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Notes pour l'étude de la Sainte Écriture

(et des autres sciences ecclésiastiques en général)

 Par Monsieur l'abbé Francesco Ricossa

Note : cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°63. Cette page intègre une réponse aux réactions suscitées par cet article publiées dans l'article "Sodalitium n°63 : mises au point et approfondissements, objections et réponses…" du Sodalitium n°64.

 

Au lecteur. Motifs qui ont occasionné la publication dans ce numéro de Sodalitium

de certains documents relatifs aux études ecclésiastiques

En avril 1999 Sodalitium publiait son numéro 48 ; avec un recul de dix ans, je considère ce numéro comme l'un des meilleurs et des plus importants de notre revue.

 

Les nombreuses critiques suscitées, en France comme en Italie, par certains des articles publiés à l'époque (je pense à mon article L'Apocalypse selon Corsini et à son appendice À propos de quelques prophéties et révélations privées), sont une confirmation de ce jugement qui m'est tout à fait personnel. “Confirmation” : car une revue d'étude et d'approfondissement ne peut s'acquitter de sa tâche sans susciter intérêt et aussi contradictions, faute de quoi elle se limiterait à répéter avec monotonie ce que tout le monde sait déjà. Les réactions négatives étaient facilement prévisibles ; pas cependant dans la mesure… démesurée qu'elles ont prise, surtout avec le temps, ce qui fait qu'aujourd'hui plus que jamais, dix ans après le “méfait”, nombreux ont été et sont encore les articles critiques publiés sur ce sujet.

 

À ces critiques – en soi parfaitement légitimes – j'ai rarement considéré comme opportun de répondre, et ce d'autant plus qu'elles croissaient en violence avec le temps, laissant parfois transparaître, en même temps que le désaccord sur les points que j'avais mis en discussion, une hostilité personnelle qui n'a rien à voir avec l'objet du litige. Mon autre article sur le cardinal Rampolla (qui n'était pas du tout à la défense du cardinal), a mis le comble à l'indignation de certains, et je préfère ne pas revenir sur les accusations personnelles extrêmement graves dont j'ai fait l'objet ces derniers mois (ou années).

 

Éviter, si possible, les polémiques personnelles n'a pas été ma seule motivation ; il en existe une autre qui fait même l'objet de ces notes. Je m'explique.

 

Depuis sa fondation, notre revue a toujours clairement exprimé le choix de son camp. Sodalitium est une revue catholique, intégralement catholique, intransigeante. En tant que telle, elle s'oppose au modernisme (dans toutes ses formes) et à tous les ennemis de l'Église, internes et externes, déclarés et occultes. Telle a toujours été, telle est encore, et telle devra toujours être la ligne de notre périodique. Naturellement nous ne sommes pas les seuls – grâce à Dieu – à défendre ces positions, à combattre ces ennemis (même si nous sommes du petit nombre de ceux qui embrassent publiquement la thèse théologique dite de Cassiciacum qui seule actuellement explique exhaustivement la situation de l'autorité dans l'Église). Et cependant, très souvent, les attaques contre Sodalitium ne partent pas seulement des ennemis, mais partent aussi des faux amis, ou de ceux qui, comme nous antimodernistes, devraient être des amis. Certainement à cause de la Thèse de Cassiciacum. Mais aussi à cause d'une mentalité que le Père Guérard des Lauriers appelait “traditionalisme théologique”, et qui, à l'opposé du bien plus grave rationalisme moderniste, est un défaut qui, lui, fondamentalement, frappe – comme l'indique le terme même – ceux qui sont justement attachés à la Tradition. La mentalité que critiquait le Père Guérard des Lauriers ne s'applique pas seulement à la théologie, mais à toutes les sciences ecclésiastiques, l'histoire par exemple, ou l'exégèse de l'Écriture Sainte. Cependant toujours, dans le camp des vrais catholiques (et donc des antimodernistes) l'Église a pu compter sur des savants qui ont su faire, selon une expression de Mgr Benigni “une synthèse aussi scientifique qu'orthodoxe, de qualité l'une et l'autre difficiles à trouver par ces clairs de lune” (cf. É. Poulat, Catholicisme, démocratie et socialisme. Le mouvement catholique et Mgr Benigni de la naissance du socialisme à la victoire du fascisme, Casterman, Paris, 1977, p. 219, et en général tout le chapitre VII L'histoire sainte sans auréole). Parmi ceux-ci, me sont particulièrement chers (sans pour autant attribuer l'infaillibilité à aucun d'entre eux) le Père Guérard des Lauriers, pour ce qui concerne la théologie scolastique ; Mgr Umberto Benigni, dans le domaine de l'Histoire ecclésiastique ; Mgr Francesco Spadafora pour ce qui regarde l'exégèse de la Sainte Écriture. Naturellement, nous devons mettre au-dessus de tous, comme notre norme et règle, le magistère ecclésiastique. Il me semble qu'il faut aller à la racine d'une mentalité erronée qui frappe – de diverses manières – nombre de nos amis, à cause aussi de l'influence qu'a pris avec le temps dans les études ecclésiastiques un certain volontarisme, et qui les empêche ne serait-ce que de prendre en considération ce que nous écrivons. Pour introduire le lecteur de Sodalitium (amis bienveillants, et aussi ceux qui le sont moins) à cette thématique, je propose maintenant une série de documents qui, à mon avis, peuvent illustrer ce que j'ai tenté de dire jusqu'ici. S'il plaît à Dieu, d'autres suivront ultérieurement.

 

Document I

« Troisième option. Le “traditionalisme théologique”

 

Ce comportement consiste à rechercher, en vue de l'accommoder, tout ce que les théologiens ont pu dire sur la question controversée. Jamais Cajetan, Bellarmin et Suarez n'avaient joui d'une telle popularité. Les “traditionalistes” de la troisième sorte méconnaissent en fait que les excellents auteurs auxquels ils se réfèrent se sont exprimés “en temps de paix”, sans pouvoir prévoir les conditions de la guerre, et qu'ils ont d'ailleurs énoncé des clauses conditionnelles. Si tel occupant du Siège apostolique ne se comporte pas de telle ou telle façon, alors il n'est plus pape ou ne l'a jamais été. Toute la question est de savoir si le “SI” s'applique. On ne peut le déterminer qu'en confrontant les faits observés avec des principes assurés. Éclairer la situation qui résulte d'une crise sans précédent, ne peut résulter d'un retour servile à ce qui fut différent, sous ce prétexte qu'il a précédé. La théologie consiste, au moins parfois, à réfléchir et pas seulement à répéter. (…)

 

La preuve de la thèse n'est pas infirmée par l'argument de tradition

 

On ne manquera pas d'observer que les théologiens n'ont pas prévu un tel cas de “vacance” pour le Siège apostolique. Les objectants, répondons-nous, ressemblent à ce chasseur qui, sûr de sa science, un jour s'aventura… dans la réalité. La panthère, une moderniste, arriva à gauche, alors que l'événement était, dans le livre, prévu “à droite”. Le chasseur en conclut que l'animal s'était trompé et, seconde erreur de la panthère, fut par celle-ci croqué.

 

Et qu'on ne nous parle pas des “antilibéraux” qui font leur raison d'être “anti” l'Exercice des Exercices. L'un clame : “Marchons droit” (titre de la revue de l’œuvre des Exercices de la Fraternité Saint Pie-X, n.d.r.), et il conseille avec insistance la plus étroite soumission au Pontife du zig-zag ; il tombe tout droit avec son Pontife dans la fosse du libéralisme. L'autre ne tient pour vrai que ce qui déjà a été dit : diminutæ sunt veritates a nepotibus Ignatii (1).

 

La théologie ne doit pas être inféodée à l'historicisme. Elle consiste certes à répéter ; mais, surtout en temps de crise, elle consiste d'abord à réfléchir, à remonter aux principes à partir des faits, et à éclairer ceux-ci par ceux-là. Serait-il donc surprenant qu'une crise qui est dans l'Église sans précédent culmine précisément dans le Siège apostolique par un type de vacance qui est lui-même sans précédent ? »

 

(R. P. M.-L. Guérard des Lauriers o.p., Le Siège Apostolique est-il vacant ? In Cahiers de Cassiciacum, n° 1, mai 1979, pp. 30, 76-77).

 

Document II

De la lettre “Opportunum valde” de Saint Pie X (11 janvier 1906) à Mgr Le Camus, évêque de La Rochelle et Saintes, sur l'étude de l'Écriture Sainte (extrait)

 

« (…) Ce qui, chez vous, demeure aussi très spécialement digne d'éloges, c'est que, dans votre manière d'exposer les textes sacrés, vous vous êtes appliqué à suivre, par respect de la vérité et pour l'honneur de la doctrine catholique, la voie dont, sous la direction de l'Église, il ne faut jamais s'écarter. Tout comme, en effet, on doit condamner la témérité de ceux qui, se préoccupant beaucoup plus de suivre le goût de la nouveauté que l'enseignement de l'Église, n'hésitent pas à recourir à des procédés critiques d'une liberté excessive, il convient de désapprouver l'attitude de ceux qui n'osent, en aucune façon, rompre avec l'exégèse scripturaire ayant eu cours jusqu'à présent, alors même que la foi demeurant d'ailleurs sauve, le sage progrès des études l'y invite impérieusement. C'est entre ces deux extrêmes que fort heureusement vous marquez votre route. Par l'exemple que vous donnez, vous prouvez qu'il n'y a rien à craindre, pour nos Saints Livres, de la vraie marche en avant réalisée par la science critique, et que même il peut y avoir tout avantage pour ces Livres à recourir aux lumières apportées par cette science. Et, de fait, il en est ainsi toutes les fois qu'on sait l'utiliser avec prudence et sage discernement, comme Nous constatons que vous l'avez fait vous-même (…) ».

 

Document III

Les critères dogmatiques de l'Herméneutique biblique. Magistère et consensus unanime des Pères

 

« (L'Herméneutique) est la discipline qui enseigne les règles à suivre pour bien comprendre et expliquer les Livres Sacrés. (…)

 

1. Et voici les critères dogmatiques que l'herméneutique détermine à l'exégète catholique.

 

Toute explication qui admet ou suppose une erreur dans l'affirmation de l'auteur inspiré est à rejeter. En effet l'erreur retombe alors sur Dieu Lui-même, vrai auteur principal.

 

2. L'interprétation authentique, dans les péricopes concernant la foi et la morale (les vérités dogmatiques et morales nécessaires à notre salut) revient indiscutablement au Magistère ecclésiastique ; en sorte que l'exégète ne peut les interpréter contre le sens enseigné et infailliblement proposé par lui (concile de Trente, Conc. Vatic. I : Enchiridion Biblicum EB 62.78). Il est en effet impossible qu'il y ait opposition, contraste, entre les deux sources de la même révélation divine : l'enseignement oral (tradition apostolique=Magistère infaillible) et la Sainte Écriture. L'interprétation authentique de l'Église est donnée :

A) dans les définitions des Conciles ou des Souverains Pontifes ; directement lorsque la détermination du sens biblique est l'objet direct et formel de la définition (par ex. Jn 3, 5 doit s'entendre au sens propre du baptême : Concile de Trente., Denz. 858) ; indirectement lorsque ce n'est pas le texte en soi, mais la doctrine s'appuyant sur lui, qui est l'objet formel de la définition (par ex. Rom., 5,12 se rapportant au dogme du péché originel : Concile de Trente, Denz. 789). Cependant, en ce second cas, seul un examen soigné et prudent des termes et des circonstances de la définition peut éclairer sur l'intention de fixer plus ou moins infailliblement l'exégèse (Mangenot-Rivière, dans DThC, VII, 2315-19).

B) Les organes ordinaires sont les SS. Congrégations en particulier la Commission Biblique Pontificale ; leurs décisions exigent le respect et aussi l'assentiment interne, mais elles ne sont pas infaillibles et donc l'exégète poussé par des arguments graves, peut suspendre cet assentiment et proposer les raisons qui s'y opposent.

3. Pour les premiers siècles, nous sommes informés de l'enseignement infaillible par les écrits des Pères. C'est pourquoi dans les documents cités (depuis le Concile de Trente jusqu'à Humani generis) à côté du magistère ecclésiastique est placé immédiatement et dans le même cadre (c'est-à-dire pour les vérités de foi et de morale) la doctrine des Pères comme garants/ témoins de la foi catholique. Cette dernière condition est essentielle ; en fait ils [les Pères] donnent ordinairement des explications personnelles qui, tout en étant dignes du plus grand respect, n'obligent pas du tout l'exégète. Le consentement unanime (au moins moral) est nécessaire dans l'interprétation d'un texte dogmatique ; et principalement, qu'elle soit proposée comme vérité appartenant à la foi catholique (Léon XIII, Providentissimus : EB, n°122), et non comme une des nombreuses interprétations possibles ou probables. Lorsque Origène affirme par ex. l'inspiration et l'inerrance des livres sacrés, il ajoute immédiatement : c'est ainsi que ‘dans l'Église manifestissime prædicatur' c'est enseigné de façon très nette. C'est pourquoi, comme le précisent Léon XIII et Pie XII (2) bien peu nombreux sont les textes bibliques dont l'exégèse authentique est fixée par les Pères. De même que, sont peu nombreux, par ailleurs, ceux dont le sens a été infailliblement défini par les Conciles ou par les Souverains Pontifes (Cornely, Introd., 2ème ed., p. 610, en énumère une vingtaine, directement définis ; Durand, DFC, 1, coll. 1837, pas plus de 12) : Enc. Divino Afflante Spiritu, EB, n. 564-565. (3)

 

4. Le dernier critère dogmatique est l'analogie de la foi : biblique, autrement dit l'accord mutuel ou harmonie entre les vérités contenues dans l'Écriture Sacrée ; et catholique, autrement dit l'accord de ces vérités avec celles contenues dans la Tradition orale (Magistère ecclésiastique). Voici comment ceci est formulé par saint Augustin (…) : “dans les passages ambigus de l'Écriture que l'on consulte la règle de la foi, qui se réfère à des passages plus clairs de cette même Écriture et à l'autorité de l'Église”. (cf. enc. Providentissimus, EB nn. 109-116).

“L'exégète catholique, poussé par un amour actif et courageux de sa science, sincèrement dévoué à Notre Mère la Sainte Église, ne doit, en aucune façon, s'interdire d'aborder, et à plusieurs reprises, les questions difficiles qui n'ont pas été résolues jusqu'ici, non seulement pour repousser les objections des adversaires, mais encore pour tenter de trouver une solide explication, en accord parfait avec la doctrine de l'Église, spécialement avec celle de l'inerrance biblique, et capable en même temps de satisfaire pleinement aux conclusions certaines des sciences profanes. Les efforts de ces vaillants ouvriers dans la vigne du Seigneur méritent d'être jugés non seulement avec équité et justice, mais encore avec une parfaite charité ; que tous les autres fils de l'Église s'en souviennent. Ceux-ci doivent avoir en mésestime ce zèle tout autre que prudent, qui croit devoir combattre ou tenir en suspicion tout ce qui est nouveau.” C'est ainsi que Pie XII illustrait la liberté de l'exégète catholique (Divino afflante Spiritu, EB n. 564 ; traduction tirée de Doc. Pontif., Actes de SS Pie XII, tome V, pp. 245-246). (…) ».

(MGR FRANCESCO SPADAFORA, Ordinaire d'Exégèse à l'Université pontificale du Latran, in Dizionario Biblico, ed. Studium, Roma, 1963, rubrique Ermeneutica, pp. 211-212).

 

Document IV

Prophète, prophétie, annonce du futur

 

« Le Prophète est celui qui, par mission divine, transmet à celui auquel il est envoyé, les révélations qui lui ont été communiquées, surnaturellement, par Dieu. (Deut. 18,18 s ; II Rois 3,9, etc. ; cf. Ex 7,1 s.).

 

Le début et l'élément essentiel de la mission prophétique est la vocation de la part de Dieu ; choix libre, imprévu et inopiné, qui donne un nouveau cours à l'existence de celui qui est appelé (Ex 3-4,18 ; Amos 7,12- 5 ; Is 6 ; Jérémie 1,4-9 ; 20,7-18, etc.). Le terme hébreu le plus usité, nabhi, dérive du verbe akkadien nabu, ‘appeler', au participe passé ‘appelé', qui a reçu une mission de Dieu (…) Le grec προφήτες ‘qui parle au nom et à la place de Dieu' rend bien l'idée (de πρό ‘au lieu' et φάυαι ‘parler'...). Le sens de ‘prédire le futur', le prophète annonçant aussi le futur, n'est que secondaire ; mais l'éthymologie de saint Isidore de Séville (πρό ‘auparavant' et φάιυειυ ‘apparaître' ; s. Tommaso II-II, q. 171 a. 1) est erronée »

 

(MGR FRANCESCO SPADAFORA, Dizionario biblico, ed. Studium, Roma, 3ème éd. 1963, rubrique Profeta, profetismo, p. 489. Cf., même auteur, la rubrique Profeta, in Enciclopedia cattolica, vol. X, Città del Vaticano, colonnes 92-93 où il ajoute une citation de saint Augustin : “nihil aliud esse prophetam Dei, nisi enuntiatorem verborum Dei hominibus”) (Quæst. In Hept., 17 ; PL 34, 601) : un prophète de Dieu n'est rien d'autre que celui qui annonce aux hommes les paroles de Dieu (4).

 

L’Encyclique Divino afflante Spiritu en question (S. 64)

Personne ne m’a écrit, mais on a beaucoup écrit, à propos d’un autre article du n°63 de Sodalitium que j’avais intitulé Notes pour l’étude de la Sainte Écriture (et des autres sciences ecclésiastiques en général). Je n’avais et n’ai aucune intention polémique en traitant ce sujet. Mon intention était et reste encore, plutôt, de réaliser un programme qui a toujours été celui de l’Église, et qui fut, entre autres, celui de Mgr Umberto Benigni : unir, dans les études ecclésiastiques, scientificité de méthode et orthodoxie de doctrine. Conciliation en soi évidente, puisque la vraie science sera toujours conforme à la foi droite, et que la foi droite guide et supporte les études scientifiques et théologiques, selon l’exemple de saint Thomas d’Aquin. Hélas, quotidiennement, le spectacle nous est offert de chercheurs qui auraient de remarquables qualités intellectuelles, mais qui refusent les lumières de la foi droite et, au contraire, de tant d’écrivains qui veulent défendre la foi mais n’ont, hélas, ou ne veulent pas avoir, le considérant presque comme un danger, une sérieuse préparation théologique et scientifique. C’est précisément pour éviter toute polémique que j’avais proposé des citations du Magistère de l’Église, que tout catholique doit reconnaître (Léon XIII, saint Pie X, Pie XII) et autres auteurs qui ont - chacun dans son propre domaine - allié la plus stricte fidélité à la foi droite et l’approfondissement des études ecclésiastiques : en théologie, le Père Guérard des Lauriers o.p., dans l’exégèse de l’Écriture sainte, Mgr Francesco Spadafora.

 

Ces citations n’ont pas trouvé grâce auprès de certains de nos contradicteurs, nos confrères dans le sacerdoce. En particulier, la citation, en note, d’un passage de l’encyclique de Pie XII Divino afflante Spiritu n’a pas plu. Pour ne pas critiquer ouvertement Pie XII, on pense pouvoir s’abriter derrière la critique que Mgr Antonino Romeo - qui fut le maître de Mgr Spadafora - adressait aux progressistes et néo-modernistes qui interprétaient mal (déformaient même) l’encyclique du Pape Pacelli sur l’étude de la Sainte Écriture : l’encyclique Divino afflante Spiritu et les Opiniones novæ dans “Divinitas” n° 4, 1960, pp. 385-456. Mais il y a un problème. La critique de Mgr Romeo n’est pas dirigée contre l’encyclique de Pie XII, dont il défend par contre la parfaite conformité avec la Tradition et le magistère de ses prédécesseurs, mais contre l’astuce des modernistes qui la déforment pour excuser leurs propres erreurs. Or l’attitude de Mgr Romeo et celle de Mgr Spadafora à ce sujet furent la même ; et Sodalitium n° 63 a abondamment cité la pensée de Mgr Spadafora là-dessus (Document III. Les critères dogmatiques de l’Herméneutique biblique. Magistère et consensus unanime des Pères, pp. 47-48-49) telle qu’on la trouve dans son excellent Dizionario biblico. Nous aimerions par conséquent avoir une réponse claire et nette de la revue bimensuelle qui a bénéficié durant tant d’années de l’illustre collaboration de Mgr Spadafora et qui, à juste titre, chaque année le commémore : partagez-vous ou non ce qui a été écrit par l’illustre exégète dans son dictionnaire (pp. 211-212) et que Sodalitium n° 63 rapporte aux pages 47-48-49 ? Le doute est légitime, car au-delà des louanges de façade, de nombreuses opinions défendues explicitement par Mgr Spadafora sont maintenant taxées d’une note d’hérésie ou d’erreur par ledit bimensuel. Je ne veux pas dogmatiser toutes les opinions de Mgr Spadafora, mais il y a un abîme entre se dire en désaccord avec lui et affirmer que ses opinions sont contraires à l’enseignement de l’Église ou à l’infaillible consensus des Pères.

 

Mais, en paroles du moins, l’autorité de Pie XII est respectée. Ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne le Professeur Roberto De Mattei dans son Il Concilio Vaticano II. Una storia mai scritta. (Lindau, Turin, première édition de 2010) lequel non seulement, à la suite de Mgr Romeo et de Mgr Spadafora, critique comme il se doit les fausses interprétations du magistère de Pie XII ; mais ne se limitant pas même à être en désaccord avec les choix pratiques et disciplinaires du pontife (ce que l’historien catholique pourrait faire avec le respect qui se doit) porte sa dissension sur l’enseignement même du Pape, ce qui est inadmissible : “Le Père Bea - écrit De Mattei - ‘stratège’ de ce réductionnisme biblique, réussit à exercer un forte influence sur l’encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII (1943). Le document reprit énergiquement le principe selon lequel c’est uniquement au Magistère de l’Église que revient l’interprétation authentique de la Sainte Écriture, contre les exégètes postmodernistes qui, dans les années quarante, voulaient limiter l’inerrance divine aux vérités de foi et de morale, mais il identifia comme but principal de l’exégèse la détermination du sens littéral du texte. Cela signifiait l’abandon de l’exégèse patristique, théologique et spirituelle, au nom d’une exégèse historico-littéraire purement scientifique et rationnelle. L’encyclique coupait la route non seulement à l’herméneutique symbolique de la ‘nouvelle théologie’ affranchie du Magistère et de la théologie scolastique, mais aussi à cette exégèse traditionnelle qui ne renonçait pas à l’interprétation symbolique des Pères de l’Église. Ce n’est pas à tort que les progressistes virent un succès dans le document de Pie XII, qui pour être correctement compris, doit être lu à la lumière des encycliques Spiritus Paraclitus de Benoît XV et Humani generis du même Pape Pacelli” (op. cit., pp. 52-53). De Mattei, paradoxalement, donne tort à Mgr Romeo, qui revendique la conformité de l’encyclique avec l’enseignement de l’Église en la matière, et donne raison aux progressistes-modernistes (ce n’est pas à tort que les modernistes virent un succès dans le document de Pie XII) qui voyaient dans l’encyclique un tournant par rapport au magistère ecclésiastique précédent.

 

J’aimerais que les contradicteurs de Sodalitium n° 63 disent clairement (si si no no) s’ils sont d’accord avec ces lignes du professeur De Mattei selon lesquelles l’encyclique de Pie XII a abandonné l’exégèse patristique au nom d’une exégèse historico-littéraire purement scientifique et rationnelle et, s’ils ne sont pas d’accord, comment il se fait qu’ils ne l’aient pas dénoncé jusqu’à présent comme ils l’ont fait à plusieurs reprises pour moi-même. Enfin, le texte cité démontre de toute façon qu’existe dans le milieu “traditionaliste” un sérieux danger d’erreur à refuser le magistère de l’Église (auquel appartient l’encyclique de Pie XII) en matière d’exégèse.

 

Notes

1) Le théologien dominicain ne manque pas d'envoyer une flèche à des confrères (que j'ai connus, aimés et estimés) formés à la théologie de la Compagnie de Jésus. Or, tout bon thomiste sait que c'est à cette théologie que l'on doit, en bonne partie, cette tendance au volontarisme et au juridisme qui a frappé tant de catholiques par ailleurs excellents – religieux, séculiers et laïcs – avant Vatican II, bien que saint Ignace dans ses Exercices (que, chaque année, je pratique et donne aux fidèles) recommande la philosophie scolastique et la théologie thomiste. (abbé F. R.)

2) « Qu'ils n'oublient pas avant tout que, dans les règles et les lois portés par l'Église, il s'agit de la doctrine concernant la loi et les mœurs, tandis que dans l'immense matière contenue dans les Livres Saints, livres de la loi ou livres historiques, sapientiaux et prophétiques, il y a bien peu de textes dont le sens ait été défini par l'autorité de l'Église, et il n'y en a pas davantage sur lesquels existe le consentement unanime des Pères. Il reste donc beaucoup de points, et d'aucuns très importants, dans la discussion et l'explication desquels la pénétration d'esprit et le talent des exégètes catholiques peuvent et doivent s'exercer librement, afin que chacun contribue pour sa part et d'après ses moyens à l'utilité commune, au progrès croissant de la doctrine sacrée, à la défense et à l'honneur de l'Église. Cette vraie liberté des enfants de Dieu qui, gardant fidèlement la doctrine de l'Église, accueille avec reconnaissance, comme un don de Dieu, et met à profit tout l'apport de la science profane ; cette liberté, secondée et soutenue par la confiance de tous, est la condition et la source de tout réel succès et de tout solide progrès dans la science catholique, comme nous en avertit excellemment Notre Prédécesseur d'heureuse mémoire, Léon XIII… » (Pie XII, enc. Divino afflante Spiritu, EB n° 565 ; traduction française tirée de Actes Pont. ; Actes de S.S. Pie XII, tome V, pp. 246-247). « Le témoignage des saints Pères (…) a aussi une grande autorité toutes les fois qu'ils expliquent tous d'une seule et même manière un texte biblique, comme concernant la foi et les mœurs : car de leur accord il résulte clairement que selon la doctrine catholique, cette explication est venue telle, par tradition des apôtres. (…) Que l'interprète sache donc qu'il doit suivre leurs pas avec respect et jouir de leurs travaux par un choix intelligent. Il ne lui faut cependant pas croire que la route lui est fermée et qu'il ne peut pas, lorsqu'un motif raisonnable existe, aller plus loin dans ses recherches et dans ses explications. Cela lui est permis, pourvu qu'il suive religieusement le sage précepte donné par saint Augustin : “Ne s'écarter en rien du sens littéral et comme évident ; à moins qu'il n'ait quelque raison qui l'empêche de s'y attacher ou qui rende nécessaire de l'abandonner”. Cette règle doit être observée avec d'autant plus de fermeté, qu'au milieu d'une si grande ardeur d'innover et d'une telle liberté d'opinions, il existe un plus grave danger de se tromper ». (Léon XIII ; enc. Providentissimus Deus, Actes Pont., Actes de Léon XIII, tome IV, pp. 25-26).

3) Pour certains, au contraire, l'expression “infaillibilité du consensus unanime des Pères” est devenue une formule extrêmement utile pour présenter leurs propres légitimes mais discutables opinons personnelles comme des vérités de Foi (il suffit d'affirmer, sans démontrer, qu'elles sont des expressions du consensus unanime des Pères) et taxer d'hérétique qui ne pense pas comme eux (et surtout, qui ne leur est pas sympathique). Les Pères, et la vérité, méritent un tout autre respect.

4) Que le lecteur compare ce qu'affirme Mgr Spadafora avec ce qu'écrit à ce sujet Eugenio Corsini in Apocalisse prima e dopo, ed. SEI, Torino, 1980, pp. 32-34 au petit chapitre “Apocalisse e profezia”.

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