au Sacré-Collège c’est chose parfaitement superflue de décrire les très singulières difficultés contre lesquelles lutte depuis un-demi siècle le Siège Apostolique, depuis que précisément par l'œuvre maléfique des sectes dans presque toutes les nations, chaque institution publique et privée fut ébranlée dans ses fondations, fut pervertie, fut arrachée de Dieu et de l'Église. S’ajoute la condition très triste créée au Souverain Pontife, qui fut dépouillé de la souveraineté civile, et donc de son indépendance et de sa liberté, réduit sous une domination hostile, et contraint à se voir enfermé en cette résidence du Vatican, sous peine de voir et sa dignité et sa personne exposées à des offenses malheureusement que trop probables. Et Nous qui précisément l'éprouvons depuis plus de vingt-trois ans, pouvons dire que cette privation en vérité n’est pas légère. Maintenant, Nous voulons rendre une très spéciale louange à la Providence de Dieu, qui veille avec amour sur l'Église et assiste efficacement son Vicaire, nonobstant si la si grande iniquité des temps et un si déloyal abandon des puissances terrestres, le Pontificat romain a pu maintenir plus que jamais solide l'union admirable de l'Épiscopat et des Fidèles, se concilier la dévotion et l'amour des peuples, croître dans l'estime et dans le respect de son autorité, faire ressentir au monde sa puissance morale, et tenir haut le prestige du Siège Apostolique. Mais cette merveilleuse vitalité du Pontificat lui-même, bien que dépouillé du Principat civil, et contrarié en tant de manières, il Nous semble qu’elle doit principalement se manifester par la résistance constamment opposée à toute composition indigne avec ceux qui non seulement l'ont privé de cette protection, mais qui ont aussi multiplié contre lui de très graves affronts. Nous sommes convaincus que dans les présentes conditions sociales et politiques du monde, en l'espèce de l'Italie, malheureusement complètement commandée par les sectes impies, une telle résistance est peut-être l'unique moyen resté au Pontife romain pour la sauvegarde de son indépendance, de ses droits, de sa dignité même. En vérité c’est une arme de défense non moins légitime que digne du Vicaire de Jésus-Christ. Ainsi, en suivant sa propre voie dans l'accomplissement actif des forces du Ministère Apostolique, et en attendant en toute confiance le secours de Celui qui est le vengeur suprême de sa cause, qu’il ne se plie pas aux usurpateurs, qu’il ne condescende pas à des propositions dont on entrevoit facilement les conséquences ; mais en le laissant seulement à la merci de leurs conseils, il en brouille et confond les propos, qui ne visent à rien d’autre sinon à poser l'ultime sceau à l'asservissement du Pontificat. De ce comportement du Pontife, ils éprouvent un grand trouble, comme le démontrent les fréquentes doléances qu’ils en expriment, et les différentes habiletés qu’ils utilisent à vaincre la résistance redoutée, ou au moins à laisser le Pontife abandonné ; et ce en attirant au nouvel ordre des choses les hommes faibles, prêts pour des raisons humaines à des compromis, bien que coupables.
Et nous croyons pouvoir affirmer, qu’à favoriser de telles propositions ne manque pas le soutien de certains gouvernements, lesquels par différents calculs de prudence humaine conduiraient le Pontife, et peut-être même le contraindraient, à accepter des accommodements et des adoucissements, imaginés en apparence pour améliorer les conditions présentes, mais en fait pour le placer dans cet état de trêve et d’apaisement, à le rendre pour toujours résigné à une dépendance vraie et réelle. Ensuite, la perte qui s’ensuivrait de ses devoirs les plus sacrés est manifeste, devoirs qui le lient solennellement devant Dieu et l'Église, y compris par l'obligation religieuse du serment. Certes il n’y a pas de chose dont Dieu se montre plus jaloux que l'indépendance de l'autorité suprême de Celui dont il tient lieu sur terre : puisque par l'indépendance et la liberté du Chef, est étroitement lié le bien de toute la chrétienté. En outre, le Principat civil du Pontife, en plus d’être l'héritage de droits séculaires, inaliénables, dotés de très graves sanctions, contient intrinsèquement une certaine nécessité pour le libre exercice du ministère apostolique dans le présent ordre de la Providence. Cette nécessité fut affirmée par un suffrage unanime de l'Église enseignante, et se manifeste d’autant plus grande de nos jours, puisque, les liens politiques – qui en d’autres temps maintenaient la chrétienté dans l'ordre international réunie comme un seul corps et assujettie à la haute influence du Chef de l'Église – étant dissous, il n’en est resté aujourd’hui qu’une désagrégation de peuples rivaux entre eux, et si passionnés d’indépendance nationale, au point de la sacrifier à tout autre sentiment plus élevé.
Plusieurs fois Nous avons considéré à quelles et combien funestes conséquences on aurait pu arriver, si Nous avions autrefois abandonné la résistance, et si Nous Nous étions adaptés à une situation cependant désirée par beaucoup, sous l'apparence d’un plus grand bien. Un tel changement aurait été jugé par la plupart une ignoble reddition, dont rien de pire ne peut affaiblir à la face des peuples et des gouvernements le prestige et l'autorité même du Pontificat. Il s’en serait donc suivi l'abandon définitif des droits séculaires du Saint-Siège, et d’une certaine manière le rejet de la seule garantie, de son indépendance, toutes les réserves possibles et protestations à interposer ne servant à rien, étant donné qu’elles auraient été contredites par le fait. Il serait en outre déplorable qu’avec le concours même du Pontife soit pour ainsi dire consacré le principe de la coexistence dans Rome de deux pouvoirs suprêmes. Il n’échappe pas au discernement et à la perspicacité du Sacré-Collège comment ce principe contraste avec la nature même des choses et avec l'expérience de tant de siècles et que cependant il serait tôt ou tard source malheureuse de désaccords et de violences encore, bien entendu de la part du pouvoir laïc, qui empiéterait sur les confins du pouvoir ecclésiastique. Celui-ci, en effet, l'histoire en est témoin, puisque fort de moyens, audacieux dans les actes, et plus sujet à être dominé par les passions, est malheureusement enclin aux usurpations et aux violences. L’atmosphère même qui se formerait autour du Pontife ne pourrait se soustraire, à qui considère bien, à l'influence prépondérante du pouvoir dominant ; laquelle s’insinuerait presque nécessairement aussi dans le choix des principaux conseillers et des instruments les plus délicats du gouvernement de l'Église. Ensuite, la célébration des Conclaves et l'élection subséquente du Pontife se ressentirait sans doute de cette influence, plus peut-être que cela n’était arrivé en d’autres temps de tris te mémoire.
Une situation si nouvelle et anormale du Pontificat, Nous l'avons en outre très mûrement considérée dans ses rapports essentiels avec le monde catholique. Puisque par rapport aux autres nations et à leurs gouvernements elle apparaîtrait un peu moins que inféodée à une Dynastie, à un État ; presque l'hôte d’un pouvoir étranger, lequel en l'accueillant en son sein, le tient, pour ainsi dire, entre ses mains, et peut donc en inspirer ou au moins en contrôler les actes, et en tirer les différents mérites. Et à tout ceci pourrait s’ajouter quelques aspects de vraisemblance, par certains égards, que le Pontife serait comme tenu d’utiliser envers une souveraineté, unique, cohabitante et accueillante. C’est pourquoi, il est certain que la parole du Pontife aux Nations catholiques pourrait devenir moins appréciée, puisque parfois suspecte, et son action moins efficace. Dans les Cours ensuite et dans les cabinets de gouvernement se répandraient à tout moment défiances et jalousies, qui ne pourraient pas se dissiper si facilement. Ainsi le Pontificat en s’approchant et se liant de préférence à une nation donnée, s’écarterait pareillement des autres, jusqu’à altérer peut-être aussi son caractère distinctif d’universalité ; au risque même de voir s’alanguir la respectueuse affection et la dévotion des Fidèles au centre de l'unité catholique. Sans compter que personne n’ignore combien de pernicieux effets peuvent produire les passions politiques dans l'ordre religieux. Or, si le cas – qui n’est pas rare – de rivalités et de conflits entre les différents États et celui qui aurait en son siège et pouvoir le chef de l'Église, se produisait, les sujets et les gouvernements des autres États seraient facilement conduits à ne pas accueillir avec le respect dû les directives pontificales, comme si elles venaient d’une autorité d’une certaine manière adhérente à la partie adverse ; et même de ce côté-là l'unité de l'Église ne serait pas exempte de tout danger. Sans dire que l'exercice du ministère apostolique deviendrait dans ce cas extrêmement difficile.
Nous reste une réflexion qui eut toujours grande force dans Notre âme. Nous voulons dire les exemples très nobles de fermeté apostolique, qui Nous ont été transmis par tant de pontifes parmi les plus illustres pour leur sagesse et leur sainteté, lesquels pour la défense de leur indépendance et du Principat civil de l'Église romaine ne doutèrent pas de faire usage avec une grande vigueur des armes spirituelles et matérielles ; ils firent face à d’infinis soucis, soutinrent d’intrépides luttes incessantes, souffrirent exils et prisons, plutôt que de céder à l'injustice et à la violence. Une si généreuse vertu qui est tout à l'honneur splendide de l'Église, il n’est que trop juste que, par grâce de son divin Fondateur, elle persévère toujours vivante et constante : et Nous conforte la conscience d’avoir suivi de Notre mieux ces exemples magnanimes. La cause que nous avons soutenue et soutenons n’est autre finalement que la cause de Dieu : il est le vengeur de ses droits et l'absolu ordonnateur des événements humains, au souverain vouloir duquel devront céder et s’incliner les volontés rebelles ; mais dans le mode et dans le temps qui sont connus de Lui seul. Et nous avons confiance que lui, impitoyable aux longs tourments de l'Église, acquise par le Sang de Son Fils, si par ses adorables desseins il ne Nous le concédait pas, Il voudra l'accorder à Notre successeur, c’est-à-dire de voir couronnée d’heureux succès la Fermeté Apostolique en soutenant les sacrosaintes raisons du Pontificat.
Et dans cette confiance Nous saluons avec très particulière affection les vénérables membres du Sacré-Collège, et Nous leur accordons la bénédiction Apostolique.
Léon PP. XIII
(signature autographe)