Doctrine
"Le Sel de la Terre" et le sédévacantisme
Par Monsieur l'abbé Francesco Ricossa
Note : cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°52
Si nos lecteurs ont bonne mémoire, ils devraient se rappeler que Le Sel de la terre est la “revue catholique de sciences religieuses et de culture chrétienne” fondée et dirigée par les Pères dominicains (de facto, mais non de jure) d’Avrillé. Bien que nos confrères aient fait leurs premiers pas sous l’égide du Père dominicain (de facto et de jure) M.-L. Guérard des Lauriers, ils se placent, eux et leur revue, “dans la ligne du combat pour la Tradition dans l’Église entrepris par S. E. Mgr Marcel Lefebvre”. Par conséquent, s’il s’écartait de cette ligne, Le Sel de la terre perdrait sa raison d’être et devrait être refondé. Fidélité à la ligne de Mgr Lefebvre ne veut pas dire nécessairement fidélité à la ligne de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X : récemment encore les dominicains d’Avrillé se sont fermement opposés aux négociations de la Fraternité avec le cardinal Castrillon Hoyos, au grand désappointement du supérieur général de ladite FSSPX, Mgr Fellay. Et pour éviter tout malentendu, récemment et à plusieurs reprises Le Sel de la terre a pris position contre le sédévacantisme, considérant cette prise de position comme une mission reçue de Mgr Lefebvre en personne (1).
Plusieurs fois dans les colonnes de Sodalitium nous avons émis le souhait que nos adversaires acceptent un débat sur la question de l’Autorité dans la situation actuelle de l’Église en général et sur la Thèse de Cassiciacum en particulier ; de ce point de vue, donc, nous ne pouvons que nous réjouir de l’espace toujours croissant qu’Avrillé réserve à la question. Seulement, nous déplorons la manière imprécise, souvent superficielle, parfois manifestement déformée dont Le Sel de la terre expose les positions des adversaires. Réfuter (ou chercher à réfuter) une opinion que l’on ne partage pas est toujours licite ; à condition, cependant, de présenter correctement les positions de l’adversaire…
Le “petit catéchisme sur le sédévacantisme”
Un personnage anonyme – qui signe Dominicus – a publié dans le n° 36 (printemps 2001) du Sel de la terre [à partir de maintenant LSDLT] un Petit catéchisme sur le sédévacantisme : 14 questions et réponses en 5 petites pages, où l’on passe avec trop de facilité d’arguments théologiques à des observations d’un genre bien différent – que nous pourrions appeler “écarts de style”.
Je ne m’attarderai pas sur tous ces écarts de style, et ne relèverai pas non plus toutes les imprécisions de langage qui nécessiteraient une explication : de minimis non curat prætor. Je m’arrêterai par contre sur ce que LSDLT affirme de la Thèse de Cassiciacum [en bref TdeC] qui est, comme chacun sait, la position de notre revue et de notre Institut.
Sédévacantisme et Thèse de Cassiciacum
LSDLT fait d’abord un choix discutable, qui comporte en effet – comme conséquence – des équivoques fallacieux.
Le choix consiste à présenter la “Thèse de Cassiciacum” comme une forme de sédévacantisme. Nous ne voulons pas ici nous battre sur les mots, étant donné que parfois il suffit de s’entendre sur la signification des étiquettes utilisées. Le premier numéro des Cahiers de Cassiciacum (mai 1979) présentait en effet un article du Père Guérard des Lauriers intitulé comme suit : Le Siège Apostolique est-il vacant ? L’auteur (jamais cité sous son nom par le petit catéchisme de LSDLT) répondait (en plus de cent pages) que le Siège Apostolique est actuellement formellement vacant, mais non matériellement. Après avoir donné les preuves de cette thèse, l’auteur examinait et réfutait trois opinions qui y sont contraires :
1) le Cardinal Montini n’est plus pape, pas même matériellement
2) Paul VI est pape. Il a donc droit à une obéissance inconditionnée
3) Paul VI est pape lorsqu’il est catholique.
La Thèse du Père Guérard des Lauriers est-elle donc “sédévacantiste”, pour utiliser ce néologisme ?
Si par “sédévacantisme” on entend toute thèse niant que l’occupant actuel du Siège Apostolique jouisse de l’Autorité divinement assistée, alors oui, la TdeC est “sédévacantiste”.
Si par “sédévacantisme” on entend par contre une doctrine bien articulée et qui s’identifie substantiellement à la première opinion contraire à la Thèse, alors non, la TdeC n’est pas “sédévacantiste”.
On peut opter – légitimement – pour l’une ou l’autre classification (Thèse “sédévacantiste” ou “non sédévacantiste”). Mais si l’on choisit de classer la Thèse comme “sédévacantiste” (et c’est ce qu’a fait LSDLT) il devient nécessaire alors de préciser chaque fois si l’on parle de la TdeC ou bien du sédévacantisme complet. Et justement LSDLT ne l’a pas fait, attribuant par contre indistinctement à tous les sédévacantistes les arguments propres aux sédévacantistes “complets” mais repoussés par la TdC (cf. la sixième question : sur quels arguments les sédévacantistes fondent-ils leurs théories ?). Cette confusion est celle-là même que j’ai reprochée à un sédévacantiste “complet” (l’abbé Paladino), lequel confondait nos arguments et les arguments lefebvristes, là où LSDLT confond nos arguments et les arguments sédévacantistes. Serait-ce trop demander que d’invoquer de la clarté ?
Une présentation caricaturale de la Thèse
A la p. 113 (troisième question : Tous les sédévacantistes sont-ils d’accord entre eux ?) LSDLT écrit : Certains pensent que le pape actuel est un antipape, pour d’autres il est pape à moitié, pape ‘materialiter’ mais non ‘formaliter’. (Caractères gras ajoutés par notre rédaction).
Soutenir que pour la TdeC Jean-Paul II est “pape à moitié”, est ou bien une caricature volontaire ou bien une totale et ridicule incompréhension. Des Pères dominicains, quotidiennement en contact avec la Somme de saint Thomas, devraient connaître la distinction materialiter/formaliter appliquée continuellement par l’Aquinate aux questions les plus variées, en ce sens que tout être créé peut être considéré du point de vue de la matière (materialiter) ou du point de vue de la forme (formaliter). L’expression “pape à moitié” est grossière, ridicule, caricaturale. Ce serait comme dire qu’un péché matériel est un péché “à moitié”, ou que nos péchés sont le sacrement de pénitence à moitié (les péchés étant la matière du sacrement) ou que la particule non consacrée est Jésus-Christ à moitié, ou encore qu’un diacre auquel l’Évêque a déjà imposé les mains sans proférer toutefois encore sur lui la forme sacramentelle est un prêtre à moitié…
Et pourtant, ce que signifie l’expression “pape materialiter non formaliter” LSDLT ne l’ignore pas, puisqu’il écrit (p. 114, quatrième question) : “le pape actuel [sic : Jean-Paul II] a été désigné validement pour être pape, mais il ne peut recevoir l’autorité papale, car il y a en lui un obstacle (son hérésie)”. Étant donné que LSDLT a compris ce que signifie la distinction (sauf en ce qui concerne la nature de l’obstacle, qui n’est pas – à strictement parler – l’hérésie), on ne comprend pas pourquoi il a utilisé l’expression “pape à moitié”.
La Thèse ne naît pas pour résoudre une difficulté
Quand le “Petit catéchisme” doit expliquer “ce que signifie être pape ‘materialiter’”, il commence par répondre : “la principale difficulté du sédévacantisme c’est d’expliquer comment l’Église peut continuer d’exister de façon visible (car elle a reçu de Notre-Seigneur la promesse de durer jusqu’à la fin du monde), tout en étant privée de chef”, et il poursuit : “les partisans de la thèse dite ‘de Cassiciacum’ ont inventé une solution très subtile…”.
La façon de procéder de Dominicus est révélatrice de sa mentalité théologique peu… dominicaine. Il présente la théologie (en l’occurrence celle de la TdeC) comme une solution à des problèmes pratiques, ou comme une apologétique. C’est là une mauvaise méthode, tant en général que - en l’espèce - pour ce qui regarde la Thèse.
En effet la distinction “très subtile” que fait la TdeC dans la papauté entre un aspect matériel et un aspect formel n’est pas une invention du Père Guérard pour répondre à une objection ou résoudre une difficulté, comme le laisse entendre LSDLT, mais correspond en tout à la formation – thomiste – de ce même Père Guérard.
A preuve de ce que je dis, il suffit de lire les Cahiers de Cassiciacum, en particulier le premier numéro dans lequel est exposée la Thèse, pour se rendre compte du fait qu’il n’y a pas trace de la distintion materialiter/ formaliter comme solution au problème de l’indéfectibilité de l’Église signalé par Dominicus. Qui plus est, et si je ne me trompe, il n’y a pas la moindre mention de cette difficulté dans le premier numéro des Cahiers, pas même dans la réfutation de l’opinion sédévacantiste qui nie la thèse du “pape materialiter”, c’est-à-dire là où justement on s’attendrait à la trouver ! Quand ensuite le P. Guérard parle ex professo de l’objection que l’on peut tirer de Matthieu XXVIII, 20 (CdeC n° 6, mai 1981, pp. 98-121) – en réponse à une objection de l’abbé Cantoni, alors professeur à Ecône – il ne fait pas la moindre allusion à la distinction materialiter/formaliter pour résoudre le problème de l’indéfectibilité et de l’apostolicité de l’Église. Ce n’est qu’en 1985 – avec le livre de l’abbé Lucien (écrit de toute façon sous le contrôle du P. Guérard) – qu’on émet l’hypothèse de la possibilité – et même de la nécessité, à cause de l’indéfectibilité de l’Église promise par le Christ – d’une “permanence matérielle de la hiérarchie” (op. cit., chap. X, pp. 97-103). Par la suite, cet argument est devenu un point important de la TdeC, tant pour répondre aux objections de ceux qui nient que Jean-Paul II ne soit pas Pape formaliter, tant pour objecter à ceux qui nient qu’il soit encore “pape materialiter” : d’où l’importance donnée à ce point de doctrine par moi-même ou par l’abbé Sanborn.
Admettre que Paul VI – puis Jean-Paul II – sont encore “papes materialiter” résout par conséquent, comme nous l’avons déjà démontré tant de fois et comme nous le verrons – la difficulté posée par le dogme de l’indéfectibilité de l’Église que les autres sédévacantistes ne peuvent résoudre : c’est vrai. Mais cet avantage indubitable de la TdeC a été “découvert” sept ans au moins après la première rédaction de la Thèse (la TdeC a été écrite en 1978).
La distinction materialiter/formaliter, n’est donc pas née en tant que “solution très subtile” et byzantine à une difficulté, mais de l’analyse objective de la situation actuelle de l’Autorité dans l’Église.
Les trois arguments de LSDLT contre la Thèse
En huit lignes (nous rappelons qu’il s’agit d’un catéchisme) LSDLT présente à ses lecteurs une réfutation de la Thèse. Pour la commodité de nos lecteurs, je reporterai intégralement la question et la réponse du “Petit Catéchisme” :
- Que pensez-vous de cette solution ? [du “pape materialiter”]
Elle n’est pas fondée dans la Tradition. Les théologiens (Cajetan, saint Robert Bellarmin, Jean de Saint Thomas, etc.) ont examiné la possibilité d’un pape hérétique, mais aucun, avant le Concile, n’avait imaginé une telle théorie.
Elle ne résout pas la difficulté principale du sédévacantisme : comment l’Église peut-elle continuer à être visible ? En effet, si le pape, les cardinaux, les évêques, etc. sont privés de leur ‘forme’, il n’y a plus de hiérarchie visible de l’Église.
En plus, cette théorie pose de sérieux problèmes philosophiques, car elle suppose qu’un chef puisse être chef ‘materialiter’ sans avoir l’autorité.
Avec cette réponse le “Petit Catéchisme” pense avoir réglé ses comptes avec la TdeC, et il se remet à parler de sédévacantisme, en général. Mais avec ces arguments LSDLT a-t-il vraiment enterré notre Thèse ? Essayons de répondre aux trois objections de Dominicus…
1) L’argument de tradition
Argument commun, disons-le, aux sédévacantistes et aux lefebvristes… (2), qui, dans le cas présent, méritent tous deux l’étiquette de “traditionalistes” (3). Le Père Guérard des Lauriers avait prévu cette objection dès le premier numéro des Cahiers de Cassiciacum : L’affirmation “la preuve de la thèse n’est pas infirmée par l’argument de tradition” est en effet le titre d’un des paragraphes de la Thèse (B, 3 ae). “La Théologie consiste, au moins parfois, à réfléchir, et pas seulement à répéter” (4). Répéter telles quelles les opinions des auteurs anciens c’est faire de la théologie positive ou de la casuistique, certes pas de la théologie spéculative ; voilà qui devrait être évident pour des Pères dominicains (s’il n’en était pas ainsi, saint Thomas– en tant que théologien – n’aurait même pas existé) !
Dominicus rappelle que “les théologiens (Cajetan, saint Robert Bellarmin, Jean de Saint Thomas, etc.) ont examiné la possibilité d’un pape hérétique, mais aucun, avant le Concile, n’avait imaginé une telle théorie”. “Avant le Concile” qui aurait jamais imaginé une situation identique à celle que nous vivons ? Voilà qui ne vient pas à l’esprit de Dominicus. Le Père Guérard écrivait avec finesse et non sans humour : “on ne manquera pas d’observer que les théologiens n’ont pas prévu un tel cas de ‘vacance’ pour le Siège apostolique. Les objectants, répondons-nous, ressemblent à ce chasseur qui, sûr de sa science, un jour s’aventura… dans la réalité. La panthère, une moderniste, arriva à gauche, alors que l’événement était, dans le livre, prévu ‘à droite’. Le chasseur en conclut que l’animal s’était trompé et, seconde erreur de la panthère, fut par celle-ci croqué” . Et il concluait : “la théologie ne doit pas être inféodée à l’historicisme. Elle consiste certes à répéter ; mais, surtout en temps de crise, elle consiste d’abord à réfléchir, à remonter aux principes à partir des faits, et à éclairer ceux-ci par ceux-là. Serait-il donc surprenant qu’une crise qui est dans l’Église sans précédent, culmine précisément dans le Siège apostolique, par un type de vacance qui est lui-même sans précédent ?” (5).
Les théologiens et les canonistes médiévaux et, ceux de la scolastique tardive ont étudié le cas d’un pape “hérétique” ou schismatique (poussés aussi par l’actualité, comme ce fut le cas pour Cajetan qui écrivit à propos d’un schisme, relent du conciliarisme), prenant en considération l’hypothèse d’un Pape qui tombe dans l’hérésie non dans son enseignement public, mais en tant que docteur privé. Nous voyons déjà une première différence par rapport à la situation actuelle : les erreurs reprochées aux “papes” du Concile ont été enseignées dans leur “magistère” authentique (c’est-à-dire officiel, autorisé) et pas seulement comme personnes privées. Mais il est une autre différence, et bien plus importante, entre l’hypothèse émise par les théologiens classiques et la situation actuelle : dans l’hypothèse d’un “pape hérétique”, les docteurs donnaient pour certain qu’au moins une partie de l’Église hiérarchique se serait opposée à l’hérésie personnelle du Pontife en constatant la perte du Pontificat pour cause d’hérésie (Papa hæreticus depositus est) ou bien en déclarant sa déposition pour le même motif (Papa hæreticus deponendus est). Actuellement, malgré les erreurs indéniables des “papes” conciliaires, nous devons constater qu’Évêques et Cardinaux suivent ces erreurs ou, du moins, qu’aucun d’entre eux ne pense de son devoir de procéder selon les modalités prévues par les théologiens “traditionnels” (ce qui, comme nous le verrons, pose un sérieux problème à tous ceux qui s’opposent auxdites erreurs).
Si - donc - la situation actuelle est différente de celle prévue par les auteurs du passé, il est nécessaire que l’interprétation qu’en doit donner la théologie soit elle aussi différente.
Les auteurs postérieurs au Père Guérard, se sont rendus compte cependant que la Thèse de Cassiciacum n’est pas aussi dépourvue d’appui chez les grands auteurs classiques ou dans la législation canonique qu’il le semblait à première vue. La distinction - dans la papauté - d’un aspect matériel (le fait d’être le sujet désigné par l’élection) et d’un aspect formel (le fait de jouir de l’autorité divinement assistée) remonte en effet au grand commentateur de saint Thomas, le Cardinal Cajetan (Tommaso de Vio, 1468-1533) - qui fut, entre autres, Maître général des dominicains - dans son œuvre célèbre De auctoritatæ Papæ et Concilii utraque invicem comparata (terminée à Rome le 12 octobre 1511) avec son annexe Apologia ejusdem tractatus parue l’année suivante (6). Par la suite le cardinal Robert Bellarmin, saint et docteur de l’Église, fera sienne la distinction dans son De Romano Pontifice (l. II, c. 30). En ce qui concerne la “tradition” théologique, voilà qui est suffisant.
Pour ce qui est du droit canon, l’abbé Sanborn (7) a fait remarquer comment le droit “permet de distinguer plusieurs sortes de vacances” (R. Naz, Dictionnaire de Droit canonique, Paris 1957, t. VI, col. 1086-1087). Et cela suffit pour la “tradition”canonique.
Pour conclure cette question d’importance mineure, j’ai plaisir à citer l’observation que fit le Père Vinson lorsque furent publiés les Cahiers de Cassiciacum, observation qui résume bien la question à la fois de l’originalité et des racines traditionnelles de la Thèse du Père Guérard des Lauriers. Dans sa Simple lettre (février-mars 1980) le Père Vinson citait les paroles conclusives d’Arnaldo Xavier Vidigal da Silveira, théologien de l’Évêque de Campos, Mgr de Castro Mayer, et qui étudia pour celui-ci en 1970 la question théologique classique du ‘Pape hérétique’ à la lumière des difficultés posées par la promulgation de la “nouvelle messe” par Paul VI :
“Pour cette raison, comme nous l’avons dit au commencement, nous invitons les spécialistes en la matière à réétudier la question”.
“Réétudier la question...” - commentait le Père Vinson - “n’est-ce pas ce que s’efforce de faire le R.P. Guérard des Lauriers”.
2) L’argument de la visibilité de l’Église
La seconde difficulté que le “Petit catéchisme” voit dans la TdeC est qu’elle ne résout pas la “difficulté principale du sédévacantisme : comment l’Église peut-elle continuer à être visible ?”. Et pourtant, selon LSDLT, c’est justement pour résoudre cette difficulté qu’elle aurait été inventée.
Laissons de côté la confusion qui transparaît aussi dans le SDLT entre visibilité et indéfectibilité, pour en venir à la solution de la difficulté, difficulté qui existe en effet et requiert une réponse...
La Foi de l’Église à ce propos est résumée dans ce canon du Concile Vatican (premier) :
Si donc quelqu’un dit que ce n’est pas par l’institution du Christ ou de droit divin que le bienheureux Pierre a, et pour toujours des successeurs dans sa primauté sur l’Église universelle ; ou que le Pontife romain n’est pas successeur de saint Pierre en cette primauté : qu’il soit anathème (DS 3058 ; voir aussi DS 2997).
Il est évident que le Concile n’affirme pas comme vérité de foi qu’il y aura toujours - en acte - un Pape sur le siège de Pierre : S’il en était ainsi toute période de siège vacant si courte soit-elle, entre la mort d’un Pape et l’élection du successeur serait contraire à la foi sur la visibilité et l’indéfectibilité de l’Église !
Ce que le Concile affirme est que l’Église, édifiée sur terre par Jésus-Christ sur Pierre, persistera “ferme et immuable dans sa propre nature jusqu’à la consommation des siècles” (Pie IX, DS 2997), et que par conséquent elle sera toujours fondée sur Pierre. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait toujours de fait un Pape, mais que subsiste toujours la possibilité et la volonté d’élire un Pape, comme le rappelle le Père Goupil, si souvent cité :
“remarquons que cette succession formelle ininterrompue [de Pontifes sur le siège de Pierre] doit s’entendre moralement, et comme l’exige la nature des choses : succession de personnes, mode électif, comme l’a voulu le Christ et comme l’a entendu toute l’antiquité chrétienne. Cette perpétuité n’exige donc pas qu’entre la mort du prédécesseur et l’élection du successeur il n’y ait aucun intervalle, ni même que dans toute la série des pasteurs aucun ne puisse avoir été douteux ; mais ‘on entend par là une succession de pasteurs légitimes telle que jamais le siège pastoral, même vacant, même occupé par un titulaire douteux, ne puisse réellement être réputé tombé en déshérence ; c’est-à-dire encore que le gouvernement des prédécesseurs persévère virtuellement dans le droit du siège toujours en vigueur et toujours reconnu, et que toujours aussi ait persévéré le souci d’élire un successeur’ (Ch. Antoine, De Eccl.)” (8).
En quelques mots, c’est l’objection “historique” de Mgr Lefebvre que LSDLT soulève à la TdeC et au sédévacantisme en général :
Le raisonnement de ceux qui affirment l’inexistence du Pape met l’Église dans une situation inextricable. Qui nous dira où est le futur Pape ? Comment pourra-t-il être désigné, puisqu’il n’y a plus de cardinaux ? (9).
Dans l’un de mes précédents écrits je répondais :
“Dans la perspective de la Thèse en effet, se profilent plusieurs issues possibles à une situation apparemment désespérée : a) Jean-Paul II (ou son successeur) pourrait rejeter publiquement Vatican II, en devenant formellement le Souverain Pontife ; ou bien, b) des évêques résidentiels, après avoir rejeté Vatican II et fait en vain des monitions à Jean-Paul II (ou à son successeur), pourraient également en constater la pertinacité et élire canoniquement un successeur. En tous cas, les personnes nommées aux différents sièges épiscopaux (ou au cardinalat) occupent toujours, même si ce n’est que matériellement (sans autorité) ces dignités, et assurent ainsi la continuité de la hiérarchie et la pérennité de l’Église (10).
La TdeC résout par conséquent la difficulté avancée par LSDLT. C’est par contre la position adoptée par la Fraternité Saint-Pie X et par les dominicains d’Avrillé qui pose des problèmes quant à la visibilité et à l’indéfectibilité de l’Église. Car si l’on reconnaît l’autorité de Paul VI et de Jean-Paul II, il est bien difficile d’expliquer comment l’Église actuelle n’est pas essentiellement changée (contre l’indéfectibilité) ou comment ceux qui s’opposent à ces Pontifes ne s’opposent pas par le fait même à l’Église visible. De nombreuses citations d’auteurs disciples de Mgr Lefebvre pourraient être adoptées à l’appui de cette affirmation (11). La question de la visibilité de l’Église (ubi Petrus ibi Ecclesia) et de son indéfectibilité (Portæ inferi non prævalebunt adversus eam... Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem sæculi...) est bien plus problématique pour les partisans des positions de Mgr Lefebvre et de LSDLT que pour nous.
3) L’argument philosophique
... est réduit à peu de chose : “de plus cette théorie pose de sérieux problèmes philosophiques, car elle suppose qu’un chef puisse être chef materialiter sans avoir l’autorité”.
En général l’objection philosophique commune aux lefebvristes et aux sédévacantistes consiste à nier que puisse subsister une matière sans forme ; les dominicains d’Avrillé ne la reprennent pas telle quelle (nous y avons répondu mille fois), mais ils la présentent de façon différente. Affirmer que Jean-Paul II est Pape materialiter serait comme dire - si nous avons bien compris l’objection - qu’un chef n’est pas chef, ou qu’un Pape n’est pas Pape ; ou comme soutenir, en d’autres termes, une contradiction absurde.
En réalité il n’y a aucune contradiction.
Si - avec Cajetan et Bellarmin - nous admettons que dans la papauté l’élément matériel est constitué par le fait d’avoir été canoniquement élu et si l’élément formel consiste à avoir reçu de Dieu l’autorité divinement assistée, nous ne voyons pas quel problème il y a à soutenir qu’un individu déterminé puisse avoir été canoniquement élu à la papauté (il est “pape” materialiter) mais n’a pas encore reçu de Dieu l’autorité (il n’est pas pape formaliter) : c’est ce qui se passe à chaque conclave dans l’intervalle séparant l’élection d’un cardinal de son acceptation de la papauté. C’est ainsi que l’élu devient un chef... en puissance (il peut devenir le chef, l’autorité) mais il ne l’est pas encore en acte (il n’est pas le chef, l’autorité). Que Dominicus nous explique où se trouve - dans cette hypothèse - le sérieux problème philosophique...
Les arguments des sédévacantistes... ne sont pas ceux de la Thèse...
Après avoir soulevé ses objections à la Thèse, Dominicus prétend exposer et réfuter les arguments des sédévacantistes. A la sixième question il se demande : “sur quels arguments les sédévacantistes fondent-ils leurs théories ?” Et il répond en attribuant à tous les sédévacantistes deux arguments : théologique (hypothèse du Pape hérétique) et juridique (la Bulle de Paul IV déclarant invalide l’élection d’un hérétique à la papauté).
Pour riposter à ces deux arguments sédévacantistes Dominicus se sert des questions et réponses suivantes (de la septième à la dixième) - en s’appuyant entre autres sur une citation de Billuart qui n’est pas de son cru (il la doit indirectement, aux “guérardiens”). Sodalitium n’entrera pas dans ce débat puisque, comme chacun sait (ou devrait savoir), la TdeC n’a jamais fait appel à ces deux arguments qu’elle a toujours considérés comme non probants. Laissons donc aux sédévacantistes complets la charge de défendre leurs propres positions, et contentons-nous de déplorer encore une fois que LSDLT - revue de théologie, pourtant - attribue sans discrimination à tous les sédévacantistes des positions qui n’ont jamais été celles de Mgr Guérard des Lauriers.
... alors que l’argument de la Thèse est introuvable dans le catéchisme de LSDLT !
Selon la TdeC, on peut démontrer que Paul VI - et aujourd’hui Jean-Paul II – ne sont pas formellement Papes parce qu’ils n’ont pas l’intention habituelle et objective de procurer le Bien-Fin de l’Église. C’est la preuve du “comment” Jean-Paul II n’est pas formellement Pape.
Le “petit catéchisme” aurait très bien pu en le signalant - s’abstenir de parler de la Thèse. Auquel cas il aurait tout aussi bien pu s’abstenir de signaler cet argument. Mais le “petit catéchisme” a parlé de la Thèse, avec la prétention d’en prouver la fausseté. Dans ces circonstances, il n’est pas possible, il n’est pas intellectuellement honnête, non seulement d’attribuer à la Thèse des arguments qui ne sont pas les siens, mais aussi de passer sous silence l’argument inductif que la Thèse fait sien.
Signalons, entre autres, que même pour les auteurs liés à Mgr Lefebvre, cet argument ne devrait pas sembler si difficile ou privé de fondement au point de n’être pas même mentionné.
Que l’absence d’intention objective de procurer le Bien-Fin de l’Église soit cause de la perte de l’Autorité, voilà qui est une thèse admise par exemple et à plusieurs reprises par Mgr Tissier de Mallerais (12). Et que Paul VI et Jean-Paul II ne procurent pas objectivement le Bien-Fin de l’Église est une opinion commune à tous les “traditionalistes”, plusieurs fois soutenue aussi par Mgr Lefebvre (13). On en devrait conclure que Paul VI et Jean-Paul II ne peuvent jouir de l’autorité divinement assistée : si les théologiens proches de la Fraternité n’arrivent pas à cette conclusion, on doit l’attribuer à des motifs apparemment étrangers à l’exercice de la logique...
L’autorité du Concile, des lois liturgiques et canoniques
Si LSDLT ne mentionne pas l’argument inductif de la Thèse, il n’omet cependant pas de dédier une question de son catéchisme à l’argument déductif de cette même Thèse, celui qui se fonde sur l’infaillibilité (même si Dominicus pense qu’il ne s’agit que d’un “confirmatur” et non d’un véritable argument : “les sédévacantistes - écrit-il - ne pensent-ils pas trouver une confirmation de leur opinion dans les erreurs du Concile et la nocivité des lois liturgiques et canoniques de l’Église conciliaire ? (14).
Vatican II aurait-il dû être garanti par l’infaillibilité du magistère ordinaire universel de l’Église ?
LSDLT soutient que non...
Rappelons brièvement aux lecteurs l’argument tiré de l’infaillibilité du magistère ordinaire universel tel que le présentait l’abbé Lucien :
“L’observation de fait :
Il y a opposition de contradiction entre la doctrine de Vatican II sur le droit à la liberté civile en matière religieuse et la doctrine infailliblement enseignée jusqu’alors sur le même sujet.
Le raisonnement par réduction à l’absurde :
Si Paul VI avait été formellement Pape au moment de la promulgation de la doctrine de Vatican II, il eût été impossible, en vertu de l’infaillibilité du Magistère ordinaire et universel, que cette doctrine fût en opposition avec un enseignement infaillible de l’Église.
Or cette opposition s’est produite.
Donc Paul VI n’était pas formellement Pape” (15).
Si l’on n’accepte pas - comme le fait LSDLT - la conclusion de ce raisonnement (Paul VI n’était pas formellement Pape) c’est qu’on refuse aussi au moins une partie du syllogisme. Or LSDLT - avec Mgr Lefebvre - admet le fait observé et la mineure du syllogisme, c’est-à-dire l’opposition de contradiction entre la doctrine du Concile sur la liberté religieuse et l’enseignement infaillible de l’Église. C’est donc la “majeure” de l’argument que nos confrères dominicains refusent.
Très souvent dans le passé, on s’est efforcé de nier - explicitement ou implicitement – l’infaillibilité du magistère ordinaire universel de l’Église : entreprise ardue, impossible même pour un catholique, puisqu’il s’agit d’une vérité de foi définie par le Concile Vatican I (Constitution Dei Filius, Denz. 1792).
Nous prenons acte du fait que LSDLT ne suit pas cette voie et admet l’infaillibilité du magistère ordinaire universel de l’Église. Nous ne pouvons que nous féliciter de ce point acquis.
Il ne reste plus alors qu’à nier le fait que Vatican II aurait dû être garanti au moins par l’infaillibilité du magistère universel de l’Église. Pour soutenir cette opinion, Dominicus se réfère d’abord à un article précédemment publié par LSDLT (nous en parlerons plus loin) puis il allègue deux arguments, l’un de fond et l’autre ad hominem.
Premier argument (ad hominem) du “Petit catéchisme” : s’il en était ainsi, “toute l’Église catholique aurait actuellement disparu...”
Voici ce qu’écrit Dominicus :”en réalité, si l’on acceptait ce raisonnement, il faudrait dire que toute l’Église catholique a disparu à ce moment, et que ‘les portes de l’enfer ont prévalu contre elle’. Car l’enseignement du magistère ordinaire universel est celui de tous les évêques, de toute l’Église enseignante” (p. 116).
Comme nous voyons, l’argument est toujours celui de l’indéfectibilité de l’Église ; c’est un argument grave et important qui n’est pas l’apanage de LSDLT : tout partisan de Vatican II pourrait l’utiliser contre tous ceux qui l’accusent d’avoir erré (y compris par conséquent LSDLT).
Comment peut-on en effet nier une doctrine enseignée par l’unanimité morale des évêques catholiques - c’est-à-dire de l’Église enseignante ? S’il en était ainsi on devrait en déduire - comme LSDLT nous le reproche - que l’Église dans son ensemble a abandonné la Foi, ce qui est contraire au dogme de l’indéfectibilité de l’Église (même si nombreux sont les théologiens lefebvristes qui l’affirment ouvertement, comme les abbés Bouchacourt et Sélégny cités plus haut).
Telle n’est pas évidemment notre position : nous croyons en l’indéfectibilité de l’Église... et donc aussi en son infaillibilité !
Nous répondons par conséquent à Dominicus : il aurait raison si nous soutenions que l’autorité de Vatican II est celle du magistère ordinaire universel (qui est infaillible). Mais en réalité nous soutenons que l’autorité de Vatican II aurait dû être (au moins) celle du magistère ordinaire universel. Ce qu’elle aurait été si Paul VI avait été Pape. Mais étant donné que Paul VI n’était pas Pape, Vatican n’est pas non plus magistère ordinaire universel, et par conséquent il n’est pas infaillible.
A cette réponse on nous avancera une objection : l’autorité des autres évêques qui ont souscrit à Vatican II. La réponse est que sans le Pape tous les évêques ne sont pas infaillibles.
On nous objectera encore qu’une fois posées les conditions de l’infaillibilité, on doit adhérer à ce qui est enseigné par l’Église enseignante et non déduire, au contraire, l’illégitimité de qui a ainsi enseigné. Nous répondrons que ce qui est objecté vaut pour une matière qui n’a pas déjà été infailliblement définie par l’Église enseignante, la liberté religieuse par exemple.
On nous objectera alors que si Paul VI et tous les évêques ont erré sur la foi, alors l’Église entière a défailli et que les portes de l’enfer ont prévalu. Nous répondons ad hominem que cet argument vaut aussi contre Mgr Lefebvre. Ensuite nous répondons - contre les partisans de Mgr Lefebvre - que l’objection est valide si l’on pense justement que Paul VI et les évêques unis à lui avaient l’autorité et représentaient vraiment l’Église enseignante : c’est bien alors dans ce cas que l’Église aurait perdu son infaillibilité et son indéfectibilité. Nous répondons encore que l’ensemble de l’Église enseignante est infaillible (tout comme le Pape) parce qu’autrement - si elle pouvait errer - tous la suivraient dans l’erreur. Or, dans notre cas, cette erreur n’est pas possible justement parce que les matières sur lesquelles les pères conciliaires ont erré étaient déjà définies par l’Église enseignante, d’où la possibilité pour les fidèles de se rendre compte de l’erreur et de pas la suivre : ce qui d’ailleurs est arrivé, puisque il s’est trouvé des évêques, des prêtres et des fidèles qui n’ont pas suivi l’enseignement de Vatican II, certains implicitement, d’autres explicitement.
On peut en conclure, après un examen attentif, que l’argument - pourtant si délicat - de l’indéfectibilité de l’Église s’avère embarrassant surtout pour qui, comme LSDLT, suit la position de Mgr Lefebvre et non pour qui suit la position de Mgr Guérard des Lauriers (16).
Second argument du “Petit catéchisme” : Vatican II n’est pas infaillible puisqu’il n’est pas imposé avec autorité. Réponse à cet argument
Selon les “sédévacantistes” Vatican II aurait dû être au moins magistère ordinaire universel - celui des évêques unis au Pape - et par conséquent infaillible. Or Vatican II n’est pas infaillible, car il a erré. Donc il n’est pas magistère ordinaire universel, celui des évêques unis au Pape, et cela ne peut être qu’en admettant que Paul VI, à ce moment-là, n’était pas formellement Pape.
Dominicus trouve une solution qui lui semble plus simple : “l’enseignement conciliaire ne se présente plus comme ‘nécessaire au salut’ (c’est logique, puisque ceux qui le professent pensent qu’on peut se sauver même sans la foi catholique). N’étant pas imposé avec autorité, cet enseignement n’est pas couvert par l’infaillibilité”(question 11, p. 116).
Nous répondons à Dominicus :
a) que sa réponse pèche, encore une fois par volontarisme
b) qu’en tous cas c’est une erreur de soutenir que Vatican II ne prétend pas s’imposer avec autorité.
Pour ce qui est du premier point, je renvoie nos lecteurs, et en particulier les dominicains d’Avrillé, à ce qu’écrit à ce sujet l’abbé Lucien dans l’annexe II (Infaillibilité et obligation) de son étude sur l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel (17). Pour résumer : l’acte de foi a pour motif l’autorité de Dieu qui se révèle. Le rôle de l’Église est de préciser ce qui - exactement - a été révélé par Dieu : “Toutes les fois donc que la parole de ce magistère déclare que telle ou telle vérité fait partie de l’ensemble de la doctrine divinement révélée, chacun doit croire avec certitude que cela est vrai ; car si cela pouvait en quelque manière être faux, il s’ensuivrait, ce qui est évidemment absurde, que Dieu lui-même serait l’auteur de l’erreur des hommes” (Léon XIII, Satis cognitum). “Le rôle propre de l’Église n’est donc nullement d’obliger à croire ; il est de certifier infailliblement que telle proposition appartient au donné révélé (ou s’y rattache, pour les ‘vérités connexes’). En bref, le magistère comme tel n’oblige pas à croire, mais propose ce qui est à croire comme divinement révélé. (...) En vertu de ce texte de base de Vatican I [Denz. 1792], l’acte propre du magistère infaillible comporte seulement d’affirmer le caractère révélé d’une proposition ; et alors, ipso facto, l’obligation lie le croyant : on doit croire. Non pas parce que l’Église créerait une obligation, mais parce que le fidèle connaît, par suite de l’affirmation infaillible de l’Église, que telle proposition est révélée et qu’ainsi il se trouve lié par l’obligation générale de croire ce qui est révélé s’appliquant à ce cas particulier” (18). La position de Dominicus, par contre, se ressent de l’influence du volontarisme en philosophie et en théologie, en ce sens que les choses seraient ce qu’elles sont non en vertu de leur nature intrinsèque, mais en vertu d’un acte extrinsèque de volonté d’une autorité...
Mais venons-en au point suivant : est-il vrai que les “autorités” reconnues comme légitimes par Dominicus n’imposent pas l’obligation de croire à Vatican II ?
Sans recourir à la célèbre hyperbole de Paul VI, qui écrivait justement à Mgr Lefebvre que Vatican II était, sous certains aspects, plus important que le Concile de Nicée (19), nous nous contenterons de rappeler ce que déclare la formule conclusive de tous les actes conciliaires : “Tout l’ensemble et chacun des points qui ont été édictés dans cette Déclaration [ou Décret ou Constitution dogmatique] ont plu aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été ainsi établi en Concile soit promulgué pour la gloire de Dieu : Moi, Paul, Évêque de l’Église catholique” [suivent les signatures des autres Pères]. Frère Pierre-Marie (20) - cité par Dominicus - soutient que de cette formule de promulgation des actes conciliaires on ne peut pas déduire que le Concile s’attribue l’autorité du magistère solennel, et il cite l’allocution de Paul VI du 12 janvier 1966 selon laquelle le Concile “a évité de donner des définitions dogmatiques solennelles engageant le ‘Magistère infaillible de l’Église’”. Mais dans la même allocution Paul VI a ajouté : “le Concile a attribué à ses enseignements l’autorité du Magistère suprême ordinaire ; lequel est si manifestement authentique qu’il doit être accueilli par tous les fidèles selon les normes qu’a assignées le Concile, compte tenu de la nature et du but de chaque document” (21). Donc pour Paul VI l’enseignement du Concile n’est pas facultatif (“il doit être accueilli par tous les fidèles”) comme faisant partie du “magistère suprême ordinaire”. Or le magistère ordinaire lui aussi est “authentique” (c’est-à-dire qu’il a autorité) et oblige les fidèles à l’assentiment ; il peut être en plus infaillible, et en ce cas il oblige à un assentiment de foi. Cependant, en cas de doute, il faut recourir à l’autorité pour savoir quelle était très exactement sa “mens” ou intention en promulguant les documents conciliaires. Et pour Avrillé, l’autorité est Paul VI. On ne peut donc pas recourir à une allocution de Paul VI pour démontrer que le Concile n’a pas voulu proclamer des dogmes, et ensuite nier toute valeur à d’autres documents de Paul VI dans lesquels, avec la plus grande clarté - et de façon même exorbitante - il attribue à Vatican II la même autorité qu’aux autres Conciles, et en déduit l’obligation absolue d’en accepter le magistère, sous peine d’être en dehors de l’Église. Les lettres de Paul VI à Mgr Lefebvre et le discours au Consistoire de 1976 - puisque tels sont les documents auxquels je fais allusion - ont d’autant plus d’importance pour la question qui nous intéresse que le “pape” y répond justement à ceux qui refusent autorité et obéissance aux documents conciliaires. Dans le discours au Consistoire du 24 mai 1976 dans lequel il condamnait Mgr Lefebvre, Paul VI dénonçait : “On ose affirmer que l’on n’est pas lié par le concile Vatican II...” et il en déduisait que pour cela on se mettait “hors de l’obéissance au successeur de Pierre et de la communion avec lui, et donc hors de l’Église” (22). Et dans la lettre du 11 octobre 1976, Paul VI répétait également que Vatican II avait agi comme les Conciles précédents, et il précisait : “vous ne pouvez pas non plus invoquer la distinction entre dogmatique et pastoral pour accepter certains textes de ce Concile et en refuser d’autres. Certes, tout ce qui est dit dans un Concile ne demande pas un assentiment de même nature : seul ce qui est affirmé comme objet de foi ou vérité annexe à la foi [c’est le cas de la liberté religieuse, n.d.a.] par des actes ‘définitifs’, requiert un assentiment de foi. Mais le reste fait aussi partie du magistère solennel de l’Église auquel tout fidèle doit un accueil confiant et une mise en application sincère”. Et Paul VI concluait en imposant à Mgr Lefebvre une déclaration qui “devra affirmer que vous adhérez franchement au concile œcuménique Vatican II et à tous ses textes - ‘sensu obvio’ -, qui ont été adoptés par les pères du concile, approuvés et promulgués par notre autorité. Car une telle adhésion a toujours été la règle dans l’Église, depuis les origines, en ce qui concerne les conciles œcuménique” (23). Alors, la prétention de Dominicus, selon lequel Vatican II ne serait pas “imposé avec autorité” par la “hiérarchie” que lui-même reconnaît comme légitime, nous semble complètement privée de fondement (24).
Un argument de Frère Pierre-Marie : Vatican II ne serait pas garanti par l’infaillibilité du magistère ordinaire universel en ce sens que ce magistère est celui des Évêques dispersés dans le monde et non réunis en Concile. Réponse à cet argument qui comporte quelques graves erreurs sur la nature du magistère
Le “Petit catéchisme” se réfère explicitement à l’article de Frère Pierre-Marie, publié dans le numéro précédent de la revue, mais il ne reprend pas cet argument, que le religieux d’Avrillé oppose explicitement à notre Thèse (pp. 46-50). Deux observations préliminaires : Frère Pierre-Marie commet d’une part une inexactitude ; de l’autre il nous offre un aveu précieux. L’inexactitude consiste à dire que pour la Thèse “le Concile représente le magistère ordinaire universel” (p. 45 passim). Répétons-le jusqu’à la nausée : pour la Thèse, le Concile représenterait le magistère ordinaire universel si Paul VI avait été formellement Pape. Étant donné qu’il ne l’était pas, l’enseignement du Concile ne fait partie en aucune façon de l’enseignement de l’Église.
L’aveu consiste dans le fait de renoncer à soutenir l’argument que jusqu’à maintenant (et, encore en mars 2001 dans le n° 6 de la revue Si si no no), les partisans de la position de Mgr Lefebvre opposent à notre position : “le magistère ordinaire de l’Église, pour être universel, doit être universel non seulement dans l’espace (représenter l’ensemble des évêques) mais aussi dans le temps (s’excercer pendant un certain temps)” (p. 45). Frère Pierre-Marie admet maintenant que “cette continuité dans le temps n’est pas habituellement notée comme condition de l’infaillibilité de l’enseignement ordinaire de l’ensemble des évêques dispersés par toute la terre. Nous ne nous appuierons donc pas sur cette raison pour réfuter la thèse dite de Cassiciacum” (p. 46). Nous prenons acte de ce précieux aveu, et nous nous en félicitons (25).
Mais Frère Pierre-Marie ne pense pas que Vatican II aurait dû être garanti par l’infaillibilité du magistère ordinaire universel, et ce parce qu’à Vatican II, c’est réunis en Concile, donc physiquement ensemble, que les évêques unis au Pape ont enseigné, alors que le magistère universel serait l’enseignement des évêques unis au Pape, mais physiquement dispersés dans le monde.
A supposer que cet argument ait quelque probabilité, nous pourrions faire observer qu’après le Concile, les évêques se sont dispersés dans le monde et que - unanimement - l’épiscopat résidentiel en communion avec le “pape” reconnu par LSDLT enseigne la liberté religieuse (et les autres nouveautés conciliaires) depuis presque 40 ans : alors se réaliseraient les conditions requises par Frère Pierre-Marie pour l’existence d’un magistère ordinaire universel infaillible.
Mais c’est l’argument même de Frère Pierre-Marie qui est erroné. Il connaît les argumentations de l’abbé Lucien à ce sujet et il cite même (en note) ce que soutint à Vatican I le membre de la députation de la Foi, Mgr Zinelli : “L’accord des évêques dispersés a la même valeur que lorsqu’ils sont réunis : l’assistance a en effet été promise à l’union formelle des évêques, et non pas seulement à l’union matérielle” (26).
Mgr Zinelli est catégorique, et Frère Pierre-Marie ne nie pas la valeur de son témoignage pour évaluer la signification exacte des textes de Vatican I, que Zinelli devait présenter aux Pères. Frère Pierre-Marie cherche alors à donner une tout autre interprétation à Mgr Zinelli :
“il semble que Mgr Zinelli a simplement voulu dire par là qu’il y a une infaillibilité du magistère des évêques réunis, et une infaillibilité du magistère des évêques dispersés. Mais on ne peut pas affirmer à partir de cette citation que Mgr Zinelli défendait que l’infaillibilité des évêques dispersés ou réunis s’exerce de la même manière. Sinon il faudrait lui faire dire que les évêques dispersés peuvent excercer des jugements solennels, ce qui semble assez étrange. En fait, la première infaillibilité ne s’exerce que par mode de jugements solennels. La deuxième est celle du magistère ordinaire universel” (pp. 47-48, note 3).
Selon Frère Pierre-Marie, Mgr Zinelli a “seulement voulu dire qu’il y a une infaillibilité des évêques réunis et une infaillibilité des évêques dispersés”. En réalité Mgr Zinelli dit que “l’accord des évêques dispersés a la même valeur que lorsqu’ils sont réunis” : ce n’est pas la même chose. De plus, si les évêques, réunis ou dispersés, ont la même autorité, on en déduit que le fait qu’ils soient réunis ou dispersés est une “différence accidentelle et matérielle”, exactement comme l’affirme Lucien et comme le nie Frère Pierre-Marie. Mais Frère Pierre-Marie objecte : les évêques réunis peuvent prononcer des jugements solennels, les évêques dispersés non ; en devrions-nous donc déduire que les évêques dispersés n’ont pas la même autorité que lorsqu’ils sont réunis ? Voilà qui serait aller contre ce qui est affirmé explicitement par Mgr Zinelli. On doit au contraire en conclure que la différence même dans le mode d’exercice du magistère infaillible de l’Église (solennellement ou de façon ordinaire) est une différence accidentelle ! Mais objecte encore Frère Pierre-Marie : si les évêques dispersés ne peuvent pas exercer un magistère solennel (bien qu’il soit infaillible), de même réciproquement les évêques réunis ne peuvent pas exercer un magistère – infaillible – ordinaire, d’où Frère Pierre-Marie déduit que “la première infaillibilité [celle des évêques réunis] ne s’exerce que par mode du jugement solennel”. La conclusion n’est pas fondée sur les prémisses, car si les évêques dispersés - à cause de leur dispersion - peuvent difficilement enseigner avec solennité, une fois réunis ils peuvent librement utiliser un mode d’enseigner solennel (chose plus habituelle) mais aussi un mode ordinaire (comme Vatican II a déclaré avoir fait), sans solennités particulières.
Efforçons-nous alors de situer la racine de l’erreur de Frère Pierre-Marie. Mgr Zinelli rappelle, très opportunément, que l’infaillibilité du magistère des évêques unis au Pape (qu’ils soient réunis ou dispersés, peu importe) dépend de l’assistance promise à l’union des évêques, qu’elle soit matérielle et formelle (lorsqu’ils sont réunis physiquement par exemple en Concile) ou bien simplement formelle (lorsqu’ils sont unis pour présenter une doctrine comme révélée, tout en n’étant pas physiquement réunis). Ils sont infaillibles - qu’ils soient réunis ou dispersés - parce que les évêques unis au Pape représentent l’Église enseignante et l’Église est infaillible parce que divinement assistée : “voici que je suis avec vous...”. Il n’est pas possible en effet, en vertu de l’assistance divine, que l’Église dans son ensemble erre en matière de foi ou de morale : il y va de son indéfectibilité.
A l’assistance divine à Son Église (“qui vous écoute m’écoute...”, “voici que je suis avec vous...”) Frère Pierre-Marie substitue subrepticement un critère purement naturel et qui de toute façon n’est pas celui que la révélation et l’Église nous donnent comme cause de l’infaillibilité :
“lorsque tous les évêques répandus sur toute la terre enseignent la même chose comme appartenant à la foi, la raison de leur unanimité ne peut être que leur origine commune, à savoir la Tradition apostolique. Si leur enseignement est commun, la seule raison est qu’ils puisent à une même source : la tradition apostolique” (p. 48)
alors que
“si les évêques sont réunis, on peut trouver d’autres raisons à l’unanimité de leur enseignement : il peut y avoir des pressions, des influences etc.” (p. 48) ; et, Frère Pierre-Marie cite, parmi ces pressions, le fait que :
“la plupart des évêques lors du dernier Concile cherchait à savoir ce que pensait le Pape pour suivre son avis” (p. 48, note 2),
alors que telle est la condition même du magistère infaillible des évêques (qu’ils soient réunis ou dispersés) lesquels ne sont tels que s’ils enseignent avec le Pape et sous le Pape !
Déjà, dans un article de l’abbé Murro, Sodalitium avait signalé cette grave erreur commise à l’époque par l’abbé Marcille, de la Fraternité Saint-Pie X :
Il [Marcille] réduit le motif de l’infaillibilité du M.O.U. [Magistère ordinaire universel] à l’argument apologétique de la Tradition. J’explique avec un exemple : si l’Église catholique et l’Église orientale schismatique disent la même chose sur une doctrine (par ex. que la Confirmation est un Sacrement), on conclut de leur accord que cette affirmation doit être vraie et provient de la Tradition Apostolique. L’accord sur un point de doctrine de la part des deux Églises séparées peut provenir seulement du fait que cette doctrine était crue avant leur séparation et remonte donc aux Apôtres. (...) Parallèlement en philosophie on démontre que si tout le genre humain considère comme vraie une opinion, elle doit être réellement vraie : en effet ‘une opinion admise en tous temps et en tous lieux a nécessairement une cause unique’, la raison humaine, laquelle de sa nature adhère à la vérité. Pour ce motif l’abbé Marcille donne beaucoup d’importance au fait que le M.O.U. doit être un enseignement des Évêques ‘dispersés’ dans le monde : ‘c’est précisément parce qu’il est dispersé que son enseignement (moralement) unanime est un témoin sûr de la prédication apostolique’ (Marcille). (...) Mais la Tradition n’a rien à voir avec l’infaillibilité de jure du corps épiscopal uni : il s’agit de deux choses spécifiquement distinctes. Dans la Tradition, nous découvrons l’origine apostolique d’une doctrine par les témoignages répétés en plusieurs lieux ; dans l’infaillibilité, nous apprenons qu’une doctrine est révélée par la sentence actuelle infaillible de l’autorité de l’Église, assistée par le Saint-Esprit dans sa déclaration” (27).
Frère Pierre-Marie est aussi d’accord avec l’abbé Marcille pour soutenir qu’entre magistère solennel de l’Église et magistère ordinaire la différence est essentielle :
“L’abbé Lucien – écrit Fr. Pierre-Marie – ne voit dans la dispersion des évêques qu’une différence accidentelle et matérielle. Mais le magistère des évêques réunis n’est pas ‘à peu près la même chose’ que celui des évêques dispersés : la différence n’est pas accidentelle” (pp. 47-48).
Étant donné que Frère Pierre-Marie répète l’erreur de l’abbé Marcille, nous ne pouvons que lui répondre ce que nous avions répondu à ce dernier en 1997 : « La théorie de l’abbé Marcille - reprenait l’abbé Murro - est une innovation hétérogène. Salaverri, par exemple, enseigne l’opposé : “Les modes d’exercer le Magistère…, ordinaire, c’est-à-dire hors du Concile, extraordinaire, c’est-à-dire dans le Concile, concordent essentiellement en ceci, que tous deux constituent un acte de toute l’Église enseignante soumise au Pontife romain ; ils diffèrent accidentellement dans le fait que le mode extraordinaire comporte en plus la réunion locale des Évêques” (28). Zubizarreta enseigne : ‘Le corps des Évêques en union avec le Pontife romain, soit réuni en concile, soit dispersé sur la terre, est sujet du magistère infaillible, car ce corps des Pasteurs en union avec le Pontife romain tient la place du collège apostolique et lui succède, et, par droit d’héritage, reçoit la charge d’enseigner, de gouverner et de sanctifier les hommes avec la prérogative d’infaillibilité’ (29). Mgr Zinelli au Conc. Vat. affirmait : ‘L’accord des évêques dispersés a la même valeur que lorsqu’ils sont réunis : l’assistance a en effet été promise à l’union formelle des évêques, et non pas seulement à leur union matérielle’.
L’abbé M. est tellement aveuglé par la passion de vouloir justifier la FSPX, qu’il ne voit pas la gravité de son affirmation : si la différence entre Magistère Ordinaire et Magistère extraordinaire n’était pas seulement accidentelle, nous aurions alors dans l’Église deux Magistères ! Ceci conduirait à une division et à un morcellement de la fonction enseignante de l’Église qui, dans la transmission du dépôt de la Révélation, serait parfois assistée par le Saint-Esprit, d’autres fois non. Mais en philosophie thomiste la fonction est déterminée par son objet : à un seul objet (transmettre la Révélation) correspond une seule fonction. ‘Il faut insister encore, puisque les saines notions de métaphysique réaliste paraissent oubliées. Sous peine de tomber dans une sorte de ‘nominalisme’, la théologie doit lire la réalité de la Révélation, sous la lumière de la raison éclairée par la foi, et non ‘coller des étiquettes’ sans s’occuper du contenu… Le mode d’un acte est une qualification accidentelle qui ne change pas la spécification de la fonction, du pouvoir ou de la puissance qui exerce l’acte ! Par conséquent, si une classe de propositions rentre dans l’objet du magistère, celui-ci peut les qualifier et les juger infailliblement, soit en exerçant un acte solennel, soit par le simple exposé de la doctrine… Le mode de proposition de la doctrine ne peut, en aucun cas, atteindre ou changer la nature et l’extension de l’objet, car l’objet est déterminé seulement par la nature et la fin du magistère, telle qu’elle ressort des paroles mêmes de Notre-Seigneur (Matth. XXVIII, 20) et de St Paul (I Tim. VI, 20 : ‘L’Église du Dieu vivant, colonne et fondement de la vérité’) : l’Église est assistée pour qualifier le rapport de toute proposition au dépôt révélé. Le Magistère est le pouvoir divinement assisté pour opérer cette qualification (Père M.L. de Blignières)” (30).
En résumé et pour conclure. Frère Pierre-Marie soutient - pour pouvoir défendre la légitimité de Paul VI et, en même temps, refuser toute autorité au Concile qu’il a promulgué - que le magistère ordinaire universel (c’est-à-dire de l’Église) n’est pas infaillible s’il est exercé par des Évêques réunis en Concile, qu’il l’est seulement si ceux-ci sont dispersés dans le monde. Pour affirmer cela, il doit aller jusqu’à soutenir que le magistère des évêques réunis en Concile et celui des évêques dispersés dans le monde sont essentiellement distincts et que le motif de l’infaillibilité de ce dernier est dû au fait qu’ils [les évêques dispersés] seraient l’écho de la tradition apostolique. Nous avons démontré par contre que le magistère est essentiellement un, et que le motif de son infaillibilité est toujours et seulement l’assistance divine promise à l’Église. La position de Frère Pierre-Marie est très grave précisément sur ce dernier point, c’est-à-dire là où il attribue à l’infaillibilité de l’Église - du moins pour son magistère ordinaire - une cause qui ne serait pas l’assistance divine, dénaturant totalement et niant pratiquement l’infaillibilité du magistère ordinaire universel telle qu’elle a été définie par le Concile Vatican I.
Un dernier argument de Frère Pierre-Marie : le Concile ne serait pas garanti par l’infaillibilité du magistère ordinaire universel parce que l’objet de ce magistère est une vérité révélée connexe à la Révélation. Or, c’est justement ce qui manquerait dans l’enseignement de Vatican II.
Stupeur de Sodalitium face à la seconde partie de cet argument
Après avoir abordé le sujet du magistère de l’Église (c’est-à-dire les évêques unis au Pape), Frère Pierre-Marie examine l’objet de ce magistère : “L’objet du magistère ordinaire universel, la matière de son enseignement, ce sont les vérités appartenant à la foi, c’est-à-dire les vérités révélées. Comme pour le magistère solennel, on peut étendre cet objet aux vérités qui sont liées nécessairement à la Révélation” (p. 51).
Après quoi Frère Pierre-Marie soutient :
“or, c’est précisément ce lien nécessaire avec la foi catholique, d’où découle l’obligation de l’accepter, qui fait défaut dans les enseignements du concile Vatican II” (p. 52).
Nous devons admettre que la lecture de ces lignes nous a étonnés. Le décret conciliaire sur la liberté religieuse Dignitatis humanæ personæ déclare que :
“le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même” (n. 2)
“cette doctrine de la liberté a ses racines dans la Révélation divine” (n. 9)
“l’Église, donc, fidèle à la vérité de l’Évangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine, et qu’elle encourage une telle liberté” (n. 12).
Ce qui est affirmé à propos de la liberté religieuse est repris également dans d’autres documents du Concile, à propos d’autres doctrines erronées (31).
Donc selon Vatican II, la dignité de l’homme comme fondement de la liberté religieuse est vérité révélée ; la liberté religieuse elle-même est fondée sur la Révélation, conforme à la Révélation, a ses racines dans la Révélation.
Frère Pierre-Marie devrait déjà donner au moins un assentiment de foi à la dignité de l’homme comme fondement de la liberté religieuse, puisque cette doctrine est déclarée révélée. Ensuite il devrait nous expliquer comment il se fait qu’un fondement n’est pas nécessairement connexe à sa conséquence, comment ce qui prend ses racines n’est pas nécessairement connexe à la racine, et ce qui est conforme à la Révélation n’est pas révélé. Et pourtant, pour lui toutes ces expressions ne seraient pas suffisantes :
“il faudrait qu’il [le Concile] précise que cet enseignement est immuable et lié nécessairement à la Révélation” (p. 52) (32).
Or d’un côté ce qui est nécessairement lié à la Révélation est par sa nature immuable (il est donc suffisant d’affirmer qu’une doctrine est révélée ou connexe au révélé pour dire aussi qu’elle est immuable). De l’autre - je le répète - je ne vois pas comment il serait possible de concevoir une chose conforme à la Révélation et fondée et enracinée en elle sans que cette chose soit - par le fait-même - nécessairement liée à la Révélation ! Serait-ce que Frère Pierre-Marie ignore l’existence des synonymes ?
Pour confirmer sa bien faible argumentation, Frère Pierre-Marie met en avant des arguments qui se fondent sur la répugnance des modernistes envers les condamnations doctrinales et les définitions catégoriques :
“Mgr Lefebvre n’a pas caché son opposition à certains textes du Concile. Mais jamais les autorités romaines ne l’ont accusé de se tromper dans des questions dogmatiques” car les “membres actuels de la hiérarchie (…) ont du mal à admettre une vérité immuable” (p. 52).
Ce qu’affirme notre confrère est trop unilatéral. Vatican II en effet repropose substantiellement inchangée la doctrine de Vatican I sur l’infaillibilité (33). Nous avons vu comment Paul VI exigeait de Mgr Lefebvre l’acceptation de la doctrine conciliaire, et qu’il déduisit de son refus que le prélat d’Écône s’était mis hors de la pleine communion avec le Saint-Siège. D’autre part, à plusieurs reprises l’actuel “magistère” a parlé de vérités immuables, irréformables, comme par exemple à propos de l’ordination des femmes au sacerdoce ; il n’est donc pas exact de soutenir que le “magistère” actuel a renoncé à toute prétention d’infaillibilité ou d’irréformabilité.
L’infaillibilité des lois liturgiques et canoniques
Mais revenons à Dominicus et à son catéchisme. Dès le premier numéro des Cahiers de Cassiciacum, les partisans de la Thèse homonyme invoquèrent l’argument de l’infaillibilité pratique des lois liturgiques ; la “promulgation” du nouveau code a fourni l’opportunité d’invoquer également l’argument similaire de l’infaillibilité des lois canoniques : en un mot, il est impossible qu’une autorité légitime promulgue des lois nocives pour la foi ou les mœurs. Je ne vais pas citer encore une fois ici tous les passages du magistère et les autorités des théologiens pour démontrer ce principe, puisque le “Petit catéchisme sur le sédévacantisme” l’admet volontiers : “normalement” “les lois liturgiques (la nouvelle messe...) et canoniques (le nouveau Droit canon...)” auraient dû être couvertes par l’infaillibilité.
Le principe général étant considéré comme acquis et admis par tous (34), voyons comment Dominicus cherche à enlever sa valeur à notre preuve. Selon lui ces lois qui “normalement” auraient dû être couvertes par l’infaillibilité, ne le sont pas simplement parce que, comme l’enseignement conciliaire, elles ne sont pas imposées avec autorité.
A cet argument nous répondrons :
a) il n’est pas vrai que la réforme liturgique et le nouveau code ne sont pas imposés avec autorité
b) même si elles n’étaient pas imposées comme une obligation (ce qui est faux) ces lois - au moins - exprimeraient une permission de l’Église. Or l’Église ne peut permettre quelque chose de nocif pour la foi et les mœurs.
Pour ce qui est du premier point, les “traditionalistes” ont contesté longtemps le caractère obligatoire du nouveau missel. Il s’agit cependant d’une légende détruite par l’abbé Cekada dans un article publié par Sodalitium auquel nous renvoyons le lecteur (35). Aux arguments - décisifs - de l’abbé Cekada nous ajoutons ce qui a été dit par Paul VI dans le discours au Consistoire de 1976, déjà cité : “C’est au nom de la Tradition elle-même que nous demandons à tous nos fils et à toutes les communautés catholiques de célébrer avec dignité et ferveur les rites de la liturgie rénovée. L’adoption du nouvel Ordo Missæ n’est certainement pas laissée à la libre décision des prêtres ou des fidèles.
L’Instruction du 14 juin 1971 a prévu que la célébration de la messe selon le rite ancien serait permise, avec l’autorisation de l’Ordinaire, seulement aux prêtres âgés ou malades qui célèbrent sans assistance. Le nouvel Ordo a été promulgué pour prendre la place de l’ancien, après une mûre délibération et afin d’exécuter les décisions du Concile. De la même manière, notre prédécesseur saint Pie V avait rendu obligatoire le missel révisé sous son autorité après le Concile de Trente. La même prompte soumission, nous l’ordonnons au nom de la même autorité suprême qui nous vient du Christ, à toutes les autres réformes liturgiques, disciplinaires, pastorales, mûries ces dernières années en application des décrets conciliaires” (36).
Pour ce qui regarde le nouveau Code, après avoir rappelé que “les lois canoniques, de par leur nature même exigent d’être observées” et émis le vœu que “tout ce qui est commandé par le Chef soit observé dans les membres” Jean-Paul II conclut :
“Confiant donc dans le secours de la grâce divine, soutenu par l’autorité des Saints Apôtres Pierre et Paul, bien conscient de l’acte que je suis en train d’accomplir et en me rendant aux prières des Évêques du monde entier qui ont collaboré avec moi dans un esprit de collégialité, de par l’autorité suprême dont je suis revêtu, cette Constitution étant valide pour l’avenir, je promulgue le présent Code tel qu’il a été mis en ordre et révisé. Et j’ordonne qu’à l’avenir il prenne force de loi pour toute l’Église latine...” (Constitution apostolique Sacræ disciplinæ leges du 25 janvier 1983).
On ne voit donc pas comment Dominicus peut soutenir que les lois liturgiques et canoniques post-conciliaires n’ont pas été “imposées avec autorité” (toujours en supposant que Paul VI ait été “l’autorité”). Mais en admettant que cela soit soutenable, l’argument de Dominicus ne tient pas. Grégoire XVI enseigne en effet que :
“Est-ce que l’Église qui est la colonne et le soutien de la vérité et qui manifestement reçoit sans cesse de l’Esprit-Saint l’enseignement de toute vérité, pourrait ordonner, accorder, permettre ce qui tournerait au détriment du salut des âmes, et au mépris et au dommage d’un sacrement institué par le Christ ?” (Enc. Quo graviora, 4 octobre 1833, EP vol. 1, n. 173) (37).
Et de la même façon le Synode de Pistoie fut condamné par Pie VI pour avoir supposé qu’il était possible que :
“l’ordonnance de la liturgie reçue et approuvée (receptus et probatus) par l’Église venait en partie d’un oubli des principes par lesquels elle doit être régie” (Const. Auctorem fidei, DS 2633).
Pie VI ne parle pas d’ordonnance de la liturgie “obligatoire”, il dit seulement “reçue et approuvée”. Or Dominicus ne peut nier que le N.O.M. ait été au moins reçu et approuvé par Paul VI et par ses successeurs. Nous pourrions citer d’autres autorités : mais ce qui vient d’être dit est plus que suffisant pour démentir l’opinion du “Petit catéchisme sur le sédévacantisme”.
Dernières observations et conclusion
De ce qui a été dit jusqu’ici nous pouvons conclure que les arguments avancés par Dominicus et Frère Pierre-Marie dans LSDLT contre la Thèse de Cassiciacum sont dépourvus de force. Aussi la conclusion que Dominicus pense pouvoir tirer en ce qui concerne le sédévacantisme dans la dernière question de son catéchisme (la 14ème) est-elle privée de fondement et - dans la pratique - abuse le lecteur.
Sodalitium ne pense pas devoir répondre par contre à ce que Dominicus expose sur les arguments strictement sédévacantistes qui s’appuient sur l’hypothèse théologique du Pape hérétique ou sur la Bulle de Paul IV (petites questions 6 à 10, pp. 114-116) : jamais depuis sa naissance la TdeC ne s’est reconnue dans ces arguments.
En ce qui concerne la question de l’“una cum” traitée par Dominicus, pp. 116-117, dans les questions 12 et 13, je rappelle seulement que toute la question (faut-il citer ou non Jean-Paul II au canon de la Messe en tant que Pape) dépend évidemment du fait qu’il soit ou ne soit pas Pape : c’est là un (important) corollaire de ce que nous venons de voir.
Notes et références
1) “Nos fidèles auraient besoin d’études sérieuses, sur l’erreur du ralliement de Dom Gérard, sur l’erreur du sédévacantisme, sur la légitimité des sacres”. Lettre de Mgr Lefebvre du 20/02/1989, citée dans Le Sel de la terre n° 36, printemps 2001, p. 33.
2) Comme je l’ai déjà souligné dans ma réponse à l’abbé Paladino (cf. F. RICOSSA, L’abbé Paladino et la ‘Thèse de Cassiciacum’. Réponse au livre : ‘Petrus es tu ?’, CLS, Verrua Savoia, p. 30, note 29).
3) Cette déformation intellectuelle, le P. Guérard la définit ainsi : “traditionalisme théologique”. “Ce comportement – explique-t-il – consiste à rechercher, en vue de l’accommoder, tout ce que les théologiens ont pu dire sur la question controversée. Jamais Cajetan, Bellarmin et Suarez n’avaient joui d’une telle popularité. Les ‘traditionalistes’ de la troisième sorte méconnaissent en fait que les excellents auteurs auxquels ils se réfèrent se sont exprimés ‘en temps de paix’, sans pouvoir prévoir les conditions de la guerre… (…) Éclairer la situation qui résulte d’une crise sans précédent, ne peut résulter d’un retour servile à ce qui fut différent, sous ce prétexte qu’il a précédé. La théologie consiste, au moins parfois, à réfléchir et pas seulement à répéter” (CdC n° 1, p. 30).
4) CdC n° 1, pp. 76-77.
5) Les deux œuvres ont été réimprimées par le Père Pollet, o. p. en 1936 et sont encore en vente à l’Angelicum. L’abbé Sanborn a publié – et Sodalitium a repris - certaines citations de Cajetan à ce sujet.
6) Sacerdotium, XVI, pars verna 1996, pp. 75-76. Repris dans Sodalitium n° 49, p. 32.
7) PERE GOUPIL, S.J., L’Église, cinquième édition, 1946, Laval, pp. 48-49, cit. dans B. Lucien, La situation actuelle de l’autorité dans l’Église. La Thèse de Cassisiacum, Bruxelles 1985, p. 103.
8) Position de Mgr Lefebvre sur la Nouvelle Messe et le Pape, 8 novembre 1979, supplément à Fideliter, 1980, p. 4.
9) F. RICOSSA, L’abbé Paladino et la ‘Thèse de Cassiciacum’. Réponse au livre : ‘Petrus es tu ?’, CLS, Verrua Savoia, p. 32, note 45.
10) Nous avons déjà signalé dans Sodalitium (n° 22, pp. 5-6) comment Mgr Lefebvre a substitué comme critère de la visibilité de l’Église l’Ubi Maria ibi Ecclesia à l’Ubi Petrus ibi Ecclesia (Fideliter n° 71, p. 7). A plusieurs reprises des auteurs de la Fraternité ont parlé d’une défection substantielle de l’Église, comme lorsque l’abbé Roque identifie l’Église avec la bête de l’Apocalypse (cf. Sodalitium n° 47, p. 84, Fideliter n° 125,
p. 10 ) ou lorsque l’abbé Bouchacourt écrit : “L’Église depuis le concile vit dans une liaison adultère avec le monde. Elle s’est détournée de la vérité, abandonnant sa mission. Elle n’enseigne plus, elle est à l’écoute du monde et l’esprit du monde est entré chez elle” (Le Chardonnet n° 167, avril 2001, p. 1). Plusieurs fois la visibilité de l’Église et son indéfectibilité sont alors attribuées non à l’“église conciliaire” mais à la Fraternité qui seule – avec Mgr Lefebvre et ensuite avec les évêques qu’il a consacrés - les assure (cf. abbé Sélégny cité par Sodalitium n° 33, p. 52 ; ou Mgr Tissier : “ce magistère (...) c’est en Mgr Lefebvre que nous le trouvons (...) L’indéfectibilité de l’Église, c’est l’Archevêque inflexible qui en est le plus éclatant héraut” ; Fideliter n° 72, p. 10).
11) Voir par exemple Fideliter n° 72 nov.-déc. 1989, p. 7 ; où, parlant de Jean-Paul II il écrit : “Tout en voulant ‘habituellement’ le bien de l’Église (sans quoi il ne serait pas Pape) (...)”.
12) L’“état de nécessité” invoqué pour justifier les consécrations épiscopales de 1988 exprime avec d’autres paroles le même concept.
13) Dans la perspective de la Thèse cet argument, tiré de l’infaillibilité du magistère ordinaire universel et de l’infaillibilité pratique des lois de l’Église, n’est pas une confirmation d’une assertion déjà démontrée précédemment, mais la preuve même d’une partie de la Thèse, celle qui affirme le fait : Paul VI n’était pas formellement Pape.
14) B. LUCIEN, La situation actuelle de l’autorité dans l’Église. La Thèse de Cassiciacum, Documents de catholicité, Bruxelles 1985, p. 13.
15) L’objection de Dominicus à la TdeC n’est pas nouvelle, une réponse lui a été déjà été faite, quoique brève. Je renvoie le lecteur, par exemple, aux lignes consacrées par l’abbé Lucien à cette difficulté dans L’infaillibilité du magistère ordinaire universel de l’Église, Documents de catholicité, Bruxelles 1984, ‘Avertissement’, pp. 3-4. Mutatis mutandis, on peut appliquer à cette difficulté ce que Lucien écrit dans La situation actuelle de l’Église... dans l’annexe I consacrée à “La légitimité du Pontife romain, fait dogmatique” (op. cit., pp. 107-111).
16) B. LUCIEN, L’infaillibilité...., op. cit., pp. 131-146.
17) B. LUCIEN, L’infaillibilité..., op. cit., p. 134.
18) “Comment aujourd’hui quelqu’un pourrait-il se comparer à saint Athanase, en osant combattre un Concile comme le deuxième Concile du Vatican, qui ne fait pas moins autorité, qui est même sous certains aspects plus important encore que celui de Nicée ?”. Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre en date du 25 juin 1975, dans La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre, Itinéraires, décembre 1976, p. 67.
19) FRERE PIERRE-MARIE, o.p., L’autorité du Concile, dans Le Sel de la terre n° 35, hiver 2000-2001, p. 42.
20) Audience du 12 janvier 1966, dans L’Osservatore romano du 13 janvier 1966, cité in Cahiers de Cassiciacum n° 1, pp. 15-16, note 8. Paul VI fait allusion aux déclarations conciliaires des 6 mars et 16 novembre 1964.
21) In Itinéraires, 1.c., p. 108-109.
22) Ibidem, pp. 294-295, 301.
23) Dominicus argumente que “l’enseignement conciliaire ne se présente plus comme nécessaire au salut” puisque “ceux qui le professent pensent qu’on peut se sauver même sans la foi catholique”. Ou bien Dominicus prouve trop ou bien il prouve trop peu : il devrait préciser sa pensée. Veut-il dire que l’enseignement “conciliaire” professe clairement et explicitement dans un sens hérétique qu’“on peut se sauver même sans la foi catholique” ? Il est difficile dans ce cas de soutenir que l’auteur de cet enseignement puisse être Pape. Veut-il dire par contre qu’il s’agit là d’une tendance implicite et vague de l’enseignement conciliaire ; dans ce cas, cela ne paraît pas suffisant pour nier que ce magistère se présente comme absolument nécessaire pour le salut.
24) Ce que les dominicains d’Avrillé ont compris, l’abbé Aulagnier, lui, ne l’a pas encore compris. Voilà ce qu’il écrit dans Nouvelles de Chrétienté (n° 68, sept-oct. 2001, p. 8) : “Le magistère ordinaire et universel de l’Église - celui qui avec le magistère dit ex-cathera nous oblige en conscience [sic] - implique, lui, que l’enseignement soit et constant, et le même dans l’espace et dans le temps. Le magistère dit ordinaire et universel est l’enseignement de la quasi totalité des évêques de tous les temps. Il faut qu’il soit constant pour obliger. C’est le critère de saint Vincent de Lérins (...) Si l’on fait abstraction, dans l’enseignement de l’Église, de l’antiquité, de la continuité dans le temps, si l’on définit l’infaillibilité uniquement parce qu’il [sic] est enseigné ‘par le Pape et l’ensemble du corps épiscopal uni à lui’, sans critère du temps, du toujours, on risque de tomber dans le discrétionnaire, dans l’arbitraire, dans l’obéissance servile. On en vient nécessairement à ‘canoniser l’actualité’ et à désarmer, par conséquent la légitimité de toute réaction. A désarmer les fidèles dans leur lutte contre des innovations inadmissibles qui se réclameraient d’une telle infaillibilité’. Pour l’abbé Aulagnier celle-ci est même la seule critique vraiment fondamentale et ‘cette idée est sous-jacente à toute la pensée de Mgr Lefebvre, à tout son combat” (p. 7). Il faudrait convaincre l’abbé Aulagnier à participer à une session d’études chez les dominicains d’Avrillé.
25) Mansi, 51, 676A. Cité par Lucien, L’infaillibilité..., pp. 30-31 et repris par LSDLT, n° 35, pp. 47-48, note 3.
26) ABBÉ GIUSEPPE MURRO, Les erreurs de Sì sì no no. Seconde partie : le magistère d’après l’abbé Marcille, in Sodalitium n° 43, avril 1997, pp. 45-46.
27) SALAVERRI, Sacræ Theologiæ Summa, Theologia fondamentalis, T.III De Ecclesia Christi, B.A.C., Madrid 1962, n. 546, p. 667.
28) V. ZUBIZARRETA O.C.D., Theologia dogmatico-scholastica ad mentem, S. Thomæ Aquinatis, vol. I, Theologia Fundamentalis, Bilbao 1948, n. 461, p. 396.
29) ABBÉ MURRO, op. cit., p. 35.
30) Par exemple, l’interprétation “authentique” (et erronée) de l’Écriture sainte faite par Nostra Ætate, n. 4, DS 4198.
31) Pour Pie IX aussi la doctrine sur la liberté religieuse faisait partie des vérités Révélées (cf. Enc. Quanta cura : ...) avec la différence que Pie IX déclare contraire à la Révélation ce que Vatican II déclare conforme à la Révélation.
32) Constitution dogmatique Lumen gentium n. 25, DS 4149. Vatican II précise entre autres le point discuté entre nous et Frère Pierre-Marie : à propos du magistère ordinaire universel (la référence est faite à Vatican I, DS 3011) il est écrit dans Lumen gentium : “quoique les évêques, pris un à un, ne jouissent pas de la prérogative de l’infaillibilité, cependant lorsque, même dispersés à travers le monde, [donc pas seulement lorsque dispersés dans le monde, n.d.a.] mais gardant entre eux et avec le successeur de Pierre, le lien de la communion, ils s’accordent pour enseigner authentiquement qu’une doctrine concernant la foi et les mœurs s’impose de manière absolue, alors c’est la doctrine du Christ qu’infailliblement ils expriment. La chose est encore plus manifeste quand, dans le Concile œcuménique qui les rassemble, ils font, pour l’ensemble de l’Église, en matière de foi et de mœurs, acte de docteurs et de juges, aux définitions desquels il faut adhérer dans l’obéissance de la foi. (...) L’infaillibilité promise à l’Église réside aussi dans le corps des évêques quand il exerce son magistère suprême en union avec le successeur de Pierre. A ces définitions, l’assentiment de l’Église ne peut jamais faire défaut, étant donné l’action du même Saint-Esprit ... Mgr Lefebvre a souscrit explicitement ce paragraphe de Lumen gentium dans le protocole d’accord du 5 mai.
33) Par tous... sauf l’abbé Aulagnier ! Toujours dans Nouvelles de Chrétienté n° 68 ; sept.-oct. 2001, p. 26, note 2, il ose écrire [les caractères gras sont de nous] : “Pas plus que l’ancien le nouveau code de droit canon n’est infaillible”.
34) A. CEKADA, Paul VI imposa-t-il illégalement la nouvelle Messe ? In Sodalitium n° 50, juin-juillet 2000, pp. 41-52.
35) Paul VI, Allocution au Consistoire, du 24-5-76, in Itinéraires, n° 205, juillet-août 1976.
36) J’ai tiré cette citation du livre de l’abbé Piero Cantoni, Novus Ordo Missæ e fede cattolica, Quadrivium, Genova 1988, p. 105. Sur la question qui nous intéresse, voir tout le chapitre VII, Novus Ordo Missæ e infallibilità (pp. 99-110) qui contient aussi diverses citations de théologiens. L’abbé Cantoni, ordonné par Mgr Lefebvre et professeur à Ecône, a quitté comme chacun sait la Fraternité Saint-Pie X pour être incardiné dans le diocèse de Massa et Carrara. Le travail en question prétend donc défendre l’orthodoxie du N.O.M. Comme Dominicus, et précisément à propos de la TdeC, l’abbé Cantoni (p. 13, note 11) avance l’argument de l’indéfectibilité de l’Église. Outre la réponse donnée à Dominicus, on pourrait opposer à l’abbé Cantoni un argument ad hominem : comment concilier certaines déclarations de Jean-Paul II sur les erreurs des fils de l’Église (en réalité, de l’Église) avec l’indéfectibilité de l’Église si bien illustrée par l’abbé Cantoni - entre autres par cette citation de Grégoire XVI ? L’Inquisition par exemple, n’était-elle pas une institution commandée, concédée et permise par l’Église ?