Doctrine
La Règle de notre Foi
Par Monsieur l'abbé Giuseppe Murro
Note : cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°43
Le dépôt de la Révélation
Nous savons que Notre-Seigneur a institué l’Église en la dotant d’un Magistère infaillible pour conserver fidèlement la doctrine révélée et la déclarer infailliblement (Conc. Vat., DS. 3020). Or la Révélation s’est terminée de manière définitive avec la mort du dernier Apôtre, St Jean. Il est donc juste de se demander : où peut-on trouver aujourd’hui le dépôt de la Révélation, c’est-à-dire tout ce que Dieu a révélé depuis le début de la Création jusqu’à la mort de St Jean ? En d’autres termes : où sont les sources dans lesquelles la parole de Dieu est gardée ?
Le dépôt de la Révélation se trouve dans la Sainte Écriture et dans la Tradition. La Sainte Écriture est la parole de Dieu mise par écrit, sous l’inspiration de Dieu ; elle est contenue dans les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. La Tradition est le dépôt de la vérité et des choses révélées, avec l’attestation de Dieu, lesquelles sont conservées au moyen de la prédication orale et de la foi de l’Église. Le Magistère de l’Église enfin, est muni de l’assistance de Dieu pour garder, interpréter et expliquer la parole de Dieu contenue dans le dépôt de la foi. Ceci est le Magistère confié aux Apôtres comme charge ordinaire et transmis à leurs successeurs formels.
La règle de la foi
Comment un simple fidèle fait-il pour connaître ce qui est révélé par Dieu et ce qui ne l’est pas ? Quelles sont les vérités et quelles sont les erreurs ? Devra-t-il chaque fois recourir à des recherches exégétiques, patristiques, théologiques pour connaître la vérité de la foi ? Et comment fait-il pour discerner la bonne interprétation du dépôt ? Quelle est en somme la règle de la foi ou de la vérité révélée ?
Les Protestants soutiennent que la règle de la foi est la seule Écriture : quiconque la lit, est illuminé par l’Esprit-Saint sur le sens de la parole divine (1). Ceci donne lieu à une interprétation subjective des Écritures ; c’est pourquoi les Protestants sont divisés en tant d’églises et à cause des profondes différences dans la foi ils ne réussissent pas à trouver l’unité. Les Orientaux schismatiques affirment que la règle de la foi est donnée par la Sainte Écriture et par ce qui a été défini dans les sept premiers Conciles Œcuméniques (2). Après le septième, la doctrine a été fixée : il n’y a plus de progrès dogmatique, pas même homogène. En outre ils n’ont pas une règle commune pour l’interprétation de la révélation : de là découle la division qui existe entre les différentes églises “orthodoxes”.
Selon la doctrine catholique (3) la règle de la foi est donnée par l’Écriture, la Tradition et le Magistère : “Doivent être crues de foi divine et catholique toutes les choses qui sont contenues dans la parole de Dieu écrite ou transmise et qui sont proposées à croire par l’Église comme révélées par Dieu soit avec un jugement solennel, soit avec le magistère ordinaire et universel” (Conc. Vat. DS 3011).
Écriture et Tradition sont donc la Règle de foi éloignée et objective : en elle le Magistère puise, comme dans une source, ce qu’il propose à croire aux fidèles. Le Magistère est la Règle de foi prochaine et active : les fidèles puisent du Magistère de l’Église les vérités qu’ils sont obligés de croire parce que révélées, ou de tenir (c’est-à-dire de les tenir pour vraies) parce que connexes logiquement avec la révélation (DS 3018, 3020). “La règle prochaine n’est pas un jugement privé ; ce n’est pas l’Écriture et la Tradition, comme disaient les hérétiques ; elle est visible et extérieure pour tous les fidèles ; c’est une règle vivante et humaine ; elle requiert un jugement animé ; quand il s’agit de cette règle, on parle de toute la religion catholique ; elle est raison par elle-même ; elle doit résider dans le chef suprême, l’Évêque de Rome” (4). Le Père Goupil explique : “La règle objective ou constitutive de notre foi est la parole de Dieu ; je dois croire ce que Dieu a dit. Mais comment saurais-je ce qu’Il a dit ? Comment savoir, par exemple, s’Il a révélé la transsubstantiation, le caractère sacramentel du mariage, etc. ? Y a-t-il une règle qui gouverne et dirige immédiatement la foi ? Telle est la question. À cette question, le catholique répond : le premier et principal moyen de connaître la vérité révélée, c’est d’écouter le Magistère vivant, institué par le Christ. A ce Magistère public, les particuliers, les fidèles, doivent une nécessaire obéissance comme à la règle directive de la foi” (5).
Ceci est l’enseignement de l’Église. Pie XII par exemple (6) sur la règle de la Foi enseigne : « Et, bien que ce Magistère doive être pour tout théologien, en matière de foi et de mœurs, la règle prochaine et universelle de vérité - car le Christ Notre-Seigneur lui a confié tout le dépôt de la foi, Écriture Sainte et Tradition, à garder, à défendre et à interpréter, - toutefois le devoir qu’ont les fidèles d’éviter aussi les erreurs qui voisinent plus ou moins avec l’hérésie et, par conséquent, “d’observer même les constitutions et décrets par lesquels le Saint-Siège proscrit et prohibe de telles opinions mauvaises” est parfois aussi ignoré d’eux que s’il n’existait pas” (7). Ce qui est exposé dans les Encycliques des Souverains Pontifes sur le caractère et la constitution de l’Église est, par certains, délibérément et habituellement négligé dans le but de faire prévaloir un concept vague qu’ils disent pris aux anciens Pères, spécialement Grecs. Les Papes, en effet, disent-ils, n’entendent pas se prononcer sur les questions qui sont matière à discussion entre les théologiens ; c’est pourquoi il faut retourner aux sources et expliquer par les écrits des anciens les constitutions et les décrets récents du Magistère. C’est peut-être bien dit, mais ce n’est pas exempt d’erreur. De fait, il est vrai que les Papes laissent généralement aux théologiens la liberté sur les questions disputées entre les docteurs renommés, mais l’histoire enseigne que bien des choses qui furent d’abord laissées à la libre discussion ne peuvent plus désormais supporter aucune discussion ».
C’est aussi ce qu’avait dit Pie IX (8) : “Certes, les vicissitudes de notre époque… attestent avec quelle opportunité la Divine Providence a permis que la définition de l’Infaillibilité pontificale fût proclamée alors que la règle droite des croyances et de la conduite allait au milieu de difficultés si multipliées, être privée de tout appui”.
Léon XIII : « Quant à déterminer quelles doctrines sont renfermées dans cette révélation divine, c’est la mission de l’Église enseignante, à laquelle Dieu a confié la garde et l’interprétation de sa parole ; dans l’Église, le docteur suprême est le Pontife Romain. (…) [Il faut l’obéissance au Magistère de l’Église et du Pape]. L’obéissance doit être parfaite, parce qu’elle appartient à l’essence de la foi, et elle a cela de commun avec la foi qu’elle ne peut pas être partagée… C’est ce que St Thomas d’Aquin explique d’une manière admirable dans le passage suivant : “(…) Or, il est manifeste que celui qui adhère à la doctrine de l’Église comme à une règle infaillible donne son assentiment à tout ce que l’Église enseigne ; autrement, si, parmi les choses que l’Église enseigne, il retient ce qui lui plaît et exclut ce qui ne lui plaît pas, il adhère à sa propre volonté et non à la doctrine de l’Église, en tant qu’elle est une règle infaillible… Cette unité [de l’Église] ne saurait être sauvegardée qu’à la condition que les questions qui surgissent sur la foi soient résolues par celui qui préside à l’Église tout entière, et que sa sentence soit acceptée par elle avec fermeté. C’est pourquoi à l’autorité du Souverain Pontife seul il appartient de publier un nouveau Symbole, comme de décerner toutes les autres choses qui regardent l’Église universelle” (9)… Voilà pourquoi le Pontife doit pouvoir juger avec autorité de ce que renferme la parole de Dieu, décider quelles doctrines concordent avec elle et quelles doctrines y contredisent. De même, dans la sphère de la morale, c’est à lui de déterminer ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui est nécessaire d’accomplir et d’éviter si on veut parvenir au salut éternel ; autrement, il ne pourrait être ni l’interprète infaillible de la parole de Dieu, ni le guide sûr de la vie humaine » (10).
En conclusion, l’Église enseigne que la parole de Dieu se trouve dans l’Écriture et dans la Tradition ; mais nous les hommes, qui n’avons pas reçu directement de Dieu la Révélation, pour la connaître avec certitude nous avons besoin de quelqu’un qui nous dise avec une autorité infaillible où se trouve la parole de Dieu et comment nous devons l’interpréter ; qui nous dise encore tout ce qui lui est contraire et qu’il faut éviter. Ce “quelqu’un” est le Magistère de l’Église, ou également celui du Pontife Romain. C’est la raison pour laquelle St Augustin affirme qu’il croit aux Évangiles, parce que l’Église dit qu’ils sont révélés.
La même chose est enseignée par le Catéchisme de St Pie X, qui place dans la règle de la foi également les lois de l’Église et tout ce que le Pape commande : “C’est dans cette obéissance à la suprême autorité de l’Église et du Souverain Pontife, autorité qui nous propose les vérités de la foi, nous impose les lois de l’Église et nous commande tout ce qui est nécessaire à son bon gouvernement, c’est dans cette autorité que se trouve la règle de notre foi” (11). St Pie X enseigne encore : « Le premier et le plus grand critérium de la foi, la règle suprême et inébranlable de l’orthodoxie est l’obéissance au magistère toujours vivant et infaillible de l’Église établie par le Christ “columna et firmamentum veritatis, la colonne et le soutien de la vérité”» (12).
Le progrès dogmatique
Chaque jour l’Église par son Magistère étudie le dépôt de la Révélation, le conserve, le défend, en donne la droite interprétation, l’explique. Tous les fidèles en écoutant l’Église sont instruits sur les vérités qui concernent la foi ou la morale, c’est-à-dire sur ce qui est nécessaire pour le salut éternel.
Nous les hommes, à cause des limites de notre raison, nous avons besoin de temps et d’étude pour connaître une vérité. Les Anges ont une intelligence intuitive et à peine connaissent-ils une chose qu’ils en comprennent immédiatement tous les aspects et toutes les conséquences. Les hommes au contraire ont besoin de raisonner même plusieurs fois, pour arriver à des conclusions certaines ; nous le voyons par exemple dans l’instruction : tous ont besoin de plusieurs années d’études pour connaître une matière donnée et de nombreuses autres encore pour en avoir une connaissance scientifique.
Le même discours vaut également pour le dépôt de la Révélation. Bien qu’il soit clos et qu’en lui se trouvent toutes les vérités que Dieu nous a révélées, nous les hommes, même en le lisant, nous ne réussissons pas à en comprendre tous les aspects. Des années d’étude, parfois des siècles, sont nécessaires pour déduire une vérité que Dieu a révélée, mais qui se trouve dans le dépôt seulement de manière implicite. Voilà pourquoi, par exemple, pendant longtemps la question de la conception sans le Péché Originel de la très Sainte Vierge est restée objet de libre discussion : cette vérité, qui était contenue implicitement dans le dépôt, n’était pas vue par tous, certains même considéraient comme une erreur d’y croire. Après avoir étudié le dépôt de la Révélation, l’Église assistée de l’Esprit-Saint a défini en 1854 que la très Sainte Vierge a eu le privilège de l’Immaculée Conception, et que cela est contenu dans la Révélation. L’assistance divine nous assure que la définition est vraie, et aucun catholique désormais n’est libre de discuter sur cet argument : “Roma locuta, causa finita”. Dieu a en effet donné l’assistance de l’Esprit-Saint à l’Église, gouvernée par des hommes (et non par des Anges), de telle sorte que même l’étude des vérités révélées se fasse selon le mode humain. Avec cette différence que, lorsque l’Église définit, elle est assistée par le Saint-Esprit et ainsi elle est préservée de l’erreur. Après la déclaration de l’Église, on n’est plus libre de discuter, mais on est obligé d’embrasser ce que l’Église a dit.
De cette façon le dépôt de la foi, même s’il reste objectivement le même, progresse de manière homogène, puisque l’Église met en lumière des vérités qui jusqu’à aujourd’hui n’étaient pas encore comprises. Ces vérités ne sont pas nouvelles dans le dépôt puisqu’elles y ont toujours été contenues ; mais elles sont “nouvelles” pour nous, quant à notre connaissance : en effet, avant, nous ne les connaissions pas avec certitude, mais après la décision de l’Église, nous sommes tenus à les croire par un acte de foi (13).
Lisons encore l’enseignement de Pie XII (14) : « Il est vrai aussi que les théologiens doivent sans cesse revenir aux sources de la Révélation divine ; c’est leur rôle d’indiquer de quelle manière les vérités enseignées par le Magistère vivant se trouvent “explicitement ou implicitement” dans les Écritures et la Tradition (15). En outre, l’une et l’autre source de la doctrine divinement révélée contient des trésors de vérité si nombreux et si grands qu’on ne les épuisera jamais. C’est pourquoi, par l’étude des sources, les sciences sacrées rajeunissent sans cesse, tandis que la spéculation qui néglige de pousser au-delà l’étude du dépôt révélé, l’expérience nous l’a appris, devient stérile. Pour ce motif, la théologie positive elle-même ne peut être ramenée au rang d’une science simplement historique. Dieu, en effet, a donné à Son Église, avec les sources que nous avons dites, un Magistère vivant pour éclairer et dégager ce qui n’était contenu dans le dépôt de la foi que d’une manière obscure et pour ainsi dire implicite. Ce dépôt, ce n’est pas à chacun des fidèles, ni même aux théologiens eux-mêmes que Notre Divin Rédempteur en a confié l’interprétation authentique, mais au seul Magistère de l’Église. Or, si l’Église exerce ce rôle, comme il lui est souvent arrivé au cours des siècles, par la voie ordinaire ou extraordinaire, il est trop évident que c’est une méthode fausse d’expliquer le clair par l’obscur ; bien plus, c’est l’ordre contraire qui s’impose à tous. Aussi Pie IX, Notre Prédécesseur… lorsqu’il enseigna que le rôle très noble de la théologie est de montrer comment la doctrine définie par l’Église est contenue en ses sources, ajouta, non sans grave raison, ces paroles : “Dans le sens même où l’Église l’a définie” (ibidem) ».
Notes et références
1) Confession d’Augsbourg, De Regula fidei, 1.
2) Le dernier pour eux est le IIème Concile de Nicée (787). A partir du huitième Concile Œcuménique, le IVème de Constantinople (869-870) qui condamna les erreurs de Photius, les Orientaux commencèrent le schisme.
3) SALAVERRI, Sacræ Theologiæ Summa, Theologia Fundamentalis, T. III De Ecclesia Christi, L. 2, c. 4, a. 2, nn° 768-781, B.A.C., Madrid 1962. V. ZUBIZARRETA O. C. D., Theologia dogmatico-scholastica ad mentem S. Thomæ Aquinatis, vol. I, Theologia Fundamentalis, Tratt. II, Q. XXIII, a. IV, nn° 655-661, Bilbao 1948, pp. 514-7.
4) JEAN DE ST THOMAS O. P. Tractatus de auctoritate Summi Pontificis, in Sodalitium n° 40, p. 50.
5) P. GOUPIL S. J., “La Règle de la Foi”, p. 17, cité par B. LUCIEN, in Le canon de St Vincent de Lérins, Cahiers de Cassiciacum, n° 6, p. 90.
6) PIE XII, Humani Generis, 12-8-1950, Documents Pontificaux de Sa Sainteté Pie XII, année 1950, éd. Labergerie, Paris 1952, pp. 311-312.
7) CJC, can. 1324; Conc. Vat., De Fide cath., DS 3045.
8) PIE IX, Lettre à un Évêque d’Allemagne, 6-11-1876, E. P. n° 437.
9) ST THOMAS, Somme théologique, II II, q. 5, art. 3; q. 1, art. 10.
10) LEON XIII, Sapientiæ Christianæ, 10-1-1890, Lettres Apostoliques de Sa Sainteté Léon XIII, tome Ier, Bonne Presse, Paris 1893, pp. 279-281.
11) En italique dans le texte. ST PIE X, Catéchisme Romain, Petite Histoire de la Religion, éd. Itinéraires, reprint Dominique Martin Morin, 1978, p. 354.
12) ST PIE X, aux étudiants, 10-05-1909, E. P. n° 716.
13) F. MARIN-SOLA O. P., L’Évolution homogène du Dogme catholique, 2ème éd. Fribourg (CH) 1924.
14) PIE XII, Humani generis, op. cit., pp. 313-314.
15) PIE IX, Lettre Inter gravissimas, 28-10-1870.