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Vacance du Saint-Siège

Pape, Papauté et Siège vacant, dans un texte de Saint Antonin de Florence

et dans la pensée du Père Guérard des Lauriers

 Par Monsieur l'abbé Francesco Ricossa

Note : cet article a été publié dans la revue Sodalitium n°66

Le matin du 11 février 2013, comme chacun sait, Benoît XVI annonça en Consistoire sa “renonciation au ministère d’Évêque de Rome, Successeur de Saint Pierre” en précisant que le Siège serait effectivement vacant à partir du 28 février, à 20 heures ; le 13 mars suivant, Jorge Mario Bergoglio a été élu à la place de Joseph Ratzinger, en se présentant au monde comme nouvel “Évêque de Rome”. Nous avons exprimé notre avis – pour ce qu’il vaut – dans deux communiqués, l’un du 11 février, dans lequel nous prévoyions que “la nuit sera(it) encore plus profonde”, et l’autre du 15 mars, dans lequel nous constations, avec l’élection de Bergoglio, la réalisation du trop facile pronostic. Dans ces lignes, je n’entends pas m’arrêter particulièrement sur l’action – je ne peux pas dire le gouvernement – de Jorge Mario Bergoglio, qui est visible par tous, mais plutôt, encore une fois, sur ce qu’est, dans l’Église, le Souverain Pontife, surtout à travers le processus par lequel un homme, qui n’est pas né Successeur de Pierre et Vicaire du Christ, le devient, ou cesse de l’être, ou trouve un obstacle à le devenir. Je traiterai, en somme, encore une fois, de l’élection au Souverain Pontificat, thème que notre revue a déjà abordé à d’autres points de vue, dans le passé (1). La renonciation de Joseph Ratzinger, en effet, peut aider à comprendre, avec un exemple concret qui est sous les yeux de tous, qu’une chose est l’homme élu à la papauté, qu’autre chose est la papauté elle-même, et comment le lien accidentel entre cette personne et la papauté dépend aussi (non seulement) d’un acte humain suscité par la volonté humaine : si Benoît XVI avait été Pape (2), en effet, il l’aurait été jusqu’au 28 février 2013 à 20 heures, et l’instant d’après – par un seul acte de sa volonté – il aurait cessé totalement de l’être, faisant cesser en sa personne cette relation spéciale au Christ dans laquelle, comme nous verrons, consiste formellement, la papauté.

 

C’est un texte intéressant de saint Antonin de Florence, tiré de sa Summa Sacræ theologiæ (3) qu’un lecteur attentif nous a signalé depuis longtemps (4) qui nous viendra en aide. Antonin Pierozzi de Florence (1389-1459), dominicain (1405), fondateur du couvent de Saint-Marc à Florence, fut sacré évêque de sa ville natale en 1446, et canonisé en 1523. Son œuvre la plus célèbre est précisément sa Somme, écrite entre 1440 et 1459. Dans les passages qui nous intéressent, saint Antonin cite volontiers Agostino Trionfo d’Ancône (1243-1328), augustinien, à qui Jean XXII commanda – contre les erreurs de Marsile de Padoue – la Summa de potestate ecclesiastica (écrite entre 1324 et 1328) ; Trionfo défendit aussi, dans un autre écrit, les raisons et la mémoire de Boniface VIII. Le lecteur se rendra compte que la fameuse distinction adoptée par le Père M.-L. Guérard des Lauriers à propos de la papauté (materialiter-formaliter) qui se trouve déjà dans les écrits des grands commentateurs de saint Thomas, le cardinal Cajétan et Jean de Saint-Thomas (5), est bien connue tant de saint Antonin, que d’Agostino Trionfo, contemporain de saint Thomas.

 

Saint Pierre, premier Souverain Pontife, a été élu immédiatement par le Christ

Rappelons d’abord la différence qui existe entre Pierre et tous ses successeurs, quant à l’élection : Pierre a été élu Pape directement par le Christ, alors que tous les autres ont été élus par l’Église (Cajétan, De comparatione auctoritatis Papæ et Concilii nn° 269, 284, 563 etc.) (10). C’est le Christ Lui-même qui a donné à Simon le nom de Pierre (Jn 1, 42 ; Lc 6, 14) expliquant ensuite – après la confession de foi par laquelle l’apôtre, divinement assisté, proclame la divinité de Jésus (6) – la signification de cette dénomination : Tu es Pierre, et sur cette Pierre je bâtirai mon Église (Matth. 16, 18). Jésus-Christ, qui est la pierre angulaire sur laquelle doit être édifié l’édifice (Matth. 21, 42 ; Mc 12, 10 ; Lc 20, 17-18 ; Act. 4, 11 ; Rm. 9, 31 ss ; I Cor. 10, 4 ; I Pt 2, 4-8 ; cf. Ps. 117, 22), le roc inébranlable sur lequel bâtir la maison (Matth. 7, 24 ss) promet à Simon d’être lui aussi, avec Lui, cette Pierre, et il lui promet les clefs du Royaume des Cieux, c’est-à-dire de l’Église, et le pouvoir de lier et de délier (Matth. 16, 19). Ce que le Christ a promis, il le maintient, dans sa première apparition en Galilée, après la Résurrection. Le Christ est le Bon Pasteur, qui donne sa vie pour ses brebis : il y aura un seul troupeau, sous un seul pasteur, qui est Jésus-Christ (Jn 10, 11-16). Mais Pierre aussi, avec Jésus-Christ et comme Lui, en devenant une seule chose avec Lui, reçoit la charge de paître le troupeau du Christ : pais mes agneaux, pais mes brebis (Jn 21, 15-17). Ce n’est donc que dans le cas de l’apôtre Pierre, que vient immédiatement du Christ non seulement l’aspect formel de la papauté (ecce enim vobiscum sum : Matth. 28, 20 ; pasce agnos meos, pasce oves meas : Jn 21, 15-17) mais aussi l’aspect matériel : la désignation et l’élection (Tu es Petrus, Matth. 16, 18).

 

Les successeurs de Pierre sont au contraire désignés par l’Église

Les autres Papes, après saint Pierre, ne sont pas désignés immédiatement par le Christ, mais médiatement, par l’Église ; et puisque l’Apôtre Pierre – par disposition de la divine Providence (Lamentabili, prop. 56, DS 3456 ; cf. Vatican I, Pastor Æternus DS 3050) – posa son siège à Rome, par l’Église Romaine. Au Pape seul, successeur de Pierre, revient d’établir les modalités de cette désignation canonique. L’antique usage de l’Église prévoit que l’évêque, dans ce cas l’évêque de Rome, soit désigné par le clergé diocésain et par les évêques voisins : les cardinaux, auxquels depuis 1059 revient en exclusivité l’élection du Pape (7), représentent de fait les trois ordres du clergé romain : cardinaux diacres, cardinaux prêtres et cardinaux évêques. Les laïcs (peuple, empereur, etc.) ont eu canoniquement seulement un rôle consultatif, non délibératif (cf. Sodalitium n° 54, pp. 8-11 [À plus forte raison, les laïcs ne peuvent élire le Pape]). Venons-en donc à parler de l’élection ou désignation à la papauté.

 

L’aspect matériel de la papauté : l’élection

Puisque nous avons choisi de citer saint Antonin, voyons ce qu’écrit à ce propos l’évêque dominicain : “… illud quod est in papatu materiale, quia papa mortuo potest collegium per electionem personam determinare ad papatum, ut sit talis vel talis” ; “… si nomine papatus intelligimus personæ electionem et determinationem, quod est in papatu materiale…” ; “… quantum ad personæ electionem et determinationem, quod est tamquam quid materiale”… Ce qui veut dire : “ce qui dans la papauté est (l’aspect) matériel, puisque, le Pape étant mort, le collège (des cardinaux) peut au moyen de l’élection déterminer telle ou telle personne à la papauté” ; “si par le terme ‘papauté’ on entend l’élection et la détermination de la personne, c’est ce qui, dans la papauté, constitue l’(aspect) matériel” ; “… quant à l’élection et détermination de la personne, c’est ce qui est comme l’(aspect) matériel”.

 

Le Père Guérard des Lauriers n’a donc pas “inventé” la distinction – dans la papauté – entre un aspect matériel et (comme nous verrons) un aspect formel (distinction qui par ailleurs existe analogiquement pour tous les êtres créés).

 

Dans l’aspect matériel de la papauté, donc, il y a l’élection du Pontife par un collège d’électeurs, et cette élection a pour but de déterminer celui qui, parmi tous ceux qui pourraient être désignés, sera canoniquement élu à la papauté. Dans l’article sur l’élection du Pape, publié dans le n° 54 de Sodalitium, je rappelais qui a le droit de faire partie dudit collège des électeurs et qui ne l’a pas (8), mais la question pour l’heure ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse en revanche, c’est de faire remarquer que ladite élection s’accomplit au moyen d’actes humains, libres et volontaires, des électeurs. Toujours dans le même article je rappelais que – contrairement à ce que l’on croit communément – les électeurs, bien que dotés de grâces particulières, ne jouissent pas de l’assistance divine infaillible, c’est pourquoi leur élection peut être invalide, douteuse, ou, naturellement, valide, mais pas nécessairement, de fait, celle du meilleur sujet (p. 15). Les électeurs, en somme, comme le démontre l’histoire des conclaves, choisissent leur candidat par – je le répète – un acte libre de leur volonté humaine, soumis à toutes les vicissitudes, contingences, imperfections et déficiences d’un acte humain.

 

L’élection canonique fait, de l’élu, la personne désignée pour être Pape : lui – et seulement lui, à l’exclusion de n’importe qui d’autre – a par cette élection l’aspect matériel de la papauté, est ‘pape’, bien que seulement materialiter (9).

 

Mais l’élection, comme on sait, n’est pas encore suffisante. Est nécessaire encore, de la part de l’élu, l’acceptation canonique de l’élection.

 

L’acceptation de l’élection

La personne élue, en effet, n’est pas encore – formellement – Pape, mais est seulement la personne désignée pour l’être. C’est ce que rappelle encore le cardinal Cajétan : “Il faut exprimer trois points. En premier lieu : dans le pape existent trois éléments, la papauté, la personne qui est pape, par exemple Pierre, et l’union de ces deux éléments, c’est-à-dire la Papauté en Pierre et de cette union résulte Pierre Pape. En second lieu : en reconnaissant et en appliquant chaque cause à l’effet qui lui est propre, nous trouvons que la papauté provient immédiatement de Dieu, Pierre provient de son père, etc. ; mais l’union de la Papauté en Pierre, après que le premier Pierre ait été institué de manière immédiate par le Christ, ne vient pas de Dieu mais d’un homme, comme cela apparaît évident, parce qu’elle se produit par l’intermédiaire d’une élection de la part des hommes. Deux consentements humains concourent à cet effet, à savoir celui des électeurs et celui de l’élu : il est en effet nécessaire que les électeurs élisent volontairement et que la personne élue accepte volontairement l’élection, autrement il ne se produit rien (nihil fit). Donc, l’union de la Papauté en Pierre ne provient pas de Dieu de manière immédiate mais d’un ministère humain, soit de la part des électeurs, soit de la part de l’élu. (…) du fait que l’union de la papauté avec Pierre est un effet de la volonté humaine, quand la même constitue Pierre Pape, il s’ensuit que bien que le Pape dépende seulement de Dieu dans l’être et dans le devenir (in esse et in fieri), cependant Pierre Pape dépend aussi de l’homme dans le fait de devenir tel (in fieri). En effet, Pierre est fait Pape par l’homme quand, élu par des hommes, l’homme élu accepte, et ainsi la papauté est unie à Pierre” (10). De cette intervention de la volonté humaine dans le devenir (fieri) Pape, Cajétan trouve confirmation, continuant son raisonnement, dans le processus inverse, c’est-à-dire quand par un seul acte de sa volonté, en renonçant à la papauté, Pierre cesse d’être Pape, en séparant la papauté de sa personne : “Pierre-Pape, qui a sa propre cause dans son consentement et dans celui de ses électeurs, en sens contraire peut être annulé par la même cause” (11).

 

La Constitution Apostolique Vacantis Apostolicæ Sedis de Pie XII (8 décembre 1945) établit : “Après l’élection canoniquement faite (…) le Cardinal doyen, au nom du Sacré Collège, demande à l’élu son consentement, en ces termes : ‘Acceptes-tu l’élection qui vient d’être faite canoniquement de ta personne comme Souverain Pontife ?’. Ce consentement ayant été donné dans un espace de temps qui, dans la mesure où il est nécessaire, doit être déterminé par le sage jugement des cardinaux à la majorité des votes, l’élu est immédiatement vrai Pape, et il acquiert par le fait même et peut exercer une pleine et absolue juridiction sur l’univers entier” (nn° 100 et 101). “Le Pontife Romain, canoniquement élu, dès qu’il a accepté l’élection, obtient par droit divin la plénitude de la puissance suprême de juridiction” (C.J.C., can. 219).

 

Nous verrons ensuite, comment et de qui l’élu qui a accepté l’élection reçoit la juridiction sur toute l’Église et devient vrai Pape ; arrêtons-nous pour le moment sur la nécessité de l’acceptation de l’élection. Dans le laps de temps entre l’élection et l’acceptation, l’élu a, comme nous avons vu, de manière exclusive, l’aspect matériel de la papauté, mais n’a pas encore l’aspect formel. Ce laps de temps peut être déterminé par les électeurs, mais de par lui-même est indéfini. L’élu peut, de fait : accepter l’élection, refuser l’élection, ou même ni accepter ni refuser l’élection. Dans le premier cas (acceptation), il devient, s’il n’y a pas d’obstacles, vrai Pape ; dans le second cas (refus), il retourne à la condition dans laquelle il se trouvait avant l’élection, et un autre peut et doit être élu à sa place ; dans le troisième cas, le plus intéressant, il reste l’élu du Conclave sans être encore vrai Pape (‘pape’ materialiter, non formaliter) tant qu’il ne se détermine pas à accepter ou refuser. Telle est, comme nous le verrons, la situation dans laquelle l’Église et la papauté se trouvent actuellement (12).

 

L’élu est constitué Pape par Dieu, et non par l’Église

L’élection de cette personne à la papauté vient de l’Église, au moyen d’un acte humain des électeurs ; l’acceptation de l’élection vient elle aussi d’un homme, au moyen d’un acte humain de consentement à l’élection de la volonté de l’élu ; mais l’élément formel de la papauté, c’est-à-dire ce qui constitue cette personne Pape, Vicaire du Christ et successeur de Pierre, ne vient pas de l’homme, et d’en bas, mais du Christ, et d’en haut. Le canon 219 déjà cité le rappelle ainsi : “Le Pontife Romain, légitimement élu, dès qu’il a accepté l’élection” (c’est cela l’aspect matériel qui vient de l’homme) “obtient par droit divin la plénitude du suprême pouvoir de juridiction” (et c’est cela l’aspect formel de la papauté) : “iure divino”, non “iure humano” ou ecclésiastique. L’Église, ainsi que nous le verrons, comme le collège des électeurs, n’a pas le pouvoir suprême ecclésiastique qui revient au Pape, et par conséquent ne peut pas non plus le lui communiquer ; il réside dans le Christ, Chef de l’Église, lequel est l’unique qui puisse le communiquer à Pierre.

 

En quoi consiste formellement la papauté pour le Père Guérard des Lauriers (son aspect formel)

Pour le code de droit canonique, comme il vient d’être dit, le Pape est tel puisqu’il reçoit de Dieu “la plénitude du pouvoir suprême de juridiction”. L’Église, et l’Autorité dans l’Église, sont ici présentées principalement dans la mesure où l’Église militante est un “collectif humain”, une société visible et parfaite. Nous adhérons, évidemment, à cette proposition qui n’est pas seulement une donnée juridique, mais aussi de Foi. Une donnée de Foi qui peut cependant être davantage approfondie. Je le ferai en suivant le théologien dominicain M.-L. Guérard des Lauriers (13). Il rappelle, comme déjà Pie XII dans son encyclique Mystici Corporis, que l’Église est principalement, en tant qu’objet de foi, “Corps Mystique du Christ” (14). De ce corps, le Christ est la Tête. La tête gouverne le corps : il s’ensuit – et nous ne devons jamais l’oublier – que “le gouvernement divin est exercé, dans l’Église, par le Christ, qui est le Chef de l’Église” (Cahiers de Cassiciacum n° 1, p. 47) [désormais C.d.C. dans la suite de l’article]. Dans Son corps qui est l’Église, le Christ, en tant que Chef, communique à tous ses membres sa Vie divine, la vie surnaturelle de la grâce : celui qui reçoit cette vie divine, et ne pose pas d’obstacle à cette communication, devient “membre du Christ, et ‘fils dans le Fils’” (p. 47), c’est-à-dire fils adoptif de Dieu dans le Fils unique et naturel qui est Jésus-Christ. “Cette Communication est, de soi, celle de la Vie divine. Elle peut, en général temporairement, se réduire à la Communication que ‘l’Auteur de la Foi’ fait de la grâce de la Foi. Qui a la Foi, même morte, demeure membre de l’Église” (p. 45, note 36). Mais il y a une seconde communication qui procède du Christ vers l’Église : l’Autorité dans l’Église, de ce point de vue, est aussi formellement constituée d’une Communication qui lui provient de son Chef, qui est le Christ ; en effet, “rien ne subsiste dans l’Église que par relation au Christ qui en est le Chef” (p. 44) (15). Cette Communication est différente de la précédente, mais elle est aussi attestée par la Sainte Écriture : “Et maintenant, moi, je serai avec vous toujours, jusqu’à la fin des temps” (Matth. 28, 20). Jésus “est avec” ses apôtres – et momentanément avec leur chef saint Pierre – “toujours”, habituellement, quotidiennement, dans l’accomplissement de leur mission qui est celle que le Christ lui-même a reçue du Père : “Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé” (Matth. 28, 19) “Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui au contraire qui ne croira pas sera condamné” (Lc 16, 16). “Saint Marc (16, 20) – note le Père Guérard – confirme cet ‘être avec’, post factum : ‘pour eux, étant partis (après l’Ascension) ils prêchèrent en tous lieux, le Seigneur travaillant avec eux (του κυριου συνεργουντοδ : le Seigneur étant en unité d’acte avec eux)…”. C’est pourquoi le Seigneur peut dire en toute vérité : “Qui vous écoute, m’écoute” (Lc 10,16). Ce qui constitue en acte le Pape comme chef de l’Église est “l’être avec” qui a été promis par le Christ. “Le Christ a parlé au présent : ‘Je suis avec !’, avec ceux dont il exige qu’ils soient avec lui : ‘Qui n’est pas avec moi est contre moi’. C’est le même ‘être avec’, lequel, par nature, requiert la réciprocité” (p. 37).

 

Le Christ est donc toujours présent dans Son Corps qui est l’Église : dans les membres, en leur communiquant la vie de la grâce, ou au moins le don surnaturel de la Foi ; dans le chef visible, dans l’Autorité, en lui communiquant son “être avec” de manière habituelle et quotidienne (16). Le Christ sanctifie, comme Prêtre, gouverne, comme Roi, et enseigne, comme Prophète, Maître et Docteur, “avec l’Autorité” : qui vous écoute m’écoute, qui vous accueille m’accueille, qui vous méprise me méprise. Et cela non seulement de manière extraordinaire, quand par exemple est exercé le charisme de l’infaillibilité, mais habituellement et quotidiennement, s’agissant d’un état (“je suis avec vous”) habituel (17).

 

“Et la soumission religieuse et théologale, qui est due à l’Autorité dans le collectif Église et dans celui-là seulement (18) est fondée formaliter sur le fait que l’Autorité est supposée recevoir habituellement la Communication d’‘être avec’ qui procède du Christ. C’est au Christ Lui-même, que, dans l’Autorité, la soumission s’adresse ; puisque le Christ ‘est avec’ l’Autorité : ‘Qui vous écoute, m’écoute !’ (Lc 10, 16). Cela suppose, bien entendu, nous le répétons, que l’Autorité reçoive habituellement la Communication d’‘être avec’, qui seule la constitue formaliter Autorité” (C.d.C., pp. 46-47).

 

La Papauté pendant la vacance du Siège. L’Église pendant la vacance du Siège

Nous avons jusque-là examiné comment on “fait” le Pape, et quel est dans la papauté l’aspect matériel, et l’aspect formel. Avant de traiter de l’acceptation de l’élection, et de la communication, de la part du Christ, Chef de l’Église, de sa présence (être avec) le Pape, considérons ce qui se passe, par contre, en période de Siège vacant. C’est ce que se demande explicitement saint Antonin, en suivant toujours les traces de Agostino Trionfo.

 

Le Saint Docteur opère une triple distinction, pour ce qui regarde la “potestas” du Pape : il y a l’élément matériel (l’élection et la détermination de l’élu), l’élément formel (la juridiction et l’autorité) et l’élément tant matériel que formel : l’actuel exercice de la juridiction de la part de l’élu. Or, explique saint Antonin, le Pape étant mort (ou après sa renonciation, ou de toute façon, en période de Siège vacant) l’élément formel ne “meurt” pas, ni l’élément matériel, mais “meurt”, pour ainsi dire, cette union de l’élément formel et de l’élément matériel qui consiste dans l’exercice actuel de la juridiction. Je m’explique. Durant la vacance du Siège, l’élément matériel – l’élection et la détermination du sujet qui occupe le Siège – ne “meurt” pas, c’est-à-dire ne disparaît pas, mais persiste dans sa racine dans le “collège” (une personne morale) qui peut élire le Pape : normalement le collège des cardinaux (le collège des cardinaux comme racine prochaine, l’Église comme racine éloignée). L’élément formel ne “meurt” ni ne disparaît non plus : “si par le terme ‘autorité papale’ nous entendons son autorité et sa juridiction, qui en est comme l’élément formel, ce pouvoir ne meurt jamais, parce qu’il demeure toujours dans le Christ, lequel, en ressuscitant des morts, désormais ne meurt plus”. C’est l’union entre l’élément matériel et l’élément formel, cependant, qui “meurt” à la mort du Pape : “mais si par le nom de ‘puissance papale’ nous entendons l’actuel exercice, qui est quelque chose de matériel et de formel dans la papauté, alors l’actuel exercice meurt effectivement quand meurt le Pape, parce que, le Pape étant mort, d’un côté l’exercice actuel du pouvoir papal ne demeure dans le collège que dans la mesure où il a été établi par ses prédécesseurs, et il ne demeure pas non plus, selon cette modalité, dans le Christ, puisqu’ordinairement, après sa résurrection, le Christ n’exerce ce pouvoir que par l’intermédiaire du Pape ; en effet, bien que le Christ soit la porte, il a constitué ses portiers Pierre et ses successeurs, par l’intermédiaire desquels s’ouvre et se ferme la porte qui permet d’accéder à lui”. Et saint Antonin résume et conclut : “L’autorité de l’Église ne meurt pas, donc, quand meurt le Pape, quant à la juridiction, qui en est comme l’élément formel, mais demeure dans le Christ ; et elle ne meurt pas non plus quant à l’élection et à la détermination de la personne, qui en est comme l’élément matériel, mais elle demeure dans le collège des cardinaux, par contre elle meurt quant à l’actuel exercice de sa juridiction, parce que le Pape étant mort l’Église est vacante (Ecclesia vacat) et est privée de l’exercice de ce pouvoir (et privatur administrationis talis potestatis)”. L’Église est – selon les mots du Père Guérard – en “état de privation” de l’autorité.

 

Donnons un exemple : le 9 octobre 1958, mourut le Pape Pie XII. Ce jour-là, l’Église passa – sans changer son essence voulue par le Christ – d’un état à l’autre : le matin, elle était gouvernée par Pie XII, le soir, elle était privée de son Pasteur (viduata Pastore). Avec ce changement, la puissance papale était-elle aussi changée ? Les éléments qui étaient unis dans la personne de Pie XII étaient maintenant séparés. L’autorité propre à Pie XII – sa juridiction et, surtout, nous l’avons vu, “l’être avec” le Christ – n’était plus en lui, puisqu’il était mort, mais elle était pour ainsi dire toujours vivante dans le Christ, Chef de l’Église, son Corps mystique, pour pouvoir être donnée à son légitime successeur. La désignation de sa personne à la papauté, accomplie par le conclave de 1939, n’avait maintenant, la mort étant survenue, plus aucun effet ; mais in radice demeurait cet élément matériel dans le collège des cardinaux. Ces derniers, qui en 1939 avaient élu le cardinal Pacelli, en le désignant de préférence à un autre, avec les autres cardinaux ‘créés’ entre-temps par Pie XII, pouvaient et devaient maintenant en élire un autre à sa place. Mais ni le collège des cardinaux, ni le corps épiscopal, ni l’Église restée veuve de son Pasteur suprême sur la terre, n’avaient ce soir l’exercice de la juridiction papale. Cette “actualis administratio” pouvait sans doute ‘ressusciter’ dans la personne du légitime successeur de Pie XII, mais pour le moment était – selon les mots de saint Antonin – comme ‘morte’ avec le Pape défunt. En effet, bien que durant la vacance du Siège celui qui avait la juridiction normalement la conserve (19), cependant personne ne jouit de la juridiction et de l’autorité propre au Souverain Pontife. Personne n’a le primat de juridiction sur toute l’Église : ni le collège des cardinaux, ni le corps épiscopal, ni le concile œcuménique, qui ne peut pas non plus être convoqué sans le Pontife Romain (20). Personne, ni le collège des cardinaux, ni le corps épiscopal, ni le concile, ni le Camerlingue, ne jouit de cette suprême autorité papale propre à la constitution monarchique (et non collégiale) de l’Église. Personne ne jouit non plus du charisme de l’infaillibilité : ni le collège des cardinaux, ni le corps épiscopal : ni dispersé dans le monde, ni réuni en Concile, puisque audit corps manque la tête qui est le Pontife Romain. De la même manière manque le suprême législateur ecclésiastique, qui est toujours le Pontife Romain, qui règle la discipline ecclésiastique et le culte de l’Église. L’existence ou non du pouvoir de juridiction ou du magistère dans le corps épiscopal n’a pas d’influence, de ce point de vue, bien entendu ! Nous avons amplement développé la question dans le n° 55 de Sodalitium (pp. 50-52 [La Thèse de Cassiciacum implique-t-elle vraiment la fin de l’Eglise enseignante (pp.23-26) et la fin du pouvoir de juridiction (pp. 26-27) ?]). Par conséquent, la permanence de la juridiction ordinaire ou du pouvoir du magistère dans l’épiscopat subalterne (bien que cette permanence soit, évidemment, très utile), n’est pas absolument nécessaire à l’indéfectibilité de l’Église (21), mais c’est la permanence d’un corps électoral qui puisse désigner un vrai et légitime Pontife Romain (puisque “l’être avec” demeure dans le Christ) qui l’est seulement et exclusivement. Pendant la période de Siège vacant ordinaire (par ex. à la mort du Pape), comme pendant la période dans laquelle le Siège est occupé, comme maintenant, mais où l’élu ne reçoit pas du Christ l’Autorité, voici ce qu’écrit le Père Guérard : “Si le Christ n’exerce plus la Communication d’‘être avec’ qui constitue formaliter l’Autorité, il ne s’ensuit pas que le Christ ne régit plus l’Église militante. Il la régit provisoirement autrement que par l’Autorité : en ‘étant avec’ ceux de ses membres qui ‘sont avec’ Lui…” (C.d.C. n° 1, p. 57). Nous avons vu en effet que pour saint Antonin, également durant la période normale de Siège vacant, le Christ gouverne l’Église de manière différente de celle dont il la gouverne “ordinairement” (c’est-à-dire : par l’intermédiaire du Pape). Le Christ gouverne toujours l’Église militante : “ordinairement” par l’Autorité du Pape, provisoirement sans elle, mais de manière telle que la modalité ordinaire puisse être rétablie. Les considérations exposées dans ce petit chapitre, répondent à mon avis exhaustivement à certaines objections à la Thèse soulevées récemment, qui reprennent pour l’essentiel celles soulevées par l’abbé Cantoni en 1980 (22).

 

Le Christ communique son “être avec”, sa présence, à l’élu qui accepte réellement l’élection

Revenons à l’élection du Pape. Nous avons vu que l’élément matériel consiste dans l’élection et la désignation de ce sujet à la papauté par les électeurs ; nous avons vu que l’élément formel consiste au contraire dans la communication de l’‘être avec’ de la part du Christ à l’élu du conclave (avec tout ce qui s’ensuit : assistance, primat de juridiction, infaillibilité) ; nous avons vu que, afin que l’élu devienne effectivement Pape, il faut cependant qu’il accepte l’élection canonique de sa personne (can. 209 ; Pie XII, Vacantis Apostolicæ Sedis nn° 100 et 101). La chose est claire, et apparemment elle ne l’est que trop. En effet, si nous admettons par exemple que Paul VI fut canoniquement élu, il ne devrait y avoir aucun doute sur le fait qu’il accepta effectivement l’élection, et devint donc Souverain Pontife, recevant du Christ la communication de Son ‘être avec’.

 

Ordinairement, en effet, personne ne se pose la question sur l’acceptation donnée par l’élu, si elle a eu lieu extérieurement ; on se préoccupe au maximum (mais cela est déjà une signification) que le rituel “accetto” soit prononcé sans aucune ombre d’ambiguïté. Ainsi, par exemple, quand le Cardinal Sarto – qui devait devenir le grand saint Pie X – fut élu, il répondit à la question du cardinal Camerlingue par les paroles suivantes : “accepto in crucem”, tant la papauté lui paraissait avant tout comme une terrible croix sur laquelle il serait immolé. Le Camerlingue – non satisfait de la réponse, qui était pourtant affirmative – insista alors pour être absolument sûr de l’acceptation. Le droit, que je sache, ne requiert rien d’autre que l’acceptation externe. Mais le droit cependant n’abolit pas la nature des choses ni ne peut le faire. L’acceptation, par conséquent, conserve sa nature d’acte humain, et doit être considérée comme tel.

 

Ce que signifie accepter réellement l’élection

Accepter l’élection est donc un acte humain, un acte d’intelligence et de volonté, par lequel l’élu accepte volontairement la papauté, ce qui inclut la connaissance de ce qu’est la papauté et la volonté d’exercer ce rôle. Une personne privée de l’usage de la raison, par exemple, serait incapable d’accepter l’élection et le pontificat, puisque incapable d’un acte humain, et donc aussi de comprendre ce qu’implique son acceptation. Quand l’élu du conclave accepte son élection au Souverain Pontificat, en acceptant l’élection, il accepte aussi et fait siens le rôle et la fonction de Souverain Pontife, qui est indépendante de sa volonté, mais se trouve dans la nature des choses. Celui qui accepte la papauté accepte de faire le Pape, de réaliser la fin de cette charge, qu’il ne lui revient pas d’inventer, mais est déterminée par Dieu. Expliquons-nous mieux.

 

L’essence de l’autorité temporelle : procurer le bien commun

Dans la société temporelle, l’autorité est nécessaire pour réaliser la fin de ladite société : le bien commun temporel. L’autorité, pour être telle, doit avoir la volonté de réaliser la fin de la société même, le bien commun. Cette intention doit être objective – c’est-à-dire qu’elle concerne les actes à poser pour réaliser ladite fin et non l’intention subjective qui l’anime, – doit être réelle – c’est-à-dire réaliser de fait, au moins pour l’essentiel, le bien commun – et doit être stable, et donc habituelle, parce que c’est de manière stable qu’elle doit gouverner la société. “L’autorité, définie par sa fonction propre d’assurer l’unité de l’agir des membres (de la société) en vue du bien commun, est formellement constituée par la relation spécifique que le chef soutient avec le bien commun. Cette relation a pour fondement propre l’intention habituelle, objective et réelle de procurer ce bien commun” (ABBÉ BERNARD LUCIEN, La situation actuelle de l’Autorité dans l’Église. La Thèse de Cassiciacum. Documents de Catholicité, 1985, pp. 34-35). En somme, l’autorité est en relation au bien commun à réaliser, et le fondement de cette relation est l’intention (objective, réelle, habituelle) de le réaliser ; de sorte que l’autorité qui n’a pas ladite intention n’est pas l’autorité, ou cesse de l’être. Le droit de commander, et le devoir d’obéir, présupposent nécessairement que l’autorité soit par essence relative à l’effectuation du bien commun (ibid. p. 39).

 

L’autorité dans l’État et l’autorité dans l’Église : analogie, similitudes, différences

Entre la société temporelle et l’Église, entre l’autorité temporelle et le Pape, il y a une analogie (c’est-à-dire : quelque chose de semblable et, encore plus, quelque chose de différent). L’Église est aussi une société, et en elle l’Autorité est aussi nécessairement en relation à la fin de cette société divinement fondée. D’un point de vue humain, “l’Église est un collectif humain, en ce sens qu’elle est composée d’êtres humains qui, par grâce et par choix libre, ont une Fin commune. Cette Fin, qu’on peut appeler Bien divin, est la Gloire de Dieu réalisée dans la sanctification des membres qui composent l’Église. L’Église comporte une Autorité, laquelle est divinement instituée en vue du Bien divin dont la réalisation est commise à l’Église. Cette Autorité est ramifiée en trois pouvoirs ; elle s’exerce de deux manières : ordinaire, extraordinaire ; elle est constituée par un ensemble hiérarchique de personnes consacrées” (C.d.C. pp. 42-43). Jusque-là, les dissemblances entre Église et État sont déjà visibles, cependant “de ce point de vue” l’Église est encore “semblable à tout autre collectif humain”, particulièrement dans le fait que “la Relation que soutient l’Autorité avec le Bien-Fin, est le fondement et la norme de toutes les ordinations qui émanent de l’Autorité”. Si l’Autorité réalise la fin, elle doit être obéie ; si l’Autorité ne réalise pas la fin, elle perd sa raison d’être. De fait, note le Père Guérard, se sont comportés ainsi “les fidèles, les prêtres, l’évêque qui demeurent attachés à la Tradition” en ne se soumettant plus, et même en résistant, à une “autorité” qui ne réalisait plus la fin et le bien de l’Église (p. 44). Un ex-confrère a fait remarquer que l’argument peut cependant être utilisé pour arriver à la conclusion opposée : parfois il est nécessaire d’obéir à un gouvernement qui sur plusieurs points ne réalise pas le bien commun, ne serait-ce que pour assurer l’ordre public et éviter l’anarchie. Nous lui avons déjà répondu (Sodalitium n° 61, pp. 18-28 [L'Église est une société surnaturelle]). Il y a une différence capitale entre l’Autorité dans l’Église et l’Autorité dans l’État. Dans l’Église, société surnaturelle, l’Autorité est constituée par l’“être avec” : par le fait que Jésus est avec l’Église, est avec l’Autorité, est avec le Pape, chose que l’on ne peut dire de l’autorité temporelle, même si elle est consacrée. Dans l’Église, l’intention de réaliser le bien commun n’est pas l’essence de l’Autorité, mais en est une condition nécessaire. Dans l’Église, je le répète, l’“être avec” est l’essence de l’autorité, alors que l’intention de réaliser le bien commun n’est pas l’essence mais la condition sine qua non et le signe du fait que le Christ est avec l’Autorité ; on tomberait dans un dangereux naturalisme si l’on réduisait l’Église à son aspect naturel de collectif humain, dans lequel la légitimité de l’autorité dépend uniquement du propos effectif qu’elle doit avoir de réaliser le bien commun, en confondant la réalité de l’Autorité propre à l’Église avec ce qui en est seulement une condition pourtant nécessaire (cf. C.d.C. pp. 57-64). Puisque l’autorité temporelle ne gouverne pas – comme celle de l’Église – “avec le Christ”, on comprend qu’elle puisse être encore légitime malgré la constatation de très graves déficiences, et que l’on puisse parfois résister à l’autorité (par exemple en refusant la ‘loi’ sur l’avortement, ou aux temps du paganisme, les sacrifices idolâtres), et parfois lui obéir (par exemple en payant les – justes – impôts) ; ce n’est pas le cas de l’Autorité du Pape, dans lequel “l’être avec” assure habituellement la divine assistance.

 

Le Pape doit vouloir réaliser ce bien divin qu’est la fin de l’Église. Une condition nécessaire non réalisée est un obstacle à la communication de l’Autorité à l’élu du Conclave.

 

Revenons à notre propos. Nous avons dit que l’élu doit accepter l’élection comme Souverain Pontife : il doit accepter le Souverain Pontificat. La condition sine qua non, absolument nécessaire de cette acceptation est alors l’intention objective, réelle et habituelle de procurer le Bien-Fin de l’Église. On objectera que cette condition ne se retrouve pas dans les manuels de théologie ou de droit canonique. Mais elle se retrouve dans la nature des choses. L’acceptation est un acte humain. Tout acte humain a un objet connaissable par l’intelligence, sur lequel se porte la volonté. Le Souverain Pontificat est finalisé à la réalisation de cette fin de l’Église, le Bien divin, qui lui est assigné par le Christ Lui-même. Après avoir rappelé le rapport entre l’acte de foi et les arguments de crédibilité (“la Foi requiert la justification rationnelle que d’ailleurs elle transcende. Aucune raison ne fonde la Foi ; mais on ne doit pas croire sans raisons”). Le Père Guérard explique :

 

“Que le Christ exerce vis-à-vis de l’Autorité la Communication qui la constitue formaliter Autorité, qu’il faille par conséquent être soumis à cette Autorité, cela est objet de Foi. Mais poser cet acte de Foi requiert que cet acte soit rationnellement fondé. On ne peut croire que le Christ exerce la Communication qui constitue l’Autorité, que si celle-ci réalise la condition pour que s’exerce cette Communication. Et le signe, observable, que l’Autorité réalise cette condition, consiste en ce qu’elle a habituellement le propos de réaliser le Bien divin. On peut, et même on doit, appliquer à l’Autorité ce qu’observait Léon XIII : ‘On ne peut juger de l’intention qui, par nature, est interne ; mais on en doit juger en tant qu’elle se manifeste extérieurement’. Ainsi, pour tout objet de Foi, pour l’existence de l’Autorité en particulier, l’acte de croire doit être sous-tendu par les signes de crédibilité que d’ailleurs il doit transcender” (p. 63).

 

En d’autres termes. Normalement, les fidèles n’ont nul besoin de constater si l’élu du Conclave a réellement accepté l’élection au Souverain Pontificat. La chose va de soi. Mais cela n’enlève pas que cette acceptation inclut, par sa nature, une intention chez l’élu, pape materialiter, et une condition qui doit se réaliser : il doit avoir l’intention objective (celle qui regarde les actes extérieurs, la finis operis comme on dit, la finalité de l’acte plutôt que celle de celui qui opère), réelle (ou efficace, dans les faits) et habituelle (c’est-à-dire constante, ce qui admet une réalisation majeure ou mineure, plus parfaite ou moins parfaite, mais toujours habituelle et constante de la susdite intention) de réaliser la fin de l’Église, le bien divin ; et ce en faisant célébrer le Divin Sacrifice à l’Église, en donnant la vraie doctrine aux âmes (en condamnant par conséquent les erreurs), en sanctifiant les âmes par les sacrements, en les gouvernant avec les lois. “Si ce propos n’est pas réel, c’est-à-dire si l’‘autorité’ ne vise pas habituellement à réaliser comme elle doit l’être la ‘Relation’ qu’elle soutient avec le Bien-Fin, alors l’‘autorité’ n’est plus un ‘sujet’ métaphysiquement ‘capable’ de recevoir la Communication ‘d’être avec’ qui pourrait être exercée par le Christ ; et comme cette Communication ne peut être reçue, elle n’est pas exercée. Le Pasteur, même s’il les laisse à l’œuvre, ‘n’est pas avec’ les loups. Le Christ ‘n’est pas avec’ ceux qui détruisent l’Église. Le Christ n’est pas divisé contre Lui-même” (p. 56).

 

Exemples (et analogies) d’un consentement seulement verbal et apparent, mais non réel

L’élu du Conclave doit donc donner son consentement à l’élection, c’est une chose connue et indiscutée. Mais par sa nature ce consentement doit être non seulement verbal, et donc apparent, mais aussi réel : verbis et factis. C’est-à-dire qu’il doit avoir pour objet la fin et le bien de l’Église, que l’élu du Conclave doit avoir, objectivement, l’intention de réaliser. Le même bien/fin de l’Église, ensuite, doit être réalisé non seulement verbis – en paroles – mais aussi factis, dans les faits : dans le cas de Paul VI, remarque le Père Guérard, “les ‘verba’ servent à mieux assurer l’efficacité des ‘facta’” (C.d.C. n° 1, p. 68). Les mots (verba) parfois rassurants de Paul VI, servirent concrètement – et ce de manière habituelle et constante – à réaliser des faits (facta) diamétralement opposés (23).

 

Pour permettre au lecteur de mieux comprendre ce que j’ai dit, voyons ensemble certaines analogies.

 

La Justification. Cette analogie a été oubliée dans les années suivant la première publication de la Thèse du Père Guérard, pourtant elle est celle que le théologien dominicain présente précisément dans le n° 1 des Cahiers de Cassiciacum. En effet, comme nous avons vu, le Christ, en tant que Chef du Corps Mystique, exerce une double communication à l’égard de Son Corps : celle de la grâce à l’égard de tous les membres du Corps Mystique, et celle, que nous sommes en train d’étudier, de l’‘être avec’ (qui appartient aux grâces ‘gratis datæ’) à l’égard de l’Autorité. Il va de soi qu’il doit y avoir une analogie entre les deux communications. Voilà comment l’exprime le Père Guérard des Lauriers :

 

“De même qu’un être humain n’est constitué membre du collectif humain ‘Église militante’ qu’en recevant habituellement du Chef de l’Église la Communication de la Vie, ainsi l’Autorité n’est constituée Autorité dans l’Église militante qu’en recevant habituellement ‘l’être avec’ que lui communique le Christ. Les ‘sujets’, c’est-à-dire ‘le membre de l’Église militante’ ou ‘l’Autorité de l’Église militante’, existent materialiter comme ‘sujets’, avant la Communication qui procède du Christ ; mais ils ne sont formaliter membres de l’Église ou Autorité de l’Église qu’en vertu et dans l’Acte de la Communication qu’exerce le Chef de l’Église.

 

Il est possible qu’un être humain refuse la Communication de Vie qui procède du Christ. Cela est possible ; car, observe le Concile de Trente : ‘bien que le Christ soit mort pour tous (II Cor. 5, 15), ceux-là seuls reçoivent le fruit de sa mort, auxquels le mérite de sa Passion est communiqué’ (De Justificatione, chapitre 3 ; Denz. 1523). Et si un être humain refuse la Communication qui procède du Chef de l’Église, il n’est en aucune façon membre de l’Église, bien qu’il ne soit pas impossible qu’il le devienne. Pareillement, l’‘autorité’ qui refuserait la Communication de l’‘être avec’ qui procède du Chef de l’Église, ne serait en aucune façon Autorité de l’Église. Elle le pourrait être materialiter, au titre de ‘sujet’ dont il n’est pas impossible qu’il devienne l’Autorité ; mais ce ‘sujet’, privé de ce qui constitue formaliter dans l’Église l’Autorité, n’aurait, dans l’Église, aucune Autorité. L’analogie que nous venons d’indiquer concerne des états. Être membre de l’Église est un état ; être l’Autorité dans l’Église est un état. La Communication de Vie ou d’‘être avec’ qui procède du Christ comporte, quant à la réception en chacun des ‘sujets’ respectivement intéressés et qui peuvent toujours la refuser, un premier instant ; mais, inaugurée, elle est habituelle dans le ‘sujet’ qui en est le terme, comme elle est permanente dans le Christ qui en est le principe” (C.d.C. n° 1, pp. 44-45) (24).

 

Pour faire simple, on devient membre de l’Église, Corps Mystique, en recevant du Christ la grâce (ou au moins la Foi) ; mais il est possible de la part de l’homme de mettre un obstacle à la réception de la grâce ou de la foi ; analogiquement, l’élu du Conclave peut mettre un obstacle à la communication de l’‘être avec’ qui constitue l’Autorité dans l’Église. Et comme l’Écriture affirme que ‘le Christ est mort pour tous’ et cependant pas tous se sauvent en recevant la grâce, de la même manière il est écrit ‘je serai avec vous’, mais la communication de cet ‘être avec’ peut être entravée par l’homme (cf. p. 56 et, sur les rapports entre l’acte du Christ et le consentement de l’homme, pp. 50-51).

 

L’intention nécessaire dans les sacrements, ou autres obstacles éventuels, et le cas du consentement matrimonial en particulier. L’abbé Bernard Lucien et l’abbé Hervé Belmont, comme l’on sait, ont présenté une autre analogie intéressante fondée sur le consentement matrimonial (25). Cet exemple, comme nous verrons encore une fois, est particulièrement approprié, puisque le sacrement du mariage (et aussi le mariage naturel) est constitué par un acte humain, le consentement des époux, de même que par un acte humain est constituée l’acceptation de l’élection. À vrai dire, quoi qu’il en soit, l’argument vaut pour tous les sacrements. Il est connu que le sacrement agit ex opere operato, c’est-à-dire par le fait même d’en poser les éléments, matière et forme, par l’action même du Christ, auteur de la grâce et instituteur des sacrements. Mais ceci n’empêche pas que les sacrements puissent être invalides, ou en partie inefficaces, à cause d’un obstacle (obex) placé par l’homme. Parmi ces obstacles, il convient de signaler l’intention, ou mieux l’absence d’une véritable intention, non seulement chez le ministre qui confère le sacrement, mais aussi chez le sujet qui le reçoit comme, par exemple, l’attachement au péché chez celui qui reçoit le sacrement. Celui qui recevrait le sacrement du baptême de manière apparemment régulière, mais aurait une intention explicite de ne pas recevoir absolument le sacrement, le recevrait de manière invalide (il ne serait pas validement baptisé, et ne recevrait pas la grâce sanctifiante, ni le caractère baptismal). Celui au contraire qui vient d’être baptisé, et a l’intention de recevoir le baptême, mais en conservant l’attachement au péché (plaçant donc volontairement un obex, un obstacle) recevrait le caractère baptismal, mais non la grâce sanctifiante (une allusion également dans les C.d.C. n° 1, p. 24). Dans le sacrement de pénitence, l’absence de douleur suffisante (attrition) chez le pénitent, invalide le sacrement (puisque les actes du pénitent constituent la quasi-matière du sacrement). L’exemple le plus approprié est celui du mariage, qui est généré précisément par le consentement des contractants. Le consentement doit être extérieur, mais il n’est pas suffisant qu’il soit seulement extérieur : un vice de consentement, même intérieur, même seulement chez l’un des contractants, rend invalide le consentement et par conséquent le mariage même. La situation des époux putatifs, cependant, n’est pas la même après le consentement matrimonial, même s’il est seulement apparent et invalide. Si, réellement et devant Dieu, ils ne sont pas mariés (c’est pourquoi – s’ils sont conscients du fait – ils ne peuvent se considérer mariés et ne peuvent, en conscience, accomplir l’acte conjugal objet du contrat) toutefois juridiquement et devant l’Église ils sont encore considérés comme étant unis par le lien conjugal (en vertu du consentement extérieurement échangé devant les témoins) tant que ledit lien n’a pas été déclaré nul canoniquement par la légitime autorité ecclésiastique. Pas seulement. Le consentement extérieur, bien qu’invalidé par un vice de consentement ou par un empêchement dirimant, a cependant des conséquences. Avant tout, comme nous l’avons dit, les époux putatifs sont juridiquement tenus de respecter le lien conjugal jusqu’à la déclaration juridique de nullité : un éventuel nouveau mariage serait invalide pour cette raison. Ensuite, la descendance née au cours de l’union seulement apparente et juridique des deux époux putatifs est considérée comme légitime, comme si elle était née d’un mariage valide. Enfin, s’il est possible de supprimer l’obstacle qui avait rendu nul le consentement (un vice de consentement d’un des époux ou des deux, ou un empêchement qui peut être dispensé par l’Église ou qui de toute façon peut cesser) les deux époux putatifs peuvent valider leur mariage, une fois l’obstacle supprimé, parfois aussi seulement en renouvelant le consentement, cette fois validement, même sans de nouvelles cérémonies extérieures (can. 1036 § 2). Les similitudes avec le cas que nous examinons sautent immédiatement aux yeux du lecteur.

 

L’élu du Conclave doit donner son assentiment extérieur à l’élection faite de sa personne au pontificat ; de même les époux doivent exprimer extérieurement leur consentement au contrat matrimonial. Normalement, la constatation canonique du consentement advenu est suffisante, et personne ne la met en doute. Juridiquement, devant l’Église, l’élu du Conclave est normalement considéré comme Souverain Pontife, de la même manière que les deux époux sont considérés comme des époux légitimes. Toutefois, il est possible que le consentement matrimonial soit nul, devant Dieu et devant la conscience des époux qui en auraient connaissance, à cause d’un vice dans le consentement ou d’un empêchement canonique, qui représentent un obstacle à ce que le consentement ait son effet et sa validité ; en particulier, si l’intention des contractants ne se porte pas d’une manière ou d’une autre sur l’objet du contrat matrimonial, mais sur quelque chose qui en altère la substance. Analogiquement, l’élu du Conclave peut “vicier” son consentement et mettre un obstacle à la réception de l’‘être avec’ de la part du Christ, en n’ayant pas l’intention objective et habituelle de réaliser le bien/fin de l’Église. Il s’ensuit que, comme les époux putatifs ne sont pas réellement mariés, ainsi le “pape” materialiter, n’est pas vraiment et formellement Pape, n’est pas l’Autorité, n’est pas “avec le Christ” pour gouverner l’Église. Cependant, les époux putatifs ne se trouvent pas dans la même condition dans laquelle ils se trouvaient avant le consentement donné extérieurement, bien qu’invalidement, exprimé devant l’Église : par exemple, ils ne peuvent validement contracter de nouvelles noces tant que n’est pas déclarée la nullité du lien précédent ; leur descendance est légitime ; dans certains cas il est possible, en supprimant l’obstacle, de rendre valide le consentement et le mariage. De la même manière, l’élu du Conclave qui a seulement extérieurement et non vraiment donné son consentement à l’élection ne se trouve pas dans l’état dans lequel il se trouvait avant le Conclave (quand il n’avait pas été élu) et avant l’acceptation (quand il était seulement l’élu sans avoir encore accepté). Il est Pontife “putatif” ou “pape” materialiter ; le siège est occupé par lui et ne peut être occupé par d’autres tant que l’élection n’a pas été déclarée nulle par l’Église. Certains actes juridiques indispensables pour la vie de l’Église peuvent avoir effet juridique (ou de par eux-mêmes, ou par suppléance du Christ Chef de l’Église) (26). Et enfin, dans certains cas, il peut rendre valide son acceptation de l’élection, à condition d’ôter l’obstacle par lui placé précédemment qui viciait son consentement (à condition que par nature il soit possible de le supprimer). Certes, les analogies sont seulement des analogies (dans lesquelles les différences entre les analogués sont plus importantes que les similitudes) mais il faut admettre que cet exemple est vraiment persuasif et de compréhension facile.

L’intention d’accepter la consécration épiscopale par l’élu du Conclave. En vain les canonistes chercheraient-ils dans les Constitutions Apostoliques sur l’élection du Pape une allusion à cette ‘condition’ pour la validité de l’élection ; aucune n’en fait mention, pas même celle de Pie XII. Pourtant, le même Pie XII, dans un discours aux laïcs catholiques plusieurs fois cité (27) expliqua que si un laïc était élu au Souverain Pontificat, il deviendrait immédiatement le Souverain Pontife, avec juridiction universelle, au moment même de son acceptation de l’élection, avant même de recevoir l’ordination sacerdotale et la consécration épiscopale (nous le rappelons à l’adresse de ceux qui écrivent que la Thèse serait aujourd’hui dépassée si l’on émet l’hypothèse que Ratzinger n’était pas validement consacré et Bergoglio validement ordonné ; cf. Sodalitium n° 62, pp. 40 ss). Toutefois, précisa Pie XII, en acceptant l’élection, ledit laïc devrait avoir nécessairement l’intention de recevoir la consécration épiscopale (Pie XII ne dit pas qu’il doit recevoir la consécration, mais qu’il doit avoir l’intention de recevoir la consécration). C’est pourquoi le Pape est l’Évêque de Rome, et doit l’être, normalement, tant quant au pouvoir de juridiction qu’au pouvoir d’ordre. Être privé du pouvoir d’ordre ne le prive pas du Pontificat ; mais avoir une intention contraire au Pontificat (par exemple en ayant l’intention que le Pontife soit un laïc et non un évêque) vicie son consentement et par conséquent interdit à l’élu seulement apparemment consentant d’être formellement l’Autorité. À plus forte raison, l’intention habituelle et objective de ne pas vouloir le bien/fin de l’Église, c’est-à-dire ce pour quoi il devrait être l’Autorité, vicie le consentement à l’élection et empêche la Communication de la part du Christ de l’‘être avec’ qui constitue formellement l’Autorité dans l’Église.

 

Conclusion : Dieu Lui-même ne peut faire qu’un “sujet” non apte à recevoir la Communication de l’‘être avec’

(et donc de l’Autorité) puisse la recevoir (tant que subsiste l’obstacle qui le rend inapte)

On objectera que ce qui est dit sur l’élection du Pape ne se retrouve pas dans le droit canonique (il serait mieux de dire dans les Constitutions Apostoliques concernant l’élection du Pape, puisque le droit canonique, entendu comme Code, ne traite pas de la question) ou dans les auteurs classiques. Quant au droit, nous avons déjà donné l’exemple tiré du discours de Pie XII au congrès des laïcs. Quant aux auteurs “classiques”, nous faisons encore une fois remarquer que la situation tout à fait nouvelle dans laquelle nous nous trouvons impose une approche théologique différente de celle – par exemple – de l’“hypothèse du Pape hérétique” : Vidigal da Silveira s’en était aperçu (28), lui qui fut parmi les premiers à attirer l’attention sur les études théologiques à ce propos et qui est aujourd’hui encore continuellement cité et saccagé par ses épigones ; la théologie et l’histoire de la théologie sont deux sciences différentes (et la théologie consiste, au moins parfois, à réfléchir et pas seulement à répéter, rappelait le Père Guérard des Lauriers in C.d.C. n° 1 p. 30). Que cela suffise pour réfuter, encore une fois, le volontarisme, philosophique et théologique (29).

 

Nous faisons enfin remarquer aussi que, avant le droit positif et les autorités théologiques, il y a la métaphysique de l’être :

 

“Le Christ n’exerce plus la Communication d’‘être avec’ à l’égard de tel ‘sujet’ qui occupe le Siège de l’Autorité, mais qui ne remplit pas les conditions nécessaires et suffisantes pour recevoir du Christ ce qui, formaliter, le constituerait comme Autorité. La ‘Communication’ est par nature un acte commun à celui qui communique et à celui qui reçoit. Dieu, qui est ‘Celui qui suis’ (Ex. 3, 14) ne peut pas faire que les lois de l’être ne soient pas. S’il est impossible que, de quelque façon, la Communication soit reçue, alors elle n’est pas exercée. Il faut, ou l’accepter, ou le réfuter” (p. 56).

 

La preuve de la Thèse (arguments non probants, preuve inductive, preuve déductive)

La plupart de ceux qu’on appelle “sédévacantistes” pensent pouvoir démontrer avec certitude la vacance du Siège Apostolique par différents arguments ; parmi les principaux, l’hypothèse théologique du “Pape hérétique”, ou bien celui tiré de la Bulle Cum ex apostolatus du Pape Paul IV, ou bien enfin par les mesures contre les hérétiques prévues par le code de droit canonique (can. 188, 4° et can. 2314 § 1), qui reprennent par ailleurs, en grande partie, la susdite Bulle du Pape Carafa.

 

Le premier numéro des Cahiers de Cassiciacum (pp. 76-87 ; cf. aussi pp. 22, 30, 36 ss) explique déjà pourquoi ces arguments, bien qu’“impressionnants, surtout par leur convergence” (p. 36), ne concluent pas avec certitude, renvoyant ensuite aux nn° 3-4 l’examen approfondi des différentes “pathologies de la foi” (schisme et hérésie, auxquels devait s’ensuivre une étude sur le modernisme comme ‘pathologie de la foi’). L’abbé B. Lucien a, par la suite, exposé et réfuté en détail chacun de ces arguments (30).

 

Rappelons alors quel est l’argument – de type inductif – qui conclut avec certitude (bien qu’avec la ‘certitude probable’ propre à l’induction). Paul VI n’est pas l’Autorité, n’est pas Pape formaliter, puisqu’il n’a pas l’‘être avec’ Jésus-Christ, Chef de l’Église. Et il n’a pas l’‘être avec’ Jésus-Christ, Chef de l’Église, parce qu’il n’a pas l’intention habituelle et objective de réaliser le bien/fin de l’Église, intention qui constitue la condition sine qua non pour être l’Autorité dans l’Église. L’Autorité, quelle qu’elle soit, temporelle ou spirituelle, n’est jamais une fin en elle-même ou, comme on dit aujourd’hui, autoréférentielle. L’Autorité est, par nature, finalisée au bien commun de la société qu’elle doit gouverner. Une société en effet, composée de membres disparates, doit être dirigée à une fin par l’Autorité, et cette fin est le bien commun. “Certains veulent réduire l’autorité au sujet qui est désigné comme chef, en négligeant, ou en oubliant, sa relation réelle au bien commun. Mais il faut bien voir qu’une ‘autorité’ ainsi définie ni ne possède le droit de commander, ni ne crée d’obligations pour ses ‘subordonnés’ (…) la doctrine admise par tous, selon laquelle l’autorité a le droit de commander et oblige ses subordonnés, suppose nécessairement que l’autorité soit par essence relative à l’effectuation du bien commun” (B. LUCIEN, pp. 38-39). L’autorité réalise le bien commun au moyen d’actes humains, par conséquent volontaires. “Cette volonté délibérée de poser l’acte, nous l’appelons intention objective et réelle (ou efficace). ‘Objective’, par distinction de l’intention ‘subjective’ qui concerne le motif pour lequel la personne agit. Cette intention ‘subjective’ peut demeurer, partiellement ou même totalement, inaccessible à l’observateur extérieur. Tandis que l’intention ‘objective’, qui porte immédiatement sur l’acte que l’on pose et non sur les motifs de poser l’acte, est discernable par l’observateur extérieur, sinon absolument toujours, du moins, dans la plupart des cas” (B. LUCIEN, p. 34). Donc : intention OBJECTIVE, et non subjective : “ce que l’homme fait, c’est cela, en réalité, qu’il veut : telle est la norme de l’intention objective” (ibid.) (31). En outre, de même que la société est une réalité de soi permanente, de même l’autorité, élément inhérent à son essence, doit être une réalité stable et permanente. La fonction qui définit l’autorité comporte donc un ensemble d’actes produits dans le déroulement du temps, convergeant vers le même bien commun. (…) Cette volonté délibérée stable (…) nous la désignons sous le nom d’intention habituelle” (B. LUCIEN, p. 35).

 

Pour parler simplement (et donc peut-être de manière imprécise). Toute société requiert une autorité. L’autorité n’est pas une fin en elle-même : elle a la charge de pourvoir au bien commun de la société. Elle pourvoira au bien commun au moyen d’actes volontaires, qui de manière convergente et habituelle, et non rare et épisodique, réalisent effectivement le bien commun. Une autorité qui de fait – réellement et efficacement – réalise le bien commun de la société qu’elle doit gouverner, a le droit à l’obéissance des sujets ; une ‘autorité’ qui non de manière épisodique, rarement, mais habituellement, NE réalise PAS le bien commun de la société qu’elle doit diriger, bien commun qui est toute sa raison d’être, N’est PLUS formellement l’autorité, n’a plus le droit à l’obéissance et à la soumission des membres de la société. Et ceci quels que soient les MOTIFS subjectifs pour lesquels l’‘autorité’ agit ainsi, qu’il ne revient pas aux particuliers de juger et qui peuvent être aussi – subjectivement – pleins de bonnes intentions, Deus scit. Ce que nous venons de dire vaut pour toute autorité, y compris pour l’autorité temporelle de l’État, et donc vaudra aussi pour l’autorité spirituelle : la grâce ne supprime pas la nature, mais la perfectionne. L’autorité de l’Église, en effet, jouit d’une assistance divine dont ne jouit pas l’autorité temporelle, ou plutôt, elle est constituée par le fait d’‘être avec’ Jésus-Christ, Chef de l’Église : de faire avec Lui une seule chose, moralement parlant, en gouvernant, sanctifiant, enseignant l’Église, et la conduire ainsi à sa fin dernière qui est la gloire de Dieu et la réalisation de la ‘mission’ confiée par le Père à Jésus-Christ du salut des âmes par l’enseignement de la Vérité révélée, la célébration du Sacrifice, l’administration des sacrements, la pratique de la vie chrétienne. L’autorité temporelle – qui tient pourtant son autorité de Dieu – ne jouissant pas de l’‘être avec’ promis par le Christ à l’Église, peut donc éventuellement assurer un minimum de bien commun avec de très graves vices ; c’est la raison pour laquelle les sujets sont autorisés et tenus de ne pas obéir aux lois injustes : il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Au contraire, l’Autorité dans l’Église ‘est avec’ Jésus-Christ, et Jésus-Christ ‘est avec’ elle, de manière habituelle et quotidienne, c’est pourquoi habituellement et quotidiennement elle réalise le bien/fin de l’Église, la Mission confiée par le Père au Christ, et par le Christ à l’Église (Comme le Père m’a envoyé, ainsi je vous envoie : allez, enseignez, baptisez…). Il n’est pas impossible que par un acte déterminé, à l’exclusion du Magistère extraordinaire, l’Autorité puisse présenter des défectuosités (32) ; il n’est pas possible au contraire que l’Autorité qui est une seule chose avec le Christ puisse ne pas assurer habituellement le Bien de l’Église. “Nous faisons d’autre part état d’une donnée évidente, à savoir que dans l’Église l’Autorité est divinement instituée, et qu’elle est en définitive exercée, quoique médiatement, par Celui qui est la Vérité. Il est impossible que, dans l’Église, HABITUELLEMENT, l’Autorité n’accomplisse pas les fonctions qui sont en propre celles de l’Autorité. Une telle hypothèse est contradictoire, contraire au principe de non-contradiction jouant non seulement dans l’ordre naturel mais dans l’ordre dont le principe permanent est le Verbe Incarné (cf. note 20 des C.d.C.). Si donc, habituellement, l’‘autorité’ n’accomplit pas les fonctions qui sont en propre celles de l’Autorité, il s’ensuit que l’‘autorité’ n’est pas l’Autorité ; car, si l’‘autorité’ était l’Autorité, elle devrait, en vertu de l’‘être avec’ qui lui a été promis, accomplir habituellement les fonctions qui sont en propre celles de l’Autorité…”. Tous ceux qu’on appelle “traditionalistes” (entendus comme catholiques qui s’opposent à Vatican II et à la nouvelle liturgie) dans les faits, Mgr Lefebvre inclus, ont agi et agissent comme si l’‘autorité’ n’était pas l’Autorité, puisque – depuis Paul VI – n’étaient plus assurés aux fidèles et à l’Église ni la doctrine, ni la Messe, ni les sacrements, ni la discipline, ni la défense de l’hérésie et des hérétiques. “Écône – constatait le Père Guérard – en subsistant, témoigne concrètement de ce que nous affirmons intelligiblement”. En concluant toutefois, ‘prophétiquement’ que “si Mgr Lefebvre refuse d’admettre que l’‘autorité’ n’est pas l’Autorité, il s’ensuivra tôt ou tard inexorablement, qu’Écône s’en trouvera vidé ou amalgamé” (33).

 

On remarque comment l’argument inductif en question (l’unique exposé par le Père Guérard des Lauriers dans la première version dactylographiée de la Thèse – pas encore ‘de Cassiciacum’ – datée du 26 mars 1978) est en lui-même probant indépendamment de toutes les discussions (successives) sur l’infaillibilité du magistère, et des diatribes relatives à d’éventuelles “défaillances accidentelles” (mais non habituelles) de la part du Pape (34).

 

Dans la version définitive de la Thèse, publiée dans le n° 1 des Cahiers de Cassiciacum (mai 1979), a été ajouté un “Avis” en guise d’introduction (daté du 11 février 1979) dans lequel on développe un autre argument qui se fonde sur l’opposition de contradiction entre le magistère de l’Église sur la liberté religieuse (par exemple, mais pas seulement, dans l’encyclique Quanta Cura du pape Pie IX) et celui de la déclaration conciliaire Dignitatis humanæ personæ “promulguée” le 7 décembre 1965. Ladite déclaration aurait dû être garantie, sinon par l’infaillibilité du magistère solennel de l’Église à qui appartient normalement un Concile, au moins à l’infaillibilité du magistère ordinaire universel (35). On peut en conclure que, au moins à partir du 7 décembre 1965, Paul VI ne jouissait (plus) de l’Autorité, il n’était (plus) Pape formaliter. Ce raisonnement, qui pourrait être appliqué à de nombreux autres documents conciliaires, est ensuite complété par ceux qui se fondent sur l’objet secondaire de l’infaillibilité de l’Église, qui s’étend comme on sait à la promulgation des lois universelles, qu’elles soient canoniques ou liturgiques (36), ainsi qu’à la canonisation des Saints.

 

Le Père Guérard des Lauriers fait remarquer la connexion entre les différents arguments dans l’interview publiée dans le n° 13 de Sodalitium (37), quand il explique qu’il y a des exigences immanentes à la Communication de l’‘être avec’, et d’autres au contraire conséquentes. Les premières sont d’ordre naturel, mais ressortissent à l’ontologie (c’est-à-dire à l’être) : pour recevoir du Christ la Communication de l’‘être avec’ on présuppose, comme on l’a vu, l’intention habituelle et réelle de procurer le bien et la fin de l’Église (argument inductif) ; les secondes sont conséquentes à la Communication de l’‘être avec’, et sont d’ordre surnaturel, dont la principale est l’Infaillibilité, tant du magistère solennel que du magistère ordinaire universel : c’est ce qui concerne l’argument déductif.

 

Conclusion

Au terme de ce commentaire (que j’espère pas trop incorrect…) nous pouvons rappeler certaines conséquences de notre thèse (ou mieux : de la Thèse que nous faisons nôtre).

 

Et d’abord, que l’Église (l’unique Église fondée par le Christ : catholique, apostolique et romaine) se trouve actuellement en “état de privation” de l’Autorité (38). Le Siège Apostolique est cependant occupé par l’élu du Conclave – jusqu’à une Déclaration contraire de l’Autorité de l’Église – qui n’est pas un “antipape” (puisqu’il n’y a pas un Pape légitime auquel s’opposer). Ledit occupant se trouve dans un état de “schisme capital”, une sorte de “schisme” (non au sens canonique du terme) propre à celui qui devrait être le “chef” visible de l’Église (sans l’être, à cause de l’absence d’intention objective de gouverner l’Église à sa fin) et auquel participent ceux qui déclarent être dans son ‘obéissance’ (‘una cum’).

 

Dans ces circonstances, le devoir des catholiques est de ne reconnaître en aucune façon comme Autorité celui qui n’est pas l’Autorité, ce qui implique entre autres pour les prêtres de ne pas célébrer ‘una cum’ et pour les fidèles de ne pas assister à la messe célébrée ‘una cum’ l’actuel occupant du Siège Apostolique.

 

Pour la continuité de la missio, la mission confiée par le Père au Christ, et par le Christ à l’Église (Comme le Père m’a envoyé ainsi je vous envoie : allez, enseignez, baptisez…) et particulièrement pour le maintien du Sacrifice du Nouveau Testament, l’Oblation pure – source de la grâce – et par conséquent du Sacerdoce, et pour l’administration des sacrements, il est licite (seulement en cas de graves nécessités) de conférer et de recevoir la consécration épiscopale, naturellement aux conditions requises par l’Église (dans la mesure du possible) et uniquement si l’on reconnaît la vacance formelle du Siège Apostolique. Pour le rétablissement de la Sessio (Sedebitis super sedes… Matth. 19, 28), il faut prier, témoigner de la Vérité et travailler afin que ceux qui occupent les Sièges épiscopaux ou le Siège Apostolique lui-même condamnent l’hérésie et professent publiquement la Foi catholique, en ôtant les obstacles de sorte qu’ils puissent agir légitimement ‘una cum le Christ’ pour le bien de l’Église : les portes de l’Enfer, en effet, ne prévaudront pas. Que le Seigneur, Chef de l’Église, vienne vite à son secours, par la médiation de Marie, Sa Mère Immaculée.

 

APPENDICE : LE TEXTE DE SAINT ANTONIN

Eximii Doctoris BEATI ANTONINI ARCHIEPISCOPI FLORENTINI, ORDINIS PRÆDICATORUM, SUMMÆ SACRÆ THEOLOGIÆ, JURIS PONTIFICII, ET CÆSAREI, TERTIA PARS.

VENETIIS, APUD JUNTAS MDLXXXI.

TITULUS VIGESIMUS PRIMUS

 

§. 3. Utrum mortuo papa potestas ejus remaneat in collegio cardinalium ? Respondet August. in di. 51. q. 3. Duobus modis potestas papæ remanet in collegio cardinalium ipso defuncto. Primo quantum ad radicem ; comparatur enim collegium ad papam, sicut radix ad arborem vel ramum. Sicut autem potestas arboris vel rami qua floret et fructum producit remanet in radice, ipsa arbore vel ramo destructo, sic potestas papalis remanet in ecclesia, vel collegio ipso papa mortuo. In collegio quidem tanquam in radice propinqua et in ecclesia prælatorum et aliorum fidelium tanquam in radice remota. Secundo talis potestas remanet in ecclesia et in collegio quantum ad illud, quod est in papatu materiale, quia papa mortuo potest collegium per electionem personam determinare ad papatum, ut sit talis vel talis. Unde sicut radix producit arborem mediante qua flores et fructum producit, sic collegium facit papam habentem jurisdictionem et administrationem ejus in ecclesia. Unde si nomine papatus intelligimus personæ electionem et determinationem, quod est quid materiale in papatu (ut dictum est) sic talis potestas remanet in collegio mortuo papa. Si vero nomine potestatis papalis intelligimus ejus auctoritatem et jurisdictionem, quod est quid formale, sic talis potestas nunquam moritur, quia semper remanet in Christo, qui resurgens a mortuis jam non moritur.

 

Unde super illo verbo, data est mihi omnis potestas in coelo et in terra, et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem sæculi, Matthæi capite finali dicit Augustinus quod apostoli quibus Christus loquebatur non permansuri erant usque ad consummationem sæculi, sed in persona omnium sequentium eos ipsis locutus est tanquam uni corpori ecclesiæ. Sed si nomine potestatis papalis intelligimus actualem administrationem, quod est quid materiale et formale in papatu, sic actualis administratio bene moritur mortuo papa, quia nec remanet in collegio actualis administratio potestatis papalis ipso mortuo, nisi inquantum per statutum prædecessoris est eis commissum, nec remanet isto modo in Christo, quia de communi lege Christus post resurrectionem non est executus talem potestatem, nisi mediante papa ; licet enim ipse sit ostium, Petrum tamen et successores suos constituit ostiarios suos, quibus mediantibus aperitur et clauditur janua intrandi ad ipsum.

 

Potestas ergo ecclesiæ non moritur mortuo papa quantum ad jurisdictionem, quod et quasi formale in papatu, sed remanet in Christo ; nec moritur quantum ad personæ electionem et determinationem, quod est tanquam quid materiale, sed remanet in collegio cardinalium, sed moritur quntum ad actualem administrationem jurisdictionem ejus, quia mortuo papa ecclesia vacat, et privatur administratione talis potestatis. Nec obstat si dicatur Christi sacerdotium durare in æternum sicut Christus, ergo mortuo papa remanet potestas ejus, quia hoc est verum quantum ad id quod est formale in sacerdotio, sicut enim omnes sacerdotes non sunt nisi unus sacerdos, puta Christus quantum ad potestatem conficiendi, quia omnes conficiunt in persona Christi, sic omnes papæ non sunt nisi unus papa, puta Christus, quia omnes papæ recipiunt jurisdictionem et potestatem administrandi immediate a Deo, moritur tamen actualis administratio dictæ potestatis mortuo isto vel illo papa.

 

Notes et références

1) Notre revue s’est occupée à plusieurs reprises de l’élection du Pape : par exemple, dans le n° 54 (décembre 2002) avec un article intitulé précisément L’élection du Pape ; puis dans le n° 62 (mai 2009), quand nous posions la question : Une consécration épiscopale valide est-elle nécessaire pour être Pape ?; dans le n° 55 (novembre 2003), en répondant à la Tradizione cattolica sur le thème du sédévacantisme.

2) “S’il avait été Pape”, Benoît XVI, par sa renonciation, aurait cessé de l’être. Mais puisque Benoît XVI n’était pas – formellement – Pape, mais l’était seulement matériellement, le 28 février 2013 il n’a pas cessé d’être Pape (puisqu’il ne l’a jamais été) mais seulement d’être, canoniquement, l’élu du conclave, occupant le Siège Apostolique, qui dès ce moment devint absolument vacant.

3) Eximii Doctoris Beati Antonini Archiepiscopi Florentini, Ordinis Prædicatorum, Summæ Sacræ Theologiæ, juris pontificii et cæsarei (tertia pars, titulus XXI, § 3).

4) Il s’agit de Patricio Shaw, que nous remercions.

5) Thomas de Vio, dit Cajétan (1468-1533), dominicain, général de l’Ordre (1508), cardinal (1517), écrivit en 1511 son De auctoritate Papæ et Concilii (dernière édition de 1936, auprès de l’Angelicum de Rome). On trouve une longue citation du chap. XX dans le De Papatu Materiali de l’abbé Donald J. Sanborn, édité par notre Centro Librario. Jean de Saint-Thomas (1589-1644), dominicain portugais, traite de la question dans son Cursus Theologicus ; Tractatus de auctoritate Summi Pontificis, disp. II.

6) “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant” (Matth. 16, 16). Saint Pierre, divinement assisté, confessa, au nom de toute l’Église, la Foi en la messianité (Tu es le Christ) et la divinité de Jésus (Tu es le Fils du Dieu vivant). On remarque comment Caïphe, chef du Sanhédrin, condamnera à mort Notre-Seigneur comme blasphémateur pour les mêmes motifs : “Je te conjure, au nom du Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ, le Fils de Dieu” (...). Le Sanhédrin des Juifs s’oppose donc à l’Église, comme Pierre à Caïphe, et comme Dieu le Père, qui révèle à Pierre la divinité de Jésus, s’oppose au Père du Mensonge du côté de qui sont Caïphe et les Juifs (cf. Jn 18, 14).

7) Cf. Agostino PARRAVICINI BAGLIANI, Morte ed elezione del Papa. Norme, riti e conflitti. Il Medioevo. Viella editore, 2013, pp. 19 ss.

8) Dans l’article en question – auquel je renvoie – je rappelais tant les dispositions canoniques actuellement en vigueur, que ce qui est prévu, par les théologiens, dans des cas extraordinaires. En particulier, je rappelais que les laïcs ne peuvent pas élire le Pape (pp. 8-10), de même que les évêques privés de juridiction (pp. 7-8). Comme il est bien connu, seuls les cardinaux, au moins depuis 1179, sont les électeurs du Pape. “C’est ainsi que se maintient – écrivais-je – la plus ancienne tradition ecclésiastique qui veut que l’évêque soit élu par son clergé et les évêques voisins. Les cardinaux sont en effet les membres principaux du clergé romain (diacres et prêtres), unis aux évêques des diocèses limitrophes, dits suburbicaires (eux aussi cardinaux)” (p. 10). Ce n’est qu’en cas extraordinaire (si, par exemple, il n’y avait plus de cardinaux) que le collège des électeurs devrait être cherché dans l’Église universelle, c’est-à-dire dans le Concile général (imparfait, puisque privé de Pape) (pp. 6-7) qui inclut les ordinaires et non les évêques titulaires, ou en tout état de cause privés de juridiction (can. 223 du code pio-bénédictin de 1917) (pp. 6-7).

9) Cela, au moins, dans le cas où l’élection a été canoniquement valide. Que penser d’une élection canoniquement invalide ou douteuse (comme elle pourrait l’être par un défaut chez les électeurs, un défaut chez l’élu, ou un défaut dans l’élection) ? Dans ce cas, la personne invalidement ou douteusement désignée ne pourrait validement accepter l’élection, si entre-temps elle n’avait pas remédié au vice de l’élection même ; mais tant que l’élection invalide ou douteuse n’est pas déclarée telle par celui qui a le droit et le devoir de le faire (ou par l’Église, et en particulier par le collège électoral), la personne ainsi désignée reste en un certain sens telle, et peut donc être encore considérée comme étant l’occupant matériel du Siège.

10) De comparatione Auctoritatis Papæ et Concili, c. XX, cit. in Sanborn, De Papatu Materiali, Centro Librario Sodalitium, Verrua Savoia 2001, pp. 98-101.

11) Ibidem, p. 101. Il est évident pour tous, au moins après la tristement célèbre renonciation de Célestin V, que le Pape peut, par son acte de volonté, renoncer à la papauté. Bien plus discuté est le point de l’intervention des électeurs non plus pour unir la papauté à cette personne, mais pour séparer la papauté de cette personne, dans le cas d’hérésie – comme docteur privé – du Pape. Pour Cajétan cette intervention est possible et nécessaire (Papa hæreticus deponendus est : le Pape hérétique doit être déposé) ; pour Bellarmin ceci n’est pas possible, ni nécessaire, puisque Papa hæreticus depositus est : le Pape hérétique est déposé par le fait même, par Dieu. Ce n’est pas pour cela que Bellarmin exclut toute intervention du corps électoral ou de l’Église enseignante, puisque c’est à Elle qu’il revient soit de constater l’hérésie, soit de constater la déposition.

12) Pour être encore plus exacts, il faut donner une autre précision. Dans le cas actuel, l’élu du Conclave a accepté extérieurement, mais non réellement. Le cas se situe donc comme “à mi-chemin” entre le cas de celui qui accepte (réellement) et le cas de celui qui n’a pas encore accepté. Celui qui accepte en mettant un obstacle qui conditionne cette acceptation est, comme nous verrons, pape materialiter, mais sa situation est en partie différente de celle de celui qui n’a pas encore accepté.

13) M.-L. GUÉRARD DES LAURIERS o.p., Le Siège Apostolique est-il vacant ? (Lex orandi, Lex credendi) in Cahiers de Cassiciacum n° 1, mai 1979. La première version inédite du texte est datée du 26 mars 1978.

14) Il s’agit d’une définition primordiale, par rapport à celle de Bellarmin reprise par le catéchisme : “L’Église militante ne saurait être définie adéquatement comme étant l’ensemble des fidèles soumis au Pape. Elle est, primordialement, le Corps Mystique du Christ ; elle est composée de ceux des membres du Christ qui pérégrinent sur terre. Être soumis au Pape est normalement une condition nécessaire pour être, sur terre, membre du Christ. Mais être membre du Christ n’est pas CONSTITUÉ par ce qui en est seulement la condition. Être membre du Christ, c’est recevoir la Communication de Vie qui procède du Christ” (PÈRE G. DES L., op. cit., p. 58).

15) J’ai retrouvé une perspective en partie semblable – uniquement concernant cet aspect, bien entendu – dans un article de Mgr Antonio Livi à propos de la polémique entre Palmaro et Cascioli sur l’actuel occupant du Siège Apostolique : “Il faut rappeler, d’abord, que pour nous tous catholiques, la principale (et parfois unique) raison pour laquelle nous devons nous intéresser aux paroles et aux gestes du Pape est parce qu’il est à la tête de l’Église du Christ par volonté expresse du Christ Lui-même, comme nous le savons de foi. C’est donc l’adhésion convaincue au dogme du Corps Mystique qui justifie l’obéissance inconditionnelle aux directives pastorales du Pape et motive l’union affective et effective avec lui, cette dévotion qui faisait dire à sainte Catherine de Sienne, au XIVème siècle, que le Pape est « le doux Christ en terre» (ce qui ne l’empêchait pas de se rendre en Avignon pour le réprimander de ne pas résider à Rome). (…) Ce que le Pape fait et dit dans l’exercice du ministère pétrinien doit intéresser tous les fidèles (…) toujours et seulement pour un motif de foi : parce que le Christ l’a voulu comme Pasteur de l’Église universelle, ou plutôt parce que, d’une manière éminente, il est vraiment le “Vicaire du Christ”. Cela signifie que le Pape – quel qu’il soit en un moment donné de l’histoire – n’intéresse pas tant comme personnalité humaine ou comme “docteur privé”, c’est-à-dire comme simple théologien, qu’au contraire comme garant suprême de la vérité divine confiée à l’Église par l’unique Maître, qui est le Christ. En somme (…), le Pape intéresse relativement, c’est-à-dire qu’il intéresse uniquement en relation au Christ, de qui il reçoit l’autorité de «paître ses brebis» en son Nom ; uniquement en relation au Christ, dont il doit garder la Parole, interpréter et annoncer au monde, «sans ajouter et sans retrancher quoique ce soit» ; uniquement en relation au Christ, dont le premier Pape, saint Pierre, dit que «il n’est sous le ciel, d’entre les noms qui se donnent chez les hommes, aucun autre qui doive nous sauver (Act. 4, 12) » ; (…)” A. LIVI, Obbedienza al Papa, solo in relazione a Cristo, in La nuova bussola quotidiana, 18 janvier 2014. Ce qui m’a intéressé est de rappeler que l’Autorité dans l’Église est relation au Christ Chef de l’Église.

16) Cette Communication – du Christ à l’Autorité – est par l’Autorité, une “relation” au Christ. Dans la distinction de la grâce (gratis data ou gratum faciens, tant actuelle qu’habituelle) l’“être avec” “est du type charisme” (gratia gratis data) “et non du type ‘grâce actuelle’” (C.d.C., pp. 48-49).

17) L’intention objective de procurer le bien/fin de l’Église doit être habituelle, comme habituel, de la part du Christ, est l’‘être avec’ l’Autorité. L’‘être avec’ est au contraire actuel, et non pas seulement habituel, quand l’Autorité gouverne et enseigne en acte, et de manière particulière quand elle exerce son magistère infaillible.

18) Seulement dans l’Église. En effet, les autres sociétés humaines, même parfaites, comme l’État, sont essentiellement naturelles, et non surnaturelles, comme l’Église, et en elles l’Autorité ne jouit pas de l’“être avec” de la part du Christ ! Nous avons déjà noté dans Sodalitium (n° 61 pp. 18-28) la grave erreur à laquelle peut conduire la confusion entre l’autorité dans l’Église et l’autorité dans l’État, quand entre les deux sociétés il y a seulement analogie, et non univocité, en citant précisément les Cahiers de Cassiciacum n° 1, pp. 90-99. Cette erreur est favorisée par un naturalisme de fond propre à certains courants théologiques non thomistes.

19) Pour ce qui concerne les fonctions et les facultés au cours de la vacance du Siège Apostolique (certaines fonctions cessent et d’autres non, certains actes peuvent être exercés et d’autres non), voir la Constitution Apostolique Vacantis Apostolicæ Sedis de Pie XII (8 décembre 1945) publiée parmi les documents du code de droit canonique : Titre I. De Sede Apostolica vacante ; chapitre I : De potestate S. Collegii Cardinalium Sede Apostolica vacante ; chapitre III : De nonnullis peculiaribus officiis, Sede Apostolica vacante ; chapitre IV : De Sacris Romanis Congregationibus et Tribunalibus eorumque facultatitibus Sede Apostolica vacante.

20) Un Concile réuni durant la vacance du Siège n’est pas un concile œcuménique, mais est défini “concile général imparfait”.

21) Sur l’indéfectibilité de l’Église, voir ce que j’ai déjà écrit dans Sodalitium n° 55, pp. 48-49.

22) Abbé Piero CANTONI, Réflexions à propos d’une thèse récente sur la situation actuelle de l’Église, Écône, mai-juin 1988 ; abbé Curzio Nitoglia, La Tesi di Cassiciacum : il Papato materiale. Per un dibattito sereno, publié sur le site de l’auteur et de l’éditeur Effedieffe. Voir aussi la note 33 du présent article.

23) Le Père Guérard propose différents exemples : la doctrine sur la collégialité de Lumen Gentium ‘corrigée’ par la ‘nota prævia’ (dont les paroles rassurantes sont restées lettre morte) ; le Novus Ordo Missæ corrigé par les discours rassurants des 19 et 26 novembre 1969, demeurés lettre morte ; les paroles sur le maintien du latin dans la liturgie, démenties par les faits ; les mots de Humanæ vitæ, alors que dans les faits Paul VI donnait libre cours à la négation de l’encyclique par les conférences épiscopales. Aujourd’hui, la situation, dans les paroles et dans les faits, est bien plus grave et plus claire qu’alors !

24) Dans la note 36, le Père Guérard précise que, pour être membre de l’Église, la Communication en question est normalement celle de la Vie divine, la grâce sanctifiante, mais que temporairement elle peut se réduire à la Communication de la Foi : “Qui a la Foi, même morte, demeure membre de l’Église”. L’analogie est reprise, approfondie et appliquée à la situation actuelle de l’Église aux pages 50-51 et 56, qui sont aussi un admirable résumé du traité de la grâce. Le Père Guérard explique aussi – de manière plus approfondie que je ne l’avais fait en répondant à l’abbé Paladino (F. RICOSSA, L’abbé Paladino et la “Thèse de Cassiciacum”. Réponse au livre : “Petrus es tu ?” pp. 9- 10 et note 19) – le rapport entre la Communication divine et le consentement humain, tant dans l’infusion de la Grâce (justification) que, analogiquement, dans la Communication de l’Autorité dans l’Église.

25) B. LUCIEN, La situation actuelle de l’Autorité dans l’Église. La Thèse de Cassiciacum. Documents de Catholicité, 1985, p. 61, note 69. H. BELMONT, L’exercice quotidien de la Foi dans la crise de l’Église, chez l’auteur Bordeaux, 1984, p. 25.

26) Il s’agit d’un point particulièrement important. La principale application se trouve, à mon avis, dans la possibilité que conservent aujourd’hui encore les ‘cardinaux’ créés par le ‘pape materialiter’ d’élire le Pape.

27) Allocution au deuxième Congrès Mondial de l’Apostolat des laïcs, 5 octobre 1957. Le mérite d’avoir trouvé cet exemple revient encore à l’abbé LUCIEN, op. cit, p. 59, note 65.

28) Arnaldo Xavier VIDIGAL DA SILVEIRA, La nouvelle messe de Paul VI : qu’en penser ?, Diffusion de la Pensée Française, 1975, pp. 215-216, où l’auteur souhaite de nouvelles études sur la question du “Pape hérétique” qui fassent sortir de la stagnation et des doutes concernant les différentes hypothèses à ce sujet. Après la publication de la Thèse du Père Guérard des Lauriers dans les Cahiers de Cassiciacum, le Père Georges Vinson, écrivit dans sa Simple Lettre que les travaux du Père Guérard avaient exaucé et comblé les désirs et les vœux exprimés par Vidigal da Silveira.

29) Cf. Cahiers de Cassiciacum n° 1, pp. 30-31, 76-77. Volontarisme, historicisme et juridisme sont trois options intellectuelles erronées reliées entre elles qui ont causé de profonds dommages en philosophie et en théologie, et qui sont de nos jours encore un obstacle, y compris pour de nombreux esprits pourtant bien intentionnés, pour comprendre quelle est réellement, la situation actuelle de l’Autorité dans l’Église.

30) B. LUCIEN, op. cit. À l’argument du “pape hérétique” sont dédiés les chapitres VI et VII (pp. 63-92) ; à l’argument canonique le chapitre VIII (pp. 85-92) ; à la Bulle de Paul IV le chapitre IX (pp. 93-96). Le volume, supervisé par Mgr Guérard des Lauriers, n’a pas encore été traduit en italien.

31) Voir aussi C.d.C. n° 1, pp. 78 ss.

32) C.d.C. n° 1, p. 52, où est examiné, entre autres, le cas controversé du Pape Honorius, à propos duquel le Père Guérard conclut : “L’inadvertance, voire la désinvolture d’Honorius Ier, si tant est qu’elle ait été réelle, ne fut qu’occasionnelle ; elle n’a pas exclu le propos habituel de servir le Bien-Fin qui est commis à l’Église. Cette défaillance, si elle a eu lieu, n’a pas privé Honorius Ier de la Communication d’‘être avec’ qui, procédant du Christ, le constitua Pape formaliter tout au long de son pontificat. Tandis que les comportements déficients de Paul VI sont multiples et convergents. C’est seulement cette accumulation qui permet, et qui malheureusement exige, de conclure que l’actuel occupant du Siège apostolique n’a pas le propos habituel de réaliser le Bien-Fin qui est commis à l’Église. D’où il s’ensuit qu’à la différence d’Honorius, il n’est pas Pape formaliter” (C.d.C. n° 1, p. 53, note 43). On remarque combien la preuve de la Thèse conserve toute sa validité malgré tant d’arguments discutés au cours de ces années, tels que l’hypothèse théologique du Pape hérétique (l’exemple d’Honorius a été invoqué, fait remarquer le Père Guérard, tant par les défenseurs que par les accusateurs de Paul VI), ou que la possibilité ou non d’erreurs non seulement dans le gouvernement mais aussi dans les textes du magistère ecclésiastique du Pape. Que des pontifes aient gouverné l’Église mieux que d’autres, ou différemment de leurs prédécesseurs, personne n’en doute ni ne le conteste ; seulement, parfois, des historiens jugent diversement le pontificat de l’un ou de l’autre pontife, étant eux-mêmes certainement moins infaillibles que le Pape ! On a beaucoup discuté à propos de la possibilité d’erreurs dans le magistère authentique (officiel) de l’Église (et donc de son Chef), comme dans les lois et dans la discipline ecclésiastique (liturgie, droit canonique, canonisations, approbations des ordres religieux), tout comme à propos de l’extension de l’infaillibilité définie par le Concile du Vatican (DS 3074 pour ce qui regarde le magistère solennel du Pape, DS 3011 pour ce qui regarde le magistère solennel ou ordinaire de l’Église). L’auteur brésilien Arnaldo Xavier Vidigal da Silveira est le ‘Père’ indiscuté – parfois cité, parfois non, mais toujours pillé directement ou indirectement – par tous ceux qui défendent la possibilité d’erreurs dans les documents du magistère papal et dans les textes liturgiques de l’Église (par exemple, dans son livre La messe de Paul VI, qu’en penser ? et dans l’article Vi può essere errore nei documenti del Magistero ? publié par Catolicismo n° 223, juillet 1969, traduit par Cristianità n° 10, p. 11 mars-avril 1975, et publié récemment par Radio Spada). Récemment aussi l’abbé Nitoglia, revenu à ses origines, et l’historien Roberto De Mattei dans son Apologie de la Tradition, véritable acte d’accusation à l’égard de presque tous les Papes de l’histoire, se sont référés à Vidigal da Silveira. Nous désapprouvons totalement ce courant ‘faillibiliste’ (da Silveira ne peut citer un seul document du magistère en appui de sa thèse) ; cependant, nous faisons remarquer que même dans cette hypothèse la Thèse reste démontrée, puisqu’elle se fonde sur une absence habituelle, durable, convergente d’intention de réaliser la fin et le bien de l’Église, et non en des défaillances – si tant est qu’il y en ait eues – épisodiques, qui n’ont pas compromis la réalisation du bien et de la fin de l’Église.

33) La réaction de la Fraternité à la publication des Cahiers de Cassiciacum fut, au moins dans la production intellectuelle, inexistante ; dans la pratique, elle fut celle d’une rupture totale avec le Père Guérard. Seule exception : l’abbé Piero Cantoni, à l’époque professeur au séminaire d’Écône, qui objecta à la Thèse en soutenant que si le Christ avait privé non seulement le Pape, mais tous les évêques en communion avec lui, de l’‘être avec’, se réaliserait l’inadmissible hypothèse d’une “Église Vacante” et la non-réalisation de la promesse divine : Je serai avec vous jusqu’à la fin des temps. L’objection n’est pas rien, même si elle n’est pas insoluble (voir par exemple Sodalitium n° 55, pp. 48-58 pour ce qui concerne l’indéfectibilité de l’Église). Dans un argument ad hominem, le Père Guérard répondit entre autres (C.d.C. n° 6, mai 1981, pp. 111-112, 116-117) que tous ceux qui s’opposaient à Vatican II et à la réforme liturgique étaient obligés d’admettre que l’Église aujourd’hui ‘est toujours avec’ le Christ, mais l’est de manière différente de ce qu’elle était avant Vatican II. Si l’abbé Cantoni voulait être cohérent, il devait refuser cette position commune à tous les opposants à la doctrine conciliaire et à la nouvelle liturgie, et en conséquence quitter la Fraternité Saint-Pie X. Ce fut ce que, de manière cohérente, fit l’abbé Cantoni, en acceptant le Concile in toto et la nouvelle liturgie.

34) Cf. Cahiers de Cassiciacum n° 1, pp. 51-55.

35) L’abbé Bernard LUCIEN a par la suite approfondi les différentes parties de cette argumentation dans les ouvrages suivants : L’infaillibilité du magistère ordinaire et universel de l’Église, Documents de Catholicité, Bruxelles 1984, et Grégoire XVI, Pie IX et Vatican II. Études sur la liberté religieuse dans la doctrine catholique, Forts dans la Foi, Tours 1990. Après avoir abandonné la Thèse (qu’il avait correctement exposée dans La Situation actuelle de l’Autorité dans l’Église. La Thèse de Cassiciacum, 1985) en 1992, l’abbé Lucien a encore écrit des études précieuses sur le magistère, parmi lesquelles Les degrés d’autorité du Magistère, La Nef, 2007, utiles également pour qui, comme nous, ne partage pas la décision prise par l’auteur précisément en 1992. Au fil des années, de nombreux articles, particulièrement de l’abbé Giuseppe Murro, ont été publiés dans Sodalitium, sur le sujet.

36) Cela ne signifie pas, évidemment, que la discipline ou la liturgie de l’Église ne soit pas réformable, ou que chaque canon du droit ou rubrique liturgique exprime une vérité de foi. Cependant, cela signifie que l’Église, dans ses lois comme dans le culte, ne peut approuver ou seulement permettre quelque chose de nocif à la foi ou à la morale et à la vie chrétienne. Si la réforme liturgique (du missel, du pontifical comme du rituel des sacrements) et la réforme canonique venaient de l’Église, et donc du Pape, nous aurions la garantie de leur sainteté et de leur conformité avec la foi et la morale chrétienne ; il n’y aurait aucun motif pour s’abstenir d’embrasser lesdites réformes, obéissant simplement à l’Autorité. Les différents arguments, naturellement, s’impliquent et se corroborent l’un l’autre.

37) L’interview a été publiée à nouveau dans le volume Le problème de l’Autorité et de l’Épiscopat dans l’Église, Centro Librario Sodalitium, Verrua Savoia 2006. Le point en question est traité à la p. 36.

38) C’est cela l’expression correcte pour décrire la situation actuelle de l’Église. Il nous semble moins correct d’expliquer la situation actuelle par la catégorie “Église Catholique” (éclipsée) et “Église Conciliaire”.

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