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Spiritualité

 Par Monsieur l'abbé Guiseppe Murro

Note : cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°40

La Sainte Vierge est la Mère de Dieu, elle est l’Immaculée Conception, elle est la Corédemptrice et la Médiatrice entre les hommes et Dieu, elle est la Reine du Ciel et de la terre. Elle est unie à chacune des Personnes de la Trinité comme aucune autre créature. L’Église, les Saints, les Docteurs, les Théologiens, les prédicateurs, les auteurs ecclésiastiques, ont attribué des louanges innombrables à la Sainte Vierge. Que reste-t-il encore à dire ? Tant et tant de choses. Parce que, comme dit St Alphonse qui fait siennes les paroles de l’abbé Francon, “l’éloge de Marie est une fontaine inépuisable ; plus elle s’étend, plus elle se remplit ; et plus elle se remplit, plus elle s’élargit encore. Ce qui revient à dire que cette bienheureuse Vierge est tellement grande et sublime, que plus on lui décerne de louanges, plus il en reste à lui décerner” (1).

 

En outre il faut constater avec regret que la très Sainte Vierge n’est pas vraiment connue telle qu’elle est, même des catholiques. Même en vivant à une époque où tous sont instruits, il y a, en réalité, beaucoup d’ignorance au sujet de la Sainte Vierge, au point que les mots de St Louis Grignon de Montfort, écrits il y a presque trois siècles, sont malheureusement encore d’actualité : “… Marie a été inconnue jusques ici, et c’est une des raisons pourquoi Jésus-Christ n’est point connu comme Il doit être. Si donc, comme il est certain, la connaissance et le règne de Jésus-Christ arrivent dans le monde, ce ne sera qu’une suite nécessaire de la connaissance et du règne de la très Sainte Vierge Marie, qui l’a mis au monde la première fois, et le fera éclater la seconde” (2). Si nous voulons que Notre-Seigneur règne dans les cœurs et dans les institutions, commençons par connaître et par aimer la Sainte Vierge.

Pourquoi Marie nous aime

Nous savons que la Sainte Vierge est la Mère de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Peut-être ignorons-nous qu’elle en est plus proche que tout autre créature. Elle l’était quand elle vivait sur la terre, elle l’est à plus forte raison maintenant, qu’ils sont ensemble au Paradis. Cela veut dire que personne comme elle ne reflète les pensées, les sentiments, les désirs de Jésus. Notre-Seigneur est venu sur terre par amour pour nous, a souffert et est mort pour mériter notre salut ; la Sainte Vierge nous aime elle aussi et a souffert des douleurs atroces afin que nous ne nous ne soyons pas perdus.

 

Pourquoi la Sainte Vierge a-t-elle fait et continue-t-elle à faire cela pour nous ? Certes elle n’a pas la mentalité égoïste de l’homme moderne, qui devant une épreuve quelconque se dit souvent à lui-même : “mais qu’est-ce que ça me rapportera” ? Non, la Sainte Vierge a compris que la créature trouve sa perfection en imitant le Créateur : le Seigneur est essentiellement Charité, et charité veut dire vouloir le bien des autres et non seulement le sien, même quand cela comporte un sacrifice.

 

Et puisque cette vertu consiste dans le fait d’aimer Dieu par dessus toute chose et le prochain comme soi-même, personne comme la Sainte Vierge n’a su réaliser ces deux préceptes. Elle a aimé tous les hommes quand elle vivait sur terre, et elle continue à les aimer même maintenant qu’elle est au Ciel. En effet tous ceux qui aiment Dieu, ne peuvent pas ne pas aimer le prochain : qui dit aimer Dieu et non le prochain, en réalité n’aime pas non plus Dieu (3).

 

Que Notre-Seigneur n’a t-Il pas fait par amour du prochain ? Sa vie et sa Passion sont un enseignement éloquent. Qu’ont fait les Saints? A commencer par les Apôtres qui ont parcouru le monde entier pour porter la bonne nouvelle à tous les peuples, sans hésiter pas même devant le danger de mort. St Camille de Lellis n’épargnait pas les fatigues pour les malades, même pour ceux rejetés par les autres ; St Vincent de Paul ne pouvait rester indifférent en voyant toutes sortes de misères, matérielles et spirituelles ; St François de Sales chaque jour risquait sa vie en marchant à quatre pattes sur une poutre gelée pour traverser un fleuve, en allant prêcher aux hérétiques ; St Joseph Cottolengo ne se laissait pas arrêter par les dettes, pourvu qu’il puisse procurer le nécessaire aux incurables. Et si chaque Saint a brillé par une vertu en particulier, tous ont pratiqué la charité jusqu’à l’héroïsme.

 

A plus forte raison la très Sainte Vierge a eu et a encore un amour très grand envers les hommes comme aucun autre saint. Si nous considérons l’amour d’une mère envers ses enfants, d’une épouse ou d’un époux envers son conjoint, ce n’est qu’une pâle idée de celui qu’elle a pour nous : parce qu’en elle l’amour est mû par la charité envers Dieu, charité qui dépasse celle de toutes les créatures, même de celles qui sur la terre nous sont le plus proche.

 

En second lieu, la Ste Vierge nous aime parce que nous lui avons coûté une si grande douleur, comme les mères aiment plus les enfants pour lesquels elles ont beaucoup souffert. Nous sommes comme des enfants pour lesquels Marie, pour obtenir la vie de la grâce, a dû souffrir des peines comme aucune autre créature, durant toute la vie et en particulier durant la Passion de Jésus. A Ste Brigitte fut révélé que comme la rose croît parmi les épines, ainsi la Mère de Dieu à mesure qu’elle avançait dans la vie, était de plus en plus déchirée par les épines de ses afflictions (4). Elle arriva au point d’offrir la vie de son Fils, qu’elle aimait plus qu’elle-même, jusqu’à Le voir mourir sous ses yeux au milieu des souffrances et des tourments, pour nous mériter le salut. Ainsi dit St Bonaventure, paraphrasant St Jean (5) : Marie nous a tant aimés qu’elle nous a donné son Fils unique. Elle nous L’a donné quand elle consentit à Sa venue sur terre, mais surtout quand Il commença Sa Passion : à ce moment elle aurait pu intervenir, implorer la pitié de Pilate, proclamer l’innocence de Jésus. Facilement elle aurait pu plier par sa charité et sa douceur les cœurs de ceux qui voulaient Le condamner. Au contraire elle ne voulut même pas prononcer une parole en faveur de son Fils, afin de ne pas s’opposer à Sa mort d’où dépendait notre salut (6).

 

La Sainte Vierge nous a aimés particulièrement à chaque instant des trois heures durant lesquelles Notre-Seigneur fut suspendu à la Croix. Sur le Calvaire elle ne fit que sacrifier pour nous la vie de son Fils, “et, disent St Anselme et St Antonin, telle était sa magnanimité que, si les bourreaux avaient fait défaut, elle eût elle-même attaché Son Fils à la croix, pour obéir à la volonté du Père qui exigeait cette mort pour notre rédemption. Cette force d’âme, d’être disposé à sacrifier un fils de ses propres mains, Abraham en donna bien l’exemple ; nous devons croire que Marie l’aurait donné aussi, et avec plus de générosité encore, elle si supérieure à Abraham en sainteté et en obéissance” (7).

 

La Sainte Vierge nous aime non seulement parce que nous lui avons coûté une si grande douleur, mais aussi parce que nous avons coûté autant à Notre-Seigneur. Si une mère voit avec tant de peine que son fils a souffert pour sauver un ami, n’aura-t-elle peut-être pas elle aussi amour et affection envers cet ami ? Notre-Seigneur est venu sur la terre pour nous, afin que d’ennemis que nous étions de Dieu nous retrouvions la grâce et devenions ses amis et ses frères. Si Jésus nous a tant estimés jusqu’à souffrir et mourir pour nous, Sa Mère aussi nous aime profondément : personne comme Elle n’a compris l’amour et la souffrance subie par Jésus.

 

Enfin la Tradition nous rapporte que Marie dès l’enfance fut consacrée par ses parents à Dieu et vécut au Temple de Jérusalem : “Il fut révélé à Ste Elisabeth, religieuse, que la Sainte Vierge, dès son entrée au temple, faisait sa grande occupation de prier pour nous, pressant le Seigneur d’envoyer Son Fils sauver le monde” (8). Même si elle ne savait pas encore tout ce qui arriverait, depuis son âge le plus tendre elle était remplie d’amour pour les hommes.

 

Peut-être que tout cela nous étonne. Et pourtant la raison profonde de cette charité de la Sainte Vierge envers nous est simple : elle avait été remplie de grâce depuis sa conception, elle n’avait jamais commis aucun péché et donc l’amour envers Dieu et envers le prochain ne fit qu’augmenter chaque jour de sa vie. En désirant le bien du prochain, elle voyait que la chose la plus importante pour les hommes est le salut de leur âme : leur âme perdue, toute leur vie est perdue. Alors la Sainte Vierge ne recula devant aucun sacrifice pour nous éviter l’Enfer : qui jamais nous a aimés avec autant de constance et aussi profondément qu’elle, à l’exception de Dieu ?

 

Tous les hommes sont aimés de Marie. St Jean voit dans l’Apocalypse la Sainte Vierge revêtue du soleil (9) : en effet comme personne sur la terre ne peut se cacher à la lumière du soleil, ainsi sur la terre il n’y a personne qui soit privé de l’amour de la Sainte Vierge.

 

Une femme qui habitait aux environs de Paris, le jour de la Nativité de la Sainte Vierge se mit à carder de la laine. Une de ses voisines lui en fit des reproches, mais ajoutant faute sur faute, elle répondit : “Quel mal ai-je fait ? Marie n’était-elle pas aussi une femme qui travaillait comme moi” ? A peine eût-elle fini de prononcer ces paroles, que le peigne qu’elle tenait à la main s’y attacha de telle manière qu’il ne fut plus possible de le détacher, de sorte qu’elle portait nuit et jour la marque et la peine de son péché. Lorsque arriva la fête de Ste Geneviève, protectrice de Paris, cette malheureuse se rendit à son église et supplia la Sainte de lui obtenir de Marie le pardon de son péché. Tandis qu’elle priait, le peigne se détacha spontanément de sa main et tomba à terre : on le suspendit au mur de l’église pour conserver la mémoire de ce prodigieux événement afin que tous ceux qui étaient présents fussent instruits et du châtiment miraculeux et de la prompte miséricorde de Marie (10).

Notre amour envers la très Sainte Vierge

Si la Sainte Vierge est aussi bonne avec tous, même avec ceux qui sont ingrats et négligents, combien plus le sera-t-elle avec ceux qui l’aiment. “Sans doute, notre très aimante Souveraine embrasse dans son affection toute l’humanité dont elle est la Mère ; cependant, remarque St Bernard, elle sait discerner et préférer une âme qui la chérit plus tendrement et lui répondre par sa prédilection. Heureuses ces âmes… la divine Mère les assure non seulement de son amour, mais aussi de ses services” (11). En effet si quelqu’un est paresseux ou sourd aux inspirations de Marie, elle ne pourra pas l’aider comme elle voudrait, au contraire son action sera entravée justement par celui qu’elle veut secourir. Quand au contraire nous l’aimons, la Sainte Vierge pour ainsi dire rivalise d’efforts avec nous dans l’amour.

 

St Louis de Montfort applique à la Sainte Vierge les paroles de la Sagesse : “J’aime ceux qui m’aiment” (Prov., VIII, 17) et explique qu’elle “aime toujours ceux qui l’aiment, non seulement d’un amour affectif, mais d’un amour effectif et efficace, en les empêchant… de reculer dans la vertu ou de tomber dans le chemin, en perdant la grâce de son Fils” (12). Une fois Ste Gertrude demanda à la Sainte Vierge, qui lui était apparue, d’intercéder auprès du Seigneur en faveur de sa Communauté ; et tout de suite après la Sainte entendit Jésus dire : “Je suis prêt à exaucer tous vos désirs” (13).

 

Nous ne devons pas craindre de l’aimer : elle-même nous prépare toutes sortes de biens, plus que nous ne l’imaginons. St Jean Berchmans devint saint après cinq années seulement de vie religieuse renouvelant chaque jour ce propos : “Je veux aimer Marie”. En effet, disait-il, si j’aime Marie je suis sûr de la persévérance, et j’obtiendrai de Dieu ce que je veux, et la dernière recommandation qu’il donna avant de mourir fut la dévotion à la Sainte Vierge (14). Beaucoup en voyant la bonté de Marie et en reconnaissant d’un autre côté leurs fautes, prient le Seigneur de leur accorder les grâces qu’Elle demande pour eux. C’est ce qu’implora le frère jésuite Nicolas Ratkai à St Jean Berchmans, sur le point de mourir : qu’il lui obtînt de la Sainte Vierge les grâces qui lui étaient nécessaires.

 

Enfin Marie ne se laisse pas vaincre en générosité. On arrivera jamais à aimer Marie autant qu’elle nous aime : “Je sais, ô Notre-Dame, - dit St Pierre Damien - que vous êtes souverainement bonne, et que vous nous aimez d’un amour qui ne se laisse point vaincre” (15). “Pour peu qu’on lui donne, elle donne beaucoup de ce qu’elle a reçu de Dieu. Et, par conséquent, si une âme se donne à elle sans réserve, elle se donne à cette âme sans réserve, si on met toute sa confiance en elle sans présomption” (16). Le Bienheureux Marien, abbé, dévot de la Sainte Vierge dont il portait le nom, composait des œuvres en son honneur. Une fois qu’il écrivait pendant la nuit, la lampe se consuma par négligence du domestique. Mais Marien ne suspendit point pour cela son travail : le ciel lui envoya une lumière miraculeuse, Dieu permit que trois doigts de sa main droite devinssent si resplendissants de sorte qu’il put continuer à écrire. Cependant le domestique se ressouvint qu’il n’avait pas fourni à Marien la lumière nécessaire : il se leva aussitôt, alla doucement à la cellule de l’abbé, et, par la fente de la porte, regarda s’il travaillait encore. Quel ne fut pas son étonnement de voir que les trois doigts de l’abbé illuminaient comme trois flambeaux ! Saisi de frayeur, il retourna à sa chambre. Le bruit de cette merveille se répandit ensuite parmi le peuple et le clergé de Ratisbonne, où elle fit augmenter la réputation du Saint et la dévotion envers Marie (17).

 

Aimons donc Marie : parmi les créatures, elle est celle qui nous aime le plus et celle que nous devons aimer plus qu’aucune autre.

 

“Je ne laisserai pas de paix à mon âme, tant que je n’aurai pas la certitude d’avoir obtenu l’amour, mais un amour tendre et constant, envers vous, ô ma Mère, qui m’avez poursuivi de votre tendresse, alors que je n’avais pour vous que de l’ingratitude. Ah ! qu’en serait-il de moi aujourd’hui, si vous, ô Marie, ne m’aviez pas aimé et comblé de miséricordes ! Mais si vous m’avez tant aimé alors que je ne vous aimais pas, que ne dois-je pas attendre de votre bonté, maintenant que je vous aime ? Car je vous aime, ô ma Mère, et je voudrais avoir un cœur qui vous aimât pour tous les malheureux qui ne vous aiment pas… Je vous aime donc, mais, en même temps, je crains de ne pas vous aimer, car j’entends dire que l’amour nous trouve ou nous rend semblable à la personne aimée. Puis donc que je me vois si différent de vous, serait-ce un signe que je ne vous aime pas ? Vous si pure, et moi si souillé ! Vous si humble, et moi si orgueilleux ! Vous si sainte, et moi si mauvais ! Mais voici précisément ce que vous avez à faire, ô Marie : puisque vous m’aimez, rendez-moi semblable à vous. Vous possédez tout pouvoir pour changer les cœurs : prenez donc le mien, et changez-le. Montrez au monde de quoi vous êtes capable en faveur de ceux que vous aimez. Rendez-moi saint, rendez-moi votre digne enfant. Telle est mon espérance. Ainsi soit-il” (18).

Notes et références

1) ST ALPHONSE MARIE DE LIGUORI, Les gloires de Marie, Ed. St Paul 1987, Ière partie, Introduction, p. XI.

2) ST LOUIS GRIGNON DE MONTFORT, Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, Pères Montfortains, Louvain 196O, n° 13, p. 21.

3) C’est l’enseignement de Dieu Lui-même : «Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas? De plus nous avons ce commandement de Dieu “que celui qui aime Dieu, aime aussi son frère”». I Jn IV, 20-21.

4) ST ALPHONSE op. cit., IIème partie, disc. IX p. 330.5) Jn III, 16: Dieu a tellement aimé le monde qu’Il a donné Son fils unique.

6) ST ALPHONSE, op. cit., vol. I, p. 23.

7) ST ALPHONSE, op. cit., p. 23.

8) ST ALPHONSE, op. cit., p. 24.

9) Apoc. XII, 1.

10) MUZZARELLI, L’année consacrée à Marie, T. I, Avignon 1845: 3 janvier, p. 17.

11) ST ALPHONSE, op. cit., p. 25.

12) MONTFORT, op. cit., n° 175, p. 168.

13) STE GERTRUDE, Le rivelazioni, Cantagalli, Sienne 1979, l. IV, c. 51, p. 194.

14) P. CEPARI, S.J, St Jean Berchmans, Desclée, Lille 1893, pp. 108, 109, 129.

15) ST ALPHONSE, op. cit., p. 28.

16) MONTFORT, op. cit., n° 181, p. 172.

17) MUZZARELLI, op. cit., 9 février, pp. 77-78.

18) ST ALPHONSE, op. cit., pp. 30-31.

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