top of page

Spiritualité

 Par Monsieur l'Abbé Ugolino Giugni

Note : Cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°41

Tout homme, tout chrétien, doit tendre à la perfection puisque le temps qu’il passe sur terre est un temps d’épreuve qui doit servir à lui préparer (s’il a fait le bien ici-bas) la vie éternelle au Paradis. Pour pouvoir obtenir cette récompense, l’homme doit se sanctifier et corriger les défauts de son âme, puisque l’apôtre St Paul nous enseigne que : “...La volonté de Dieu, c’est votre sanctification” (I Thess. IV, 3). Tout de suite se pose alors le problème : en quoi consiste la sainteté, comment se sanctifier et atteindre cette perfection facilement et rapidement ?

 

Certains feront consister la sainteté dans les mortifications et les pénitences, d’autres dans de nombreuses prières, d’autres dans des œuvres de charité et aumônes envers le prochain. Toutes ces choses sont certainement bonnes et louables (1) et plaisent à Dieu ; mais la sainteté ne se trouve pas essentiellement en elles. Elle est au-dessus de toutes ces choses et elle s’y trouve si elles sont conformes à la volonté de Dieu. Dieu abhorre au contraire ces mêmes bonnes œuvres, si elles ne sont pas selon sa sainte volonté. La perfection, donc, consiste dans le fait d’aimer Dieu puisque “la charité est le lien de la perfection” (Col. III, 14), mais la perfection de la charité (c’est-à-dire de l’amour de Dieu) consiste à unir la nôtre à sa très sainte volonté. C’est pourquoi St Alphonse Marie de Liguori dit : “plus une âme sera unie à la divine volonté, plus grand sera son amour” et encore : “toute la sainteté consiste à aimer Dieu, et tout l’amour de Dieu consiste à faire sa volonté”.

 

L’exemple de Jésus, notre modèle

Dieu le Père nous a donné Son Fils Unique : Jésus-Christ incarné, afin qu’Il soit “pour nous sagesse, justice, sanctification et rédemption” (I Cor. I, 30); en Lui nous trouvons la plénitude de la grâce et un modèle sûr à suivre (en tant qu’Il est homme comme nous). Voyons donc ce qu’Il a fait pour pouvoir L’imiter. A chaque moment de Sa vie terrestre Jésus fit toujours la divine volonté de son Père ; étant descendu du ciel pour Lui obéir, voici comment Il retourne à Lui : “c’est pourquoi, en entrant dans le monde, Il dit : ‘Vous n’avez pas voulu d’hostie ni d’oblation, mais vous m’avez formé un corps. Les holocaustes pour le péché ne vous ont pas plu : alors j’ai dit : Me voici ; je viens (…) pour faire, ô Dieu, votre volonté” (Hebr. X, 5-8). Et parlant avec les Apôtres, pour leur donner et pour nous donner l’exemple, Il dit : “Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé” (Jn VI, 38); “Il faut que je sois aux choses qui regardent mon Père” (Lc II, 49); “Je fais toujours ce qui Lui plaît” (Jn VIII, 29); “Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé, et d’accomplir son œuvre” (Jn IV, 34).

 

Jésus dit aux Apôtres au Cénacle, avant d’aller à la rencontre de Ses ennemis et à la mort : “Afin que le monde connaisse que j’aime mon Père, et que comme mon Père m’a commandé, ainsi je fais. Levez-vous, sortons d’ici” (Jn XIV, 31) et l’exactitude avec laquelle Il obéissait à la volonté du Père, jusqu’à mourir en croix pour le salut des hommes, était la preuve de l’amour que le Fils portait au Père. Cette parfaite charité et soumission à la volonté de Dieu se manifesta en outre à un degré élevé au moment culminant de l’épreuve, au Jardin des Oliviers, durant l’agonie : “Abba Père, tout vous est possible. Éloignez de moi ce calice ; toutefois non ce que je veux mais ce que Vous voulez” (Mc XIV, 36); Il pria ainsi trois fois : “Mon Père, si vous le voulez, éloignez ce calice de moi ; cependant que ma volonté, ne se fasse pas mais la vôtre” (Lc XXII, 42). Jésus affirma, toujours dans l’Évangile, que “quiconque fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, celui-là est mon frère et ma sœur et ma mère” (Matth. XII, 50). Et en nous enseignant à prier dans le Pater Noster, Il a voulu que nous demandions au Père : “Que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel” (Matth. VI, 10).

 

La volonté du Père fut donc pour Jésus « “principe, fin, raison, lumière, appui, demeure, aliment, récompense, cette volonté divine lui est tout. Il s’y pose donc, Il s’y réduit, Il s’y enferme ; et faisant plus tard tant de choses, des choses si relevées, si inouïes, si surhumaines, Il ne fera jamais que cette chose très simple, en laquelle nos petits enfants sont capables de L’imiter ; Il fera la volonté du Père céleste ; Il s’y livrera sans réserve et y vivra tout abandonné”. Cette obéissance et cet abandon ont leur source dans son amour pour Son Père ; c’est une plénitude d’abandon, parce que c’est une plénitude d’amour : amour filial, confiant, désintéressé, généreux, sans réserve ; amour débordant de reconnaissance pour tous les biens qu’Il a reçus dans Sa sainte Humanité… » (2).

 

L’Apôtre des Gentils fait remarquer que Jésus pour exécuter la volonté du Père “s’est humilié Lui-même, s’étant fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu L’a exalté, et Lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ; afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse…” (Phil. II, 8-9); de la même manière nous serons récompensés nous aussi si nous avons fait la volonté du Père. C’est ainsi qu’agissait la très Sainte Vierge Marie : “Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole” (Lc I, 38), et tous les saints ont suivi l’exemple de Jésus et de Marie.

 

Jésus-Christ, notre Sauveur est donc descendu du ciel et est venu sur terre, pour accomplir la sainte volonté du Père, et ce fut sa principale préoccupation durant Sa vie. Puisqu’Il est notre modèle, en faisant nous aussi à tout moment la volonté de Dieu, nous aurons une règle sûre pour tendre (et arriver) à la perfection.

 

Ce qu'est la volonté de Dieu

Dieu, être très parfait, pur esprit, a une volonté, qui bien qu’en étant très simple en elle-même, se manifeste de manière différente, en relation avec les créatures, comme dit l’Apôtre : “afin de discerner quelle est la volonté de Dieu” (Rom. XII, 2). Les théologiens ont coutume de distinguer la volonté absolue, quand Dieu veut quelque chose sans aucune condition (comme la création du monde) et la volonté conditionnée, quand Dieu veut avec une condition (comme le salut du pécheur s’il fait pénitence de ses péchés). On distingue encore la volonté antécédente, qui concerne une chose en elle-même ou absolument considérée (comme le salut de tous les hommes en général), et la volonté conséquente, concernant une chose revêtue de toutes les circonstances particulières et concrètes (comme par exemple la damnation d’un pécheur qui meurt impénitent).

 

Mais la distinction qui nous intéresse davantage, pour la suite de notre article, est celle entre volonté de signe et volonté de bon plaisir. « Par volonté divine signifiée (ou volonté de signe) on entend certains signes de la volonté de Dieu, comme les commandements, les interdictions, l’esprit des conseils évangéliques, les événements voulus ou permis par Dieu. La volonté divine signifiée de cette manière, spécialement celle qui se manifeste dans les préceptes, appartient au domaine de l’obéissance (3). C’est à elle que nous nous référons, selon St Thomas (I q. 19 a. 11) quand nous disons dans le Notre Père : Fiat voluntas tua. Par volonté divine de bon plaisir on entend l’acte intérieur de la volonté de Dieu non encore manifesté ni connu. D’elle dépend l’avenir encore incertain pour nous : les succès futurs, les joies et les épreuves de courte ou de longue durée, l’heure et les circonstances de notre mort, etc. (…) La volonté de bon plaisir appartient au domaine de l’abandon dans les mains de Dieu » (4).

 

Fondement de l'obéissance à la volonté de Dieu

Quels sont les principes théologiques sur lesquels on doit appuyer cette soumission illimitée et cette conformité à la volonté de Dieu ? Selon le Père Garrigou-Lagrange, o.p., ce sont les suivants :

 

« 1) Rien n’arrive que Dieu ne l’ait prévu de toute éternité et qu’Il ne l’ait voulu ou du moins permis.

 

2) Dieu ne peut rien vouloir et rien permettre qu’en vue de la fin qu’Il s’est proposée en créant, c’est-à-dire qu’en vue de la manifestation de Sa bonté, de Ses perfections infinies, et en vue de la gloire de l’Homme-Dieu, Jésus-Christ, Son Fils Unique (I Cor. III, 23).

 

3) Nous savons que “toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son éternel dessein” (Rom. VIII, 28) et qui persévèrent dans son amour.

 

4) Cet abandon ne nous dispense pas évidemment de faire ce qui est en notre pouvoir pour accomplir la volonté de Dieu signifiée par les préceptes, les conseils, les événements ; mais quand nous avons loyalement voulu l’accomplir au jour le jour, nous pouvons et devons nous abandonner pour le reste à la volonté divine de bon plaisir, si mystérieuse soit-elle, et éviter l’inquiétude vaine et l’agitation » (5).

 

« La volonté signifiée comprend donc (...) quatre choses : 1) les commandements de Dieu et de l’Église ; 2) les conseils évangéliques ; 3) les inspirations de la grâce ; 4) pour les communautés religieuses, les constitutions et les règles. Dieu étant notre Souverain Maître, a le droit de nous commander ; et comme Il est infiniment sage et bon, Il ne nous commande rien qui ne soit à la fois utile à Sa gloire et à notre bonheur ; nous devons donc, en toute simplicité et docilité, nous soumettre à Ses lois, loi naturelle ou loi divine positive, loi ecclésiastique ou loi civile juste ; car, comme le dit St Paul, toute autorité légitime vient de Dieu, et obéir aux Supérieurs qui commandent dans les limites de l’autorité qui leur a été départie, c’est obéir à Dieu, comme leur résister, c’est résister à Dieu même. (…) Ajoutons que les devoirs d’état rentrent dans la catégorie des commandements : ce sont comme des préceptes particuliers qui incombent aux chrétiens en raison de la vocation spéciale et des fonctions que le Bon Dieu nous assigne » (6).

 

C’est pourquoi la soumission et l’obéissance à Dieu se manifestent dans la conformité à la volonté signifiée et à celle de bon plaisir.

 

La volonté signifiée

La conformité à la volonté signifiée de Dieu consiste à vouloir tout ce que Dieu nous signifie être son intention. St François de Sales dit : “La doctrine chrétienne nous propose clairement les vérités que Dieu veut que nous croyions, les biens qu’il veut que nous espérions, les peines qu’Il veut que nous craignions, ce qu’Il veut que nous aimions, les commandements qu’Il veut que nous fassions et les conseils qu’Il désire que nous suivions : et tout cela s’appelle la volonté signifiée de Dieu, parce qu’Il nous a signifié et manifesté qu’Il veut et entend que tout cela soit cru, espéré, craint, aimé et pratiqué. (…)

 

La conformité donc de notre cœur à la volonté signifiée de Dieu consiste en ce que nous voulions tout ce que la divine Bonté nous signifie être de son intention, croyant selon sa doctrine, espérant selon ses promesses, craignant selon ses menaces, aimant et vivant selon ses ordonnances et avertissements” (7). En outre « je dois agir et exercer mes facultés dans l’exécution des ordres et des désirs de mon Seigneur ; je dois marcher dans la voie qui m’est tracée (…) par les trois groupes de facultés qui sont en moi. Je puis connaître, aimer, exécuter (…). Si je dois connaître ma fin, je dois aussi connaître ma voie ; si je dois aimer mon but, je dois aussi en aimer le chemin ; si je dois chercher le sommet, je dois aussi suivre les sentiers qui y conduisent. La gloire de Dieu est mon but, sa volonté est ma voie. Or la gloire de Dieu, qui est ma fin, demande à mon intelligence de la connaître ; à ma volonté, de s’y attacher ; à mon action, de la rechercher. Cette triple obligation s’impose de la même manière pour la volonté de Dieu. Mon intelligence doit la connaître ; ma volonté, la respecter et l’aimer ; mon action, l’exécuter. La vue, l’amour et la recherche de la gloire de Dieu constituent l’essence de la piété ; la vue, l’amour et l’exécution de Sa volonté en sont la voie.

 

Je dois d’abord connaître la volonté de Dieu, si je veux la suivre, ne pas marcher dans les ténèbres, et ne pas m’exposer à manquer de prudence et de sagesse. La connaissance est ici encore, la première condition du bien. Je dois prier et demander au Maître qu’Il me remplisse de la connaissance de Sa volonté en toute sagesse et intelligence spirituelle, afin qu’ainsi je puisse marcher d’une manière digne de Dieu, Lui plaire en toutes choses (…). Il faut que, “comme les yeux des serviteurs sont fixés sur les mains de leurs maîtres, ceux de la servante sur les mains de sa maîtresse, ainsi mes yeux soient fixés sur le Seigneur mon Dieu” (Ps. 122, 2) » (8).

 

Si cela est la volonté signifiée de Dieu on ne peut se sanctifier sans observer les commandements et les devoirs d’état (qui sont la règle morale de nos actions). Plus fidèlement et plus chrétiennement nous observons les lois de Dieu et plus nous nous approchons de Lui, puisque la loi est l’expression de Sa volonté (“Celui qui a mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime”, Jn XIV, 21).

 

« Il faut ici particulièrement noter ce qui est dit dans l’Évangile de St Luc (XVI, 10): “Celui qui est fidèle dans les petites choses est fidèle aussi dans les grandes”; si nous faisons chaque jour le possible pour être fidèle au Seigneur dans les choses ordinaires de la vie, ayons confiance qu’Il nous accordera la grâce pour Lui être fidèle dans les circonstances extrêmes, s’Il permet que nous y soyons placés ; ayons confiance qu’Il nous donnera la grâce de mourir héroïquement plutôt que de rougir de Lui, et de Le trahir, si un jour ou l’autre nous avons à souffrir pour Lui.

 

(…) Ces principes sont sur ce point acceptés comme l’expression de la foi chrétienne. On trouve ainsi l’équilibre au-dessus des deux erreurs (…). Par la fidélité au devoir de minute en minute on évite la fausse et paresseuse quiétude des quiétistes, et par l’abandon confiant on échappe à l’inquiétude vaine et à l’agitation stérile. Cet abandon serait paresse s’il ne supposait pas la fidélité quotidienne, qui est comme le tremplin pour s’élancer sûrement dans l’inconnu. Cette fidélité quotidienne à la volonté divine signifiée donne comme le droit de s’abandonner pleinement pour l’avenir à la volonté divine de bon plaisir non encore manifestée » (9).

 

C’est cela le premier pas nécessaire et indispensable sur la voie de la perfection, sans lequel entreprendre la voie de la conformité à la volonté de bon plaisir serait une vaine et dangereuse illusion. Et hélas « nulle part l’illusion n’est aussi fréquente et aussi funeste que sur le point de la volonté de Dieu. On a tant intérêt à ne pas trop la voir, ou à la voir juste assez pour tranquilliser sa conscience sans trop la surcharger !… Je suis si habitué à voir à travers le prisme de l’intérêt personnel et à accommoder mes obligations au gré de mes convenances ! Avant la volonté de mon Seigneur, j’interroge mon intérêt : il est là si près et si pressant ! (…) Il est toujours le premier objet qui se présente à mes yeux; et je ne passe pas facilement par-dessus, pour voir directement la volonté du Maître. Et quand mes yeux aperçoivent cette divine volonté à travers le prisme trompeur de ma sensualité, ma vue est faussée, les objets ne m’apparaissent plus tels qu’ils sont, je tombe dans l’illusion. Que de fois j’y tombe !… Mes reins sont remplis d’illusions (Ps. 37, 8); mes reins, c’est-à-dire ma sensualité. (…) Combien j’ai besoin, ô mon Dieu, de tenir mes reins serrés, afin que le réservoir ne déverse pas sa triste plénitude sur mon âme, et d’avoir à la main toujours allumée la lampe qui m’aidera à voir clair ! (Lc XII, 35)… Seigneur, faites que je voie ! (Lc XVIII, 41) » (10).

 

La volonté de bon plaisir

La conformité à la volonté de bon plaisir consiste à se soumettre à tous les événements et desseins que la divine Providence permet pour notre plus grand bien et surtout pour notre plus grande sanctification.

 

Si, comme nous l’avons vu, le fondement de cette obéissance réside dans le fait que rien n’arrive sans la permission de Dieu et que tout concourt au bien de ceux qui L’aiment, il s’ensuit que Dieu étant infiniment sage et infiniment bon, Il ne veut rien et ne permet rien que pour le bien des âmes, même quand nous n’arrivons pas à nous en rendre compte. Comme disait Tobie au milieu des afflictions et des reproches de sa femme : “Vous êtes juste, Seigneur, et tous vos jugements sont droits, et toutes vos voies sont miséricorde, vérité, et justice” (Tob. III, 2); et le saint homme Job : “Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu, pourquoi n’en recevrions-nous pas les maux?” (Job II, 10). C’est donc pour nous un devoir de nous soumettre à Dieu en tous les événements joyeux ou tristes, c’est un devoir d’obéissance et de justice puisqu’Il est notre Maître Suprême (Il est le Seigneur) qui a sur nous toute autorité ; c’est un devoir de sagesse parce que ce serait folie de vouloir se soustraire à l’action de la Providence tandis que c’est justement dans l’humble résignation que nous trouverons la paix; c’est encore dans notre intérêt puisque la volonté de Dieu nous met à l’épreuve afin que nous nous exercions dans la vertu en acquérant des mérites, et c’est enfin manifestation d’amour puisque le véritable amour est dans le don de soi jusqu’à l’immolation (comme Jésus a fait pour nous !).

 

Selon une expression de St François de Sales, si dans la volonté signifiée “Dieu veut que je fasse mes petits pas”, maintenant dans la volonté de bon plaisir « “Dieu me porte entre ses bras”; ce sont les paroles mêmes de la Sainte Écriture : “Vous serez portés sur le sein, caressés sur les genoux. Comme la mère caresse son enfant, ainsi moi je vous consolerai”. “Est-ce que la mère peut oublier son enfant, négliger le fruit de ses entrailles ? Et quand elle l’oublierait, moi cependant je ne vous oublierai point” (Is. LXVI, 12). Pourrait-Il me représenter sous une image plus expressive l’amoureuse tendresse de Sa volonté toute entière dévouée à ma sanctification ? Et que d’autres images encore Il multiplie en Ses témoignages sacrés, pour m’amener à sentir la sollicitude qu’Il a de moi ! Celle des petits moineaux, dont cinq ne valent pas plus de deux oboles, et dont pas un néanmoins n’est en oubli devant Lui. Que peut donc craindre une âme qui vaut plus qu’une quantité de passereaux? (Lc XII, 6-7). Celle de la poule, qui rassemble ses poussins sous ses ailes (Matth. XXIII, 37). Celle du pasteur, qui prodigue ses attentions et sa vie même pour ses brebis (Jn X, 11). Les reproches, plaintes et menaces contre les prévarications du crime, qui sont encore une manifestation de Sa sollicitude, sont à peine plus réitérés dans les saintes Lettres que ces attestations de Ses soucis de bonté paternelle envers Ses enfants. Et combien cependant les infidélités et résistances à son action sont plus multipliées que la soumission et la fidélité, même en ceux qui sont les privilégiés de ses tendresses ! (…) Sa Providence, gouvernant les mondes et les atomes, fait entrer en contact avec ma vie des multitudes innombrables d’êtres, de mouvements et d’influences dont je soupçonne à peine l’ordonnance ; et en tous est présente, par tous est opérante Son action sur moi. (…) Il ne peut y être que Sa volonté et la mienne sur ma vie ; en ce qui m’intéresse, toutes les autres volontés dépendent de la Sienne… Il ne périra pas un cheveu de votre tête ; car les cheveux de votre tête sont tous comptés (Matth. X, 30; Lc XXI, 18). Les cheveux: ce qu’il y a de plus accessoire comme élément du corps ; leur nombre : ce qu’il y a de plus insignifiant comme organisation ; la chute d’un seul : ce qu’il y a de plus inaperçu comme événement ! Et voilà cependant jusqu’où va le souci de mon Père des cieux. Quel peut donc être l’objet, l’agencement ou le fait qui ne soit en Son attention ?

 

Et, merveille plus surprenante encore, avec quel art infini le jeu de Sa Sagesse unit le surnaturel au naturel, incorpore sa grâce jusque dans les faits de l’ordre temporel, prend les voies, choisit les moyens, saisit les moments ! Avec quelle délicatesse Il sait se conformer aux états d’âme… toucher au point, à l’instant et de la manière propices, avancer et multiplier Ses touches quand elles sont acceptées ; les varier, patienter, se retirer si elles sont rebutées, changer ses procédés, user de douceur ou de rigueur, etc!... Oh! que de merveilles à contempler, quand, là-haut, Il me découvrira les secrets ressorts de son action !… Ici-bas, Dieu manifeste très peu l’économie de Ses voies… L’opération qui dispose et conduit tout au bien des élus, les résultats de sanctification, ces profondeurs mystérieuses où Il voile à nos yeux la marche de Sa Sagesse, qu’en connaissons-nous ? (…) Si la pleine lumière est réservée au jour des grandes manifestations, il n’en est pas moins vrai cependant que Dieu tient à dévoiler dès à présent, suivant les nécessités de mon avancement, quelques-uns des mystères de Son action. Il veut que je les voie, pour que j’y corresponde. Et je puis les voir et je dois me rendre attentif à les reconnaître, dans la mesure où Il lui plaît de me les découvrir, et dans le dessein de conformer mon action à la Sienne » (11).

 

Que veut dire "se conformer à la volonté de Dieu" ?

Jusqu’à maintenant nous avons exposé le principe “il faut toujours faire la volonté de Dieu” en le renforçant par des fondements théologiques et par l’exemple de Jésus-Christ. Voyons maintenant en quoi consiste cette “conformité” à la volonté de Dieu.

 

“La conformité à la volonté de Dieu consiste en une amoureuse, entière et intime soumission et adhésion de notre volonté à celle de Dieu en tout ce qu’elle dispose ou permet. Quand elle est parfaite, elle est connue plutôt sous le nom de saint abandon à la volonté de Dieu. Dans ses manifestations imparfaites on a coutume de lui donner le nom de simple résignation chrétienne” (12).

 

Notre sanctification se réalisera si nous coopérons à l’action divine, comme dit le P. Lehodey: “Dès lors que Dieu travaille avec nous à notre sanctification, il faut qu’Il ait la direction de l’entreprise : rien ne devra se faire que suivant Ses plans, sous Ses ordres, et par le mouvement de Sa grâce. Il est le premier principe et la dernière fin ; nous sommes nés pour obéir à Ses volontés” (13).

 

St Alphonse de Liguori a des mots, comme d’habitude, beaux et simples à la fois, pour expliquer ce qu’est cette conformité à la volonté de Dieu : « La plus grande gloire que nous puissions procurer à Dieu, c’est d’accomplir Ses saints vouloirs. Notre Rédempteur, descendu ici-bas pour établir la gloire de Son Père, nous a donné, par Son exemple, cet enseignement, important entre tous. (…) En quoi nos œuvres servent-elles à la gloire de Dieu, si elles ne sont pas conformes à Son bon plaisir ? Ce ne sont pas des sacrifices que Dieu réclame, dit le Prophète à Saül, mais l’exécution de ses volontés : “Est-ce que le Seigneur se plaît aux holocaustes et aux victimes, et non pas plutôt dans l’obéissance à Sa voix? La résistance est comme le crime d’idolâtrie” (I Rois XV, 22-23). L’homme qui prétend suivre sa propre volonté sans s’occuper de celle de Dieu, commet une sorte d’idolâtrie, car, au lieu d’adorer la volonté divine, c’est la sienne, en quelque façon, qu’il adore. (…) Supposons deux serviteurs : l’un est en mouvement toute la journée, sans un moment de répit ; mais il n’en veut faire qu’à sa tête ; l’autre se donne moins de peine, mais obéit en tout. Lequel des deux plaira au maître ? Le second, assurément, et non le premier (…).

 

Ici-bas, pour apprendre à aimer le Bon Dieu, nous devons nous mettre à l’école des habitants du ciel. Leur pur et parfait amour pour Dieu ne fait qu’un avec leur parfaite union à la volonté de Dieu. Si Dieu donnait à entendre aux séraphins qu’Il veut les voir employer leur éternité à mettre en tas le sable des rivages de la mer, ou à sarcler les jardins, volontiers ils le feraient, et ils y trouveraient tout leur plaisir. Plus encore : que Dieu leur fît signe d’aller brûler dans le feu de l’enfer, immédiatement ils se précipiteraient dans cet abîme pour faire la volonté divine.

 

(…) Celui qui donne à Dieu sa volonté, Lui donne tout. Que, par les aumônes, on Lui donne son bien, par les flagellations son sang, par les jeûnes sa nourriture, on ne fait que Lui céder une partie de ce qu’on a; mais Lui donner sa volonté, c’est tout Lui donner. On a dès lors le droit de dire à Dieu : “Seigneur, je suis pauvre, mais je vous donne tout ce que je puis : ma volonté est à vous, je n’ai plus rien à vous offrir”.

 

Or, c’est là précisément ce ‘tout’ que, de chacun de nous, notre Dieu réclame : “Mon fils, donne-moi ton cœur” (Prv. XXIII, 26), c’est-à-dire ta volonté. Non, non, dit avec raison St Augustin : “nous ne pouvons faire à Dieu une offrande plus agréable”, plus chère à Son cœur, que de Lui dire : Possédez- nous ; nous vous abandonnons notre volonté : faites-nous savoir ce que vous attendez de nous, et nous l’exécuterons”.

 

Si donc nous voulons contenter pleinement le cœur de Dieu, arrivons à nous conformer en tout à la volonté de Dieu. Ou plutôt, nous conformer, ce n’est pas assez dire : il faut uniformer notre volonté, c’est-à-dire qu’il faut unir notre volonté à tout ce que Dieu dispose. La conformité implique cette idée que nous mettons d’accord notre volonté avec celle de Dieu. Mais l’uniformité va plus loin : elle signifie que, de la volonté de Dieu et de la nôtre, nous n’en fassions plus qu’une seule ; tant et si bien que nous ne voulons rien sinon ce que Dieu veut, et que le seul vouloir divin devient notre vouloir » (14).

 

La volonté de Dieu et l'indifférence ignatienne

Faire la volonté de Dieu en toute circonstance coïncide avec la disposition de “sainte indifférence” dont parle St Ignace de Loyola dans le “Principe et fondement” de ses “Exercices Spirituels”. Au n° 23 nous lisons : « …pour cela, il est nécessaire de nous rendre indifférents à l’égard de tous les objets créés, en tout ce qui est laissé au choix de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu ; en sorte que, de notre côté, nous ne voulions pas plus la santé que la maladie, les richesses que la pauvreté, l’honneur que le mépris, une longue vie qu’une vie courte, et ainsi de tout le reste, désirant et choisissant uniquement ce qui nous conduit plus sûrement à la fin pour laquelle nous sommes créés ». Cette indifférence se réfère aux choses qui ne tombent pas sous la volonté exprimée (c’est-à-dire signifiée) de Dieu, puisque “en tout ce qui est laissé au choix de notre libre arbitre” exclut l’observance des commandements que nous avons en tout état de cause le devoir moral d’observer ; il s’agit donc plutôt de la volonté de bon plaisir qui embrasse par disposition divine “ce qui nous conduit plus sûrement à la fin pour laquelle nous sommes créés”, c’est-à-dire accepter les desseins (la volonté) du Seigneur sur nous.

 

L’indifférence présuppose dans l’âme une intime persuasion du pouvoir et de l’amour de Dieu, la conviction que c’est de Sa part qu’elle devra attendre la solution de ses problèmes, et que l’amour de Dieu lui donnera la félicité. Elle est encore une disposition de la volonté, qui est bien déterminée à embrasser de toute façon ce qui conduit le mieux à la fin. Et ce qui conduit le mieux à la fin n’est-ce pas ces moyens que Dieu de toute éternité a préparés et qui sont l’expression de Sa volonté ?

 

“Il est évident, que si la volonté divine est la cause suprême de tout ce qui arrive, si elle est infiniment sainte, sage, puissante et aimable, plus ma volonté coïncidera avec celle de Dieu, plus Sa volonté sera sainte, puissante et aimable. De cette manière il ne pourra jamais nous arriver rien de mal, puisque les maux mêmes que Dieu permet dans notre vie, contribueront à notre plus grand bien si nous savons en profiter dans la forme prévue et voulue par Dieu. (…) Le but de la sainte indifférence est celui de pousser l’homme à se donner totalement à Dieu, en sortant de lui-même. Il ne s’agit pas d’un désintérêt stoïque et irrationnel en face de ce qui peut arriver, mais du moyen le plus efficace pour faire adhérer complètement notre volonté à celle de Dieu” (15).

 

Cette indifférence ignatienne se réfère uniquement à la partie supérieure de l’âme, c’est-à-dire à la volonté de l’homme, et ne peut exclure que la partie inférieure, c’est-à-dire l’inclination naturelle, ressente de la répugnance et accuse les coups de la disgrâce. On ne peut demander à la sensibilité de ne rien ressentir (être impassible) face à la douleur [comment n’importe qui n’aurait-il pas peur devant un lion féroce !] et de ne pas éprouver de la répugnance, mais il est nécessaire que la volonté soit disposée à accepter cette douleur comme venant de la main de Dieu malgré toutes les protestations de la sensibilité. Ce fut l’exemple que nous donna Notre-Seigneur Jésus-Christ qui désirait ardemment Sa Passion : “Je dois être baptisé d’un baptême ; or combien je me sens pressé jusqu’à ce qu’il s’accomplisse” (Lc XII, 50), “J’ai désiré d’un grand désir…” (Lc XXII, 15); et qui par ailleurs ressentait la douleur dans la partie sensible de Sa nature humaine : “Mon âme est triste jusqu’à la mort” (Matth. XXVI, 38), “Mon Dieu pourquoi m’avez-vous abandonné ?” (Matth. XXVII, 46).

 

“Cette indifférence enfin n’est pas purement passive, mais vraiment active, encore que déterminée seulement par la volonté de Dieu. Dans les cas où cette volonté divine apparaît déjà manifeste (volonté de signe), la volonté de l’homme l’accomplit avec une générosité rapide et ardente. Et dans ceux dans lesquels la divine volonté ne s’est pas encore manifestée (volonté de bon plaisir) elle est en état de parfaite disponibilité pour l’accepter et l’accomplir à peine s’est-elle manifestée” (15).

 

Il est utile et même nécessaire de se conformer à la volonté de Dieu

Il apparaît clairement de cet exposé la nécessité et l’utilité de cette “conformité” à la volonté de Dieu qui, si elle est pratiquée de manière toujours plus parfaite, pourra nous sanctifier toujours plus puisqu’elle unit notre volonté, et avec elle toutes nos facultés, à Celui qui est la source de toute sainteté. Comme le fait remarquer le P. Lehodey: “ce qui fait l’excellence du saint abandon, c’est l’incomparable efficacité qu’il possède, pour ôter les obstacles à la grâce, pour faire pratiquer dans la perfection les plus hautes vertus, et pour établir le règne absolu de Dieu sur nos volontés” (16). En faisant la volonté de Dieu nous faisons aussi notre bien puisque « en définitive, que veut notre Dieu, sinon notre bonheur ? Qui pourrons-nous trouver qui ait pour nous plus d’affection que Lui ? De volonté, Il n’en a qu’une : qu’aucun de nous ne se perde, que tous nous nous sauvions et devenions des saints (17): “il ne veut pas qu’aucun périsse, mais que tous viennent à la pénitence” (II Pier. III, 9). “La volonté de Dieu est que vous soyez des saints” (I Thess. IV, 3). (…) Livrons-nous donc, avec un abandon sans réserve, au bon plaisir de notre divin Seigneur ; Il est infiniment sage : Il sait ce qui est le meilleur pour nous ; Il est infiniment aimant, Il a donné Sa vie pour nous : donc aussi, Il veut ce qui nous est le meilleur. Soyons une bonne fois persuadés, comme nous y invite St Basile, que Dieu gouverne notre vie pour notre avantage, mieux, sans comparaison, que nous ne pouvons nous-mêmes ou le faire ou le désirer » (18).

 

Unir notre volonté à la volonté divine est pour l’homme extrêmement utile puisque cette conformité exerce un triple rôle sur l’âme, en la purifiant, en la réformant et en la conformant à Jésus-Christ.

 

a) La conformité purifie l’âme. Dans l’Ancien Testament, Dieu fait souvent remarquer qu’Il est prêt à pardonner tous les péchés, et à rendre à l’âme l’éclatante blancheur de sa pureté primitive, si elle change de cœur ou de volonté : “Lavez-vous, purifiez-vous, ôtez le mal de vos pensées de devant mes yeux… apprenez à bien faire… si vos péchés sont comme l’écarlate, comme la neige ils deviendront blancs” (Is. I, 16-18). Or conformer sa volonté à celle de Dieu, c’est assurément changer de cœur, cesser de faire le mal, apprendre à faire le bien. Et n’est-ce pas aussi ce que veut dire ce texte plusieurs fois répété : “melior est enim obædientia quam victimæ?” (II Rois XV, 22). Dans le Nouveau Testament, Notre-Seigneur déclare, dès son entrée dans le monde, que c’est par l’obéissance qu’Il remplacera tous les sacrifices de l’Ancienne Loi (…) (Hebr. X, 5- ), et en fait Il nous a rachetés par l’obéissance poussée jusqu’à l’immolation de soi pendant Sa vie et surtout au Calvaire : “Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la Croix” (Phil. II, 8). C’est donc aussi par l’obéissance et l’acceptation des épreuves providentielles qu’en union avec Jésus nous expierons nos péchés et purifierons notre âme.

 

b) La conformité réforme l’âme. « Ce qui nous a déformés c’est l’amour désordonné du plaisir, auquel nous avons cédé par malice ou par faiblesse. Or la conformité à la volonté divine nous guérit de cette double cause de rechutes. (…) Car, en conformant notre volonté à celle de Dieu, nous acceptons Ses jugements comme la règle des nôtres, Ses commandements et Ses conseils comme la règle de notre volonté ; nous nous détachons ainsi des créatures et de nous-mêmes, et de la malice qui venait de ces attaches.

 

Elle remédie à notre faiblesse, source de tant de défaillances ; au lieu de nous appuyer sur nous-mêmes qui sommes si fragiles, nous nous appuyons par l’obéissance sur Dieu, qui étant tout-puissant, nous fait participer à Sa force et résister aux plus graves tentations : “je puis tout en Celui qui me fortifie” (Phil. IV, 13). Quand nous faisons Sa volonté, Il se plaît à faire la nôtre, en exauçant nos prières et en soutenant notre faiblesse.

 

Ainsi débarrassés de notre malice et de notre faiblesse, nous cessons d’offenser Dieu de propos délibéré, et graduellement nous réformons notre vie » (19).

 

c) La conformité conforme l’âme à Jésus-Christ. Il ne peut pas y avoir de conformité plus grande, intime et profonde que celle qui existe entre deux volontés. « Or, par la conformité à la volonté de Dieu, nous soumettons et unissons notre volonté à celle de Jésus… comme Lui et avec Lui, nous ne voulons que ce qu’Il veut (…); c’est donc la fusion de deux volontés en une seule, unum velle, unum nolle ; nous ne faisons plus qu’un avec Lui, nous épousons Ses pensées, Ses sentiments, Ses volitions : “ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ-Jésus” (Phil. II, 5), et bientôt nous pouvons redire la parole de St Paul : “Je vis, mais ce n’est pas moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi” (Gal. II, 20) » (19).

 

Puisque la volonté est la plus élevée des facultés de notre âme il s’ensuit que, en la soumettant à la volonté de Dieu, nous lui soumettons aussi toutes les autres facultés sur lesquelles la volonté a le pouvoir ; donc l’âme toute entière se conforme au Christ, en prenant les sentiments, les vouloirs et les désirs de Notre-Seigneur, et peu à peu l’âme acquiert toutes les vertus du divin Maître. C’est ce qu’affirme justement St François de Sales : “L’abandonnement est la vertu des vertus ; c’est la crème de la charité ; l’odeur de l’humilité ; le mérite, ce semble, de la patience ; et le fruit de la persévérance” (20).

 

Les autres raisons qui montrent la nécessité de la “conformité à la volonté de Dieu” sont les suivantes : comme serviteurs de Dieu qui nous a créés, sauvés, destinés à Lui comme fin dernière, c’est à Lui que nous appartenons et c’est à Lui que nous devons être soumis. Comme Enfants et amis de par amour, tandis que l’amitié doit produire l’adhésion de la volonté. L’exemple de Jésus-Christ est enfin un autre motif qui doit nous convaincre d’embrasser cette voie.

 

Les fruits que produira en nous la vie de conformité parfaite (ou saint abandon) à la volonté de Dieu, sont inestimables : elle nous fera vivre en une douce amitié avec Dieu comme un enfant dans les bras de sa mère ; l’âme en ne désirant rien d’autre que ce qui est voulu par Dieu vit avec la simplicité et la liberté des enfants de Dieu”; elle est sereine et constante en toutes circonstances, car rien ne peut venir troubler sa paix et enfin l’âme jouira d’une sainte mort en paix avec Dieu, puisqu’au ciel Il réalisera la volonté de ceux qui auront fait sur terre Sa sainte volonté.

 

Pratique de la conformité à la volonté de Dieu

En quoi, en quelles circonstances et en quels événements faut-il conformer notre propre volonté à la volonté divine ? La réponse est simple en elle-même : toujours et en toute circonstance ; elle nécessite toutefois une explication.

 

Il est nécessaire de se conformer surtout à la volonté signifiée de Dieu en observant Ses commandements et les préceptes de l’Église ; si nous sommes religieux en pratiquant les conseils évangéliques et les règles de notre congrégation et en accueillant les inspirations de la grâce.

 

Selon la doctrine de St Thomas (I q. 19, a. 12) la volonté de Dieu nous est manifestée ou signifiée au moins de quatre manières.

 

Quand Dieu agit directement (“operatio”), Il veut toujours positivement ce qu’Il fait, parce qu’Il se réfère toujours au bien et est ordonné à sa plus grande gloire. Il s’agit donc de tous les événements individuels, familiaux et sociaux, qui ont été disposés par Dieu Lui-même et ne dépendent pas de la volonté des hommes ; face à eux, que ce soit dans la prospérité ou dans l’adversité, seule est possible l’attitude chrétienne du fiat voluntas tua, puisqu’ils proviennent directement de la main de Dieu. Parfois ces événements sont agréables, et nous remplissent de joie ; d’autres fois ils sont amers, et peuvent nous précipiter dans la plus grande tristesse, si nous ne voyons pas en eux Dieu Lui-même, qui dispose tout pour Sa gloire et notre plus grand bien. Tout ce que le Seigneur dispose est bon pour nous, même si pour le moment cela peut causer tristesse et douleur.

 

Quand Dieu permet quelque chose (“permissio”) c’est-à-dire n’empêche pas que quelque chose soit fait, Il ne le veut jamais positivement parce que cela se réfère à un mal, et Dieu ne peut vouloir le mal. Mais Sa toute-puissance et Son infinie sagesse savent convertir en un bien plus grand le mal qu’Il permet et c’est pour cela qu’Il le permet. Par exemple Dieu permit le plus grand et grave péché qui fut jamais commis, le Crucifiement de Jésus-Christ, en prévoyant que pour l’humanité il en adviendrait le plus grand bien, c’est-à-dire la Rédemption.

 

Quand Dieu commande (“præceptum”) quelque chose : il s’agit des commandements de Dieu ou de l’Église, des préceptes des supérieurs, des devoirs de son propre état. Ils doivent être accomplis jusque dans les plus infimes détails si l’on veut se conformer à la volonté de Dieu manifestée.

 

Enfin il y a la prohibition (“prohibitio”), qui est le passage le plus élémentaire pour conformer notre volonté à celle de Dieu c’est-à-dire d’éviter diligemment le péché qui L’offense.

 

Pour St Thomas donc, il faut surtout observer les commandements et ne pas les violer par le péché. Ensuite le vouloir de Dieu est manifesté clairement par les événements naturels, familiaux, individuels qui nous entourent et par les épreuves et les croix que Dieu permet, par les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons dans le moment présent, pour “opérer notre salut avec crainte” (Phil. II, 12), selon les paroles de l’Apôtre. Il se tromperait gravement celui qui penserait trouver sa sanctification ailleurs, comme par exemple un prêtre fidèle qui aujourd’hui en pleine crise de l’Église voudrait être curé de campagne : pour ce faire, il devrait accepter des compromissions sur la foi [si cette charge comportait le devoir de dire la “Nouvelle Messe”, et d’accepter les erreurs du Concile Vatican II, etc.] en allant donc contre la volonté signifiée de Dieu dans les trois premiers commandements du décalogue. Ou bien une jeune fille qui, par exemple, voudrait se faire religieuse chez les Visitandines et ne trouvant pas un couvent traditionnel déciderait d’entrer chez les modernistes, mettant ainsi sérieusement sa foi en danger. Nous pouvons dire, pour notre réconfort, que le Seigneur aujourd’hui ne donne pas des vocations qu’il serait impossible de réaliser sans aller contre Sa volonté signifiée ! S’Il nous demande quelque chose ou nous donne une certaine vocation, il est de foi, puisque “Dieu est fidèle” (Hebr. X, 23), qu’Il nous donnera aussi les grâces nécessaires et suffisantes pour la réaliser.

 

Voyons maintenant dans la pratique, ce en quoi nous devons nous uniformer à la volonté de Dieu.

 

En premier lieu nous devons nous uniformer dans les choses naturelles qui se produisent dans le monde : chaleur excessive, froid rigoureux, pluie, années de disette, épidémies et choses semblables. Généralement l’homme murmure toujours en ces circonstances : il veut le soleil quand il pleut… puis quand il fait soleil il se lamente pour la sécheresse… On raconte, à ce propos dans la vie de St François Borgia, Général des Jésuites, qu’une nuit alors qu’il neigeait beaucoup, il frappa plusieurs fois à la porte d’une maison de la Compagnie mais comme les Pères dormaient personne ne lui ouvrit. Le lendemain matin à ses fils qui, pleins de regret, s’excusaient de l’avoir fait attendre dehors par une nuit de tourmente, St François répondit avoir reçu au contraire une grande consolation à la pensée que c’était Dieu qui jetait sur ses épaules ces flocons de neige.

 

En second lieu dans tout ce qui nous atteint au-dedans de nous-mêmes, comme les souffrances de la faim, de la soif, de la pauvreté, les désolations, les humiliations. En tout cela nous devons toujours dire : “Seigneur, faites et défaites à votre gré, je suis toujours content”. « Les biens et les maux temporels ne sont donc que des biens ou des maux relatifs. Des uns et des autres, on peut faire le plus saint usage ou le pire des abus. Aurons-nous la sagesse d’en profiter pour nous détacher de la terre et nous attacher toujours plus aux seuls biens du Ciel ? “Passerons-nous parmi les biens temporels de manière à ne pas perdre les biens éternels ?” (21). Ne deviendrons- nous pas comme les insensés, qui oublient Dieu dans la bonne fortune, et murmurent dans l’adversité ? » (22).

 

Dans les talents et défauts naturels de l’âme, et du corps. Ne nous lamentons pas si nous avons une mémoire ingrate, une intelligence lente, un manque d’habileté, un membre estropié, une santé délicate. St Alphonse, à ce propos, fait remarquer : « Quel droit avions-nous à un esprit plus élevé, ou à un corps mieux fait ? et quelle obligation avait Dieu de nous les donner ? (…) Remercions Dieu de ce que nous avons reçu de Sa pure bonté et contentons-nous d’être tels qu’Il nous a faits. Qui sait si, avec un esprit plus brillant, une santé plus robuste, un extérieur plus avenant, nous ne nous serions pas perdus ? Combien à qui leur talent et leur science ont été une occasion de se perdre, par leur complaisance en eux-mêmes et par le mépris qu’ils ont des autres. (…) A combien la beauté ou la force corporelle ont été funestes, si bien qu’ils sont tombés dans mille scélératesses ? Par contre, combien d’autres, que la richesse, la santé ou les attraits du visage auraient conduits en enfer, et qui, grâce à leur pauvreté, à leurs infirmités, à leurs traits ingrats, ont atteint la sainteté et sont arrivés au salut ! Oui, contentons-nous de ce que Dieu nous a donné ; car “une seule chose est nécessaire” (Lc X, 42) (…) sauver son âme » (23).

 

Il faut être spécialement résignés à la volonté divine dans les infirmités corporelles, et nous devons les accepter volontiers telles que Dieu les veut et pour tout le temps qu’Il veut. « Sans doute, usons des remèdes ordinaires, car cela encore est la volonté de Dieu ; mais si les remèdes ne servent à rien, unissons-nous à la volonté de Dieu, laquelle nous servira beaucoup plus que la santé. ‘Seigneur, dirons-nous alors, je ne veux ni guérir ni rester malade : je veux uniquement ce que vous voulez’. Assurément, c’est plus grande vertu, dans les maladies, de ne pas se plaindre de ses souffrances ; cependant, lorsque ces souffrances sont grandes et accablantes, il n’y a pas imperfection à les faire connaître à des amis, ni non plus à prier le Seigneur de nous en délivrer. (…) Au reste, Notre-Seigneur Lui-même, quand Il se vit au début de Sa très amère Passion, s’ouvrit de sa peine à Ses disciples ; “Mon âme est triste jusqu’à la mort” (Matth. XXVI, 38), et Il pria le Père éternel d’écarter de Lui cette extrême souffrance : “Mon Père, s’il est possible, que ce calice passe loin de moi” (Matth. XXVI, 39). Mais le même Jésus nous a enseigné ce que nous avons à faire après semblable prière : nous résigner aussitôt à la divine volonté, en ajoutant : “cependant, qu’il en soit, non pas comme je veux, mais comme vous voulez” (Matth. XXVI, 39).

 

Il en est qui avouent désirer la santé ; mais, disent-ils, ce n’est pas pour ne pas souffrir, c’est pour mieux servir Dieu (…) se rendre utiles à la communauté, faire la communion, faire pénitence, se livrer à l’étude, travailler au salut des âmes dans le ministère de la confession et de la prédication. C’est là une lourde erreur. A qui parle ainsi, je demande : ‘Chère âme, dites-moi, pourquoi désirez- vous faire toutes ces choses ? Pour plaire à Dieu ? Pourquoi donc chercher encore, quand vous savez avec certitude où est pour vous le bon plaisir de Dieu ? Il n’est pas dans ces oraisons, communions, pénitences, études ou prédications, mais bien dans le support patient de la maladie et des douleurs que Dieu vous envoie ? Dès lors, unissez vos souffrances à celles de Jésus-Christ. (…) Bref, ces désirs et ces lamentations ne viennent pas de l’amour de Dieu, mais de l’amour propre, lequel est à l’affût de prétextes pour vous écarter de la volonté de Dieu. Voulons-nous plaire à Dieu ? Adressons-Lui cette unique parole : ‘que votre volonté soit faite’. Répétons-la sans fin, cent fois, mille fois : par ce seul mot, nous procurerons plus de contentement à Dieu, que nous ne pourrions Lui en donner par toutes les mortifications et dévotions possibles. Il n’y a pas de meilleur moyen de servir Dieu, que d’embrasser joyeusement Sa volonté. (…) Le temps de la maladie, je l’appelle la pierre de touche de la spiritualité, car c’est lui qui découvre de quel aloi est la vertu que possède une âme. Si elle ne s’impatiente pas, ne se plaint pas, ne demande rien, mais obéit aux médecins, aux supérieurs, si elle se tient là tranquille, toute abandonnée à la divine volonté, c’est un signe qu’il y a en elle un vrai fonds de vertu » (23).

 

Nous devons nous uniformer à la volonté de Dieu même dans la perte que parfois nous subissons des personnes chères auxquelles nous attachent des liens ou des intérêts, soit temporels, soit même spirituels. « Souvent les âmes dévotes manquent grandement sur ce dernier point, faute de se résigner aux dispositions divines. Ce ne sont pas nos pères spirituels qui nous donnent la sainteté, mais Dieu. Sans doute, Il veut que nous mettions à profit la direction des guides de notre âme, tant qu’Il nous les conserve ; mais quand Il vient à nous les ôter, Il veut que nous nous soumettions, et que, redoublant à cette occasion de confiance en Sa bonté, nous Lui disions : ‘Seigneur, c’est vous qui m’aviez donné cet appui, et c’est vous encore qui me le retirez : que toujours votre volonté soit faite ! A vous maintenant de pourvoir à mes besoins, et de m’enseigner ce que je dois faire pour vous servir’.

 

Telle doit être, d’ailleurs, notre attitude, telle notre acceptation, chaque fois que Dieu nous met une croix quelconque sur les épaules. Vous me direz : ‘Bien des épreuves ne sont que des châtiments’. Soit, vous répondrai- je ; mais les châtiments que Dieu envoie en cette vie ne sont-ils pas des grâces, des bienfaits ? Si nous L’avons offensé, il nous faut bien satisfaire à Sa divine justice en quelque façon : ou en cette vie, ou en l’autre » (24). St Augustin disait : “Brûlez, Seigneur, tranchez, ne m’épargnez point ici-bas, afin de m’épargner dans l’éternité”.

 

Dans les désolations spirituelles. Quand une âme se donne à la vie spirituelle, le Seigneur la comble au commencement de consolations pour la détacher des plaisirs du monde ; mais ensuite quand Il voit son esprit plus affermi, Il retire Sa main avec la consolation sensible, pour éprouver son amour et voir si elle Le sert et L’aime sans être payée dès ce monde en goûts sensibles. Ste Thérèse disait : “Tant que l’on est en cette vie, le profit spirituel ne consiste pas à jouir de Dieu davantage, mais à faire Sa volonté”; et ailleurs : “L’amour de Dieu ne consiste pas dans des tendresses, mais à servir avec force d’âme et humilité”. Ailleurs encore : “Par les aridités et les tentations, le Seigneur met à l’épreuve Ses amis”. Lors donc que le Seigneur accorde à une âme les caresses de Ses douceurs sensibles, qu’elle Lui en soit reconnaissante et s’en professe indigne, mais qu’elle ne se laisse point gagner par la tristesse et par l’impatience à l’heure de la désolation. Il n’est pas de meilleur temps que celui de ces sécheresses, pour exercer notre résignation à la volonté de Dieu. La terre est un lieu de mérite, où l’on mérite en souffrant ; le ciel sera au contraire le lieu de la récompense éternelle et de la joie (qui ne finira jamais…). St Alphonse dit que “sur la terre ce n’est pas à la ferveur sensible avec ses douceurs qu’aspirent et travaillent les saints, mais à la ferveur de volonté, au milieu des souffrances”. “C’est par l’adversité, et non par la prospérité, que Dieu éprouve la fidélité de ses serviteurs, et qu’Il sépare la paille d’avec le grain : celui qui, dans les peines, s’humilie et se résigne à la volonté de Dieu, c’est le grain destiné au Paradis ; celui qui s’enorgueillit, s’impatiente, puis abandonne Dieu, c’est la paille destinée à l’enfer. Celui qui porte la croix avec patience, se sauve ; celui qui la porte avec impatience, se perd” (25). Les deux larrons crucifiés à côté de Jésus subirent la même peine : l’un est saint l’autre est damné, l’un se sauve afin que tu ne désespères pas, l’autre est damné afin que tu ne présumes pas, dit St Grégoire.

 

Dans les tentations. « Nous devons prendre les moyens d’éviter les tentations ; mais si Dieu veut ou permet que nous soyons tentés - que ce soit contre la foi, la pureté ou toute autre vertu - nous ne devons pas nous lamenter, mais, en cela encore, nous résigner au divin vouloir. A St Paul qui sollicitait la cessation d’une tentation… Notre-Seigneur répondit : “Ma grâce te suffit” (II Cor. XII, 9). Ainsi nous, quand, en but à des assauts ennuyeux, nous demandons à Dieu notre délivrance et qu’Il ne nous exauce pas, disons :‘ Seigneur, faites et permettez ce qu’il vous plaît : votre grâce me suffit ; mais soutenez-moi pour que je ne la perde jamais. Ce n’est pas la tentation, mais le consentement, qui nous fait perdre la grâce divine » (23).

 

Enfin, il faut que nous nous unissions à la volonté divine en ce qui regarde l’instant de la mort, soit pour le temps, soit pour les circonstances qu’il plaira à Dieu de déterminer. On raconte que Ste Gertrude, gravissant un jour une colline, glissa et tomba dans un ravin. Ses compagnes lui demandèrent ensuite si elle avait eu peur de mourir sans sacrements. La sainte répondit : “Je désire beaucoup recevoir les sacrements à la mort, mais je tiens davantage encore à la volonté de Dieu ; car j’estime que la meilleure disposition pour bien mourir, est de se soumettre à ce que Dieu voudra : aussi je souhaite tel genre de mort qui aura l’agrément de mon doux Seigneur”. (…) « Le bienheureux Jean d’Avila pensait que quiconque se trouve en des dispositions suffisantes, doit plutôt désirer mourir que vivre. Oh! la chère et désirable chose que la bonne mort, avec la sécurité qu’elle apporte, l’impossibilité où elle nous met d’être jamais plus dépouillés de la grâce de notre Dieu ! » (23).

 

Si nous nous uniformons à la volonté de Dieu en toutes ces choses, ou au moins en quelqu’une d’entre elles, dans les croix de chaque jour (qui sont ensuite autant de grâces si on les considère avec un regard de foi…), nous pourrons atteindre facilement cette sainteté à laquelle nous sommes appelés, et au Paradis nous remercierons le Seigneur de nous avoir donné une récompense aussi grande pour ce “peu” que nous aurons souffert sur la terre en unissant notre volonté à la Sienne ; puisque vraiment “Ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, c’est ce que Dieu a préparé pour ceux qui L’aiment” (I Cor. II, 9) dit St Paul.

 

Réconfort dans les épreuves et l'exemple des Saints

Pour progresser dans la conformité à la volonté de Dieu, surtout quand les épreuves et les croix pèsent sur nos épaules, il sera utile (et parfois nécessaire) de prendre certains remèdes spirituels. Tout d’abord il y a la tactique de ne pas s’appesantir l’esprit en pensant à tous les “maux” passés, présents et futurs, en en faisant un fardeau insupportable même pour les personnes les plus vertueuses ; il faut par contre faire exactement le contraire puisque comme dit Jésus “à chaque jour suffit sa peine” (Matth. VI, 34). Quant aux maux du passé il ne sert plus d’y penser, sinon pour voir les mérites et les avantages que nous en avons tirés, l’accroissement de vertu et de patience. Le mal pique seulement quand on y fixe l’attention, donc nous ne devons plus y penser mais nous réjouir seulement d’avoir accompli la volonté de Dieu.

 

Quant à l’avenir ce serait une folie de nous en préoccuper. On peut prudemment penser et prévoir les choses pour les préparer pour ce qui est dans nos possibilités ; mais penser à l’avance aux “maux” futurs pour en être tristes et préoccupés est un gaspillage de temps et de forces qui ne sert qu’à nous nuire. En effet, ces “maux” peuvent aussi ne pas arriver et dépendent de la volonté de bon plaisir de Dieu qui, comme un bon père, ordonne tout pour le plus grand bien de ses enfants, et puisque “nous sommes dans les mains de Dieu” il est certain qu’Il nous donnera au moment opportun la grâce nécessaire pour les affronter. Ne pensons donc pas aux douleurs passées ni à celles à venir.

 

Dans le moment présent, quand on souffre quelque chose pour le Seigneur, nous devons au contraire positivement penser aux grands avantages de ces souffrances. La douleur (bien acceptée par amour de Dieu) nous éduque en nous rappelant qu’ici-bas nous sommes en exil “dans une vallée de larmes”, que notre patrie est le ciel et que sur cette terre nous ne devons pas chercher les consolations, mais le Dieu des consolations. La douleur nous fait encore pratiquer la vertu de force puisque dans la réaction qu’elle provoque en nous, elle tend à faire augmenter notre énergie et nous fait exercer la vertu : “il n’y a point de bois plus propre à produire et à conserver l’amour envers Dieu que le bois de la croix” affirmait St Ignace. Enfin elle est source de très grands mérites, car, si elle est supportée patiemment pour le Seigneur, elle nous mérite un paradis éternel de gloire, comme disait Ste Marie-Madeleine Postel : “Encore une croix de plus ; remercions le Bon Dieu, Il nous aime bien : s’Il nous éprouve, c’est pour mieux nous récompenser”. Les âmes généreuses, en souffrant avec Jésus quelque peine, accomplissent en elles Sa Passion, se conforment davantage au Divin Maître et contribuent énormément au bien de Son Église. Les paroles de St Jean de la Croix vont aussi dans ce sens : “Souffrir, Seigneur, et être méprisé pour vous”, celles de Ste Thérèse : “Ou mourir, ou souffrir”, et le gémissement de Ste Marie-Madeleine de Pazzi : “Ne pas mourir mais souffrir”.

 

Les Saints avaient bien compris ces vérités. St François d’Assise disait : “Si grand est le bien que j’attends que toute peine m’est délices”; et St Philippe Neri “ici-bas c’est le Paradis ou l’enfer ; avec la résignation dans les peines, on possède le ciel en son cœur ; par l’impatience, on se crée un enfer” puisque : “à qui l’embrasse avec amour la croix ne pèse plus” (Ste Thérèse). St Vincent de Paul affirmait que “la conformité à la volonté de Dieu est le trésor du chrétien et le remède à tout mal, puisqu’elle implique l’abnégation, l’union à Dieu et toutes les vertus”.

 

Tout donc nous invite à conformer notre volonté à celle de Dieu, même au milieu des plus grandes tribulations.

 

Conclusion

Au début de cet article, en citant St Alphonse, nous avons vu que : “Toute la sainteté consiste à aimer Dieu, et tout l’amour de Dieu consiste à faire sa volonté”; nous finirons comme nous avons commencé en espérant que le lecteur se sera convaincu de la nécessité de la conformité à la volonté de Dieu, et qu’en même temps il n’existe pas de meilleure voie que celle-là pour atteindre la sainteté.

 

Jésus nous prévient : “Si vous voulez entrer dans la vie, observez les commandements” (Matth. XIX, 17); il ne suffit donc pas de dire “Seigneur, Seigneur” pour être admis dans le royaume des cieux; il faut faire la volonté du Père qui est dans les cieux, puisque “se tenir uni à la volonté de Dieu, c’est vivre et se sauver. C’est mourir et se perdre que de se séparer de la divine volonté” (26). « “Si vous voulez être parfaits, allez, vendez ce que vous avez, puis venez et suivez-moi” (Matth. XIX, 21). C’est-à-dire, faites davantage la volonté divine, ajoutez à l’observation des préceptes celle des conseils.

 

Si vous voulez monter jusqu’aux sommets de la perfection, accomplissez la volonté de Dieu, toujours plus et mieux. Vous vous élèverez, à mesure que votre obéissance deviendra plus universelle dans son objet, plus exacte dans son exécution, plus surnaturelle dans ses motifs, plus parfaite dans les dispositions de la volonté… Vous serez parfaits, dans la mesure où vous ferez la volonté de Dieu » (27).

 

L’homme, sans l’aide de Dieu, est dans l’impuissance radicale de faire quelque chose de bien dans l’ordre surnaturel : “Sans moi vous ne pouvez rien faire” (Jn XV, 5), mais avec l’aide du Seigneur réellement “je puis tout en Celui qui me fortifie” (Phil. IV, 13). Que l’homme s’en remette en tout à Dieu, soumette sa volonté propre à celle de Dieu en Lui donnant la direction de l’œuvre de sa sanctification afin que Jésus, qui déjà nous a sauvés sur la Croix au prix de Son sang, soit vraiment “l’auteur de notre salut” (Ps. 89, 27) même dans la vie quotidienne.

 

Notre Père qui êtes aux cieux… Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; parce que celui qui accomplit la volonté de Dieu ne se trompe jamais. « Seigneur Dieu, votre volonté personne ne peut l’accomplir sinon par votre don ; puisque “personne ne vient à vous si vous ne l’attirez” (Jn VI, 44). Accomplissez donc en nous votre volonté, c’est-à-dire donnez-nous avec votre grâce d’accomplir sur la terre votre volonté, comme il est accordé aux bienheureux de l’accomplir par votre gloire.

 

Veillez sur nous, vos enfants, ô notre Père ; accomplissez en nous ce qui vous plaît, puisque c’est par votre don que vos fidèles vous servent d’une manière digne et louable. Purifiez nos cœurs, ô lumière bienheureuse, pour que nous chassions parfaitement l’amour propre et repoussions nos propres caprices, de manière à ce qu’en nous votre volonté s’accomplisse pleinement et que la nôtre meure. Que cela arrive si parfaitement qu’il n’y ait plus rien en nous de nous-mêmes, mais qu’en nous domine en tout votre volonté.

 

Purifiez, ô Père, notre esprit, afin que nous n’aimions rien de terrestre ; afin que nous asservissions notre chair ; afin que nous excluions de nous la gloire du monde ; afin que nous reconnaissions parfaitement que vous opérez en chacun de nous tout le bien, et que nous ne sommes rien, que nous ne pouvons rien, et que nous ne savons rien ; afin que nous nous reconnaissions vils à nos yeux, et que nous vous aimions parfaitement de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toutes nos forces et que nous aimions notre prochain comme nous-mêmes. Ainsi en effet nous observerons vos commandements et accomplirons votre volonté ; car “dans ces deux commandements se résume toute la loi et les prophètes” (Matth. XXII, 40) » (28).

 

Enseignez-nous, ô Seigneur, à faire toujours et seulement Votre sainte volonté… Nous vous disons, comme St Paul projeté à terre de cheval sur le chemin de Damas : “Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?” (Act. IX, 6), donnez-nous la grâce de Vous répondre comme répondit Votre très Sainte Mère : “qu’il me soit fait selon votre parole” (Lc I, 38).

 

Doce nos facere voluntatem tuam Domine… fiat voluntas tua… non comme nous voulons mais comme Vous voulez.

 

Notes et références

1) Il serait téméraire de nier la bonté de toutes ces bonnes œuvres de surérogation, comme le fait magistralement remarquer St Ignace de Loyola en appendice de ses “Exercices Spirituels” dans les “Règles pour sentir avec l’Église” (nn° 352-370). Ces “règles” peuvent être considérées comme un “permis d’orthodoxie et de catholicité” alors que leur négation est toujours plus ou moins suspecte…

2) DOM VITAL LEHODEY, Le saint abandon, p. II, ch. VII, pp. 135-136, Gabalda, Paris 1942.

3) En tant que l’homme a l’obligation morale d’obéir aux commandements de Dieu, qui sont Sa volonté signifiée, tout en lui laissant la liberté physique de désobéir en commettant en ce cas un péché.

4) ANTONIO ROYO MARIN, Teologia della perfezione cristiana, Edizioni Paoline, Cinisello Balsamo 1987, p. 938.

5) R. P. GARRIGOU-LAGRANGE, La Providence et la confiance en Dieu, Desclée de Brouwer, Paris 1932, 4ème partie, ch. I, pp. 232-234. Cité aussi par ROYO MARIN, op. cit., p. 939.

6) A. TANQUEREY, Précis de théologie ascétique et mystique, Soc. St Jean Evang. Desclée, Paris 1928, nn° 480-481, pp. 310-311.

7) ST FRANÇOIS DE SALES, Traité de l’Amour de Dieu, L. VIII, ch. 3, pp. 718-720 in St François de Sales, Œuvres, Gallimard, Paris 1969.

8) R.P. J. TISSOT, La vie intérieure simplifiée et ramenée à son fondement, Beauchesne, Paris 1925. IIème partie, ch. III, pp. 268-270. Les caractères gras ont été ajoutés par l’auteur. Cet ouvrage a été écrit par le Père François de Sales POLLIEN, chartreux, qui en a confié le manuscrit au R.P. TISSOT, missionnaire de St François de Sales ; il a été publié dans l’édition française sous son propre nom, alors qu’il l’a été en italien sous le nom du Père Pollien. “Notre Père qui êtes aux cieux... que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel”

9) R.P. GARRIGOU-LAGRANGE, op. cit., pp. 235-236.

10) R.P. TISSOT, op. cit., pp. 271-272.

11) R.P. TISSOT, op. cit., pp. 303-308.

12) A. ROYO MARIN, op. cit., p. 937, n° 490.

13) DOM VITAL LEHODEY, Le saint abandon, p. I., ch. I, p. 2.

14) ST ALPHONSE MARIE DE LIGUORI, De l’union de notre volonté à la volonté de Dieu. Les caractères gras ont été ajoutés par nous.

15) A. ROYO MARIN, op. cit., pp. 945-946.

16) Op. cit, 4ème partie, ch. 1, p. 471.

17) St Alphonse fait ici référence à la volonté antécédente de Dieu qui veut le salut de tous les hommes sans avoir considéré encore les circonstances.

18) ST ALPHONSE, op. cit. 55

19) A. TANQUEREY, op. cit., pp. 320-322, nn° 494-496.

20) Entretien XI cité aussi dans A. TANQUEREY, op. cit., p. 322.

21) Missel Romain. Collecte du troisième dimanche après la Pentecôte.

22) DOM LEHODEY, op. cit., p. III, ch. II, p. 154.

23) STALPHONSE, De l’union de notre volonté… op. cit.

24) STALPHONSE, De l’union de notre volonté… op. cit.

25) ST ALPHONSE, Pratique de l’amour envers Jésus-Christ, ch. V, par I.

26) ST ALPHONSE, Voie du salut, méd. 97: “Uniformité avec la volonté de Dieu”, pt I.

27) DOM LEHODEY, op. cit., p. I, ch. I, pp. 4-5.

28) JÉROME SAVONAROLE, Esposizione del Pater noster, in “G. Savonarola. Itinerario spirituale”, Ed.

bottom of page